Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Permettez-moi d'emblée, madame la présidente, de rappeler brièvement les priorités économiques du Gouvernement et d'aborder quelques-uns de ces sujets d'actualité.

Le couple activité-emploi et le couple investissement-innovation : voici les deux grands défis complémentaires de notre économie. Pour lui rendre un hommage posthume, je paraphraserai le célèbre théorème du chancelier Helmut Schmidt : c'est pour préparer les emplois de demain que notre politique d'investissement et d'innovation doit être à la hauteur de notre économie. Or, les investissements macroéconomiques insuffisants dans certaines filières créent des problèmes d'emploi qu'il est ensuite difficile de résoudre.

S'agissant de l'activité et de l'emploi, nous avons commencé par réagir en priorité à la perte de compétitivité-coût – en particulier dans la filière industrielle – à laquelle il était urgent de remédier : le CICE et le pacte de responsabilité représentent plus de 40 milliards d'euros d'allégements fiscaux et sociaux sur quatre ans. Les premiers résultats sont déjà là : en Allemagne, le coût du travail a progressé en moyenne de 3,2 % par an entre 2012 et 2014, soit trois fois plus qu'en France. C'est à la fois le fruit des compensations de cotisations par le CICE et du déploiement du pacte de responsabilité, mais aussi du dynamisme salarial allemand, qui s'est renforcé avec la nouvelle coalition et en raison des pressions syndicales qui s'exercent branche par branche. La combinaison de ces deux facteurs a produit l'effet suivant : depuis la fin 2014, le coût horaire du travail industriel en France est repassé sous celui de l'Allemagne, alors qu'il s'en était éloigné pendant une décennie. J'ajoute que le coût du travail n'est pas notre seul levier d'action ; nous agissons également sur le coût de l'énergie, des services et de l'ensemble des facteurs de production.

Afin de redynamiser l'activité et l'emploi, nous nous battons aussi pour accroître l'agilité de notre économie – un élément déterminant de sa capacité à créer des emplois. C'est l'objet de la plupart des mesures prises dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques comme la réforme des prud'hommes, dont les textes d'application sont en cours de rédaction, et l'aménagement de l'accord de maintien dans l'emploi, qui en facilite l'usage et sécurise le cadre juridique pour donner davantage de flexibilités à notre économie en cas de difficulté. C'était également le but de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, que prolonge actuellement l'action de Mme Myriam El Khomri sur la base du rapport de M. Combrexelles.

C'est aussi dans cette perspective qu'il faut lever les barrières réglementaires qui entravent la création d'activité et qui limitent les embauches. Le déploiement progressif de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a déjà permis d'en supprimer plusieurs. Dans le secteur des autocars, par exemple, où les obstacles réglementaires contraignaient l'offre, la réforme a, selon un premier bilan, permis de créer en moyenne vingt emplois par jour. Depuis le début de l'année, 250 000 passagers ont été transportés contre 110 000 en 2014, près de 80 villes françaises sont désormais desservies et environ 275 autocars circulent chaque jour. C'est la preuve que l'ouverture de certains marchés de biens et services permet de créer de l'activité, même si l'on peut débattre – comme nous l'avons déjà fait abondamment – des conséquences de cette réforme. Nous avons poursuivi le même objectif concernant les professions réglementées et le travail dominical.

J'ai convié les anciens membres des commissions spéciales de l'Assemblée nationale et du Sénat à faire le point sur la mise en oeuvre de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, trois mois après sa promulgation et nous nous réunirons de nouveau au début du mois de février. D'autre part, la mission d'information commune sur l'application de cette loi m'a auditionné le 25 novembre et une nouvelle audition est prévue mardi prochain. Près des deux tiers des mesures contenues dans la loi sont déjà entrées en vigueur, sachant que 65 % des dispositions étaient d'application immédiate. Nous avançons à marche forcée pour que la quasi-totalité des mesures prévues soient entrées en vigueur dans les six mois suivant la promulgation. Une vingtaine de décrets seront donc pris d'ici la fin de l'année, et une trentaine d'autres en janvier, après examen par le Conseil d'État.

Ensuite, nous devons continuer d'agir concrètement pour soutenir les entrepreneurs et toutes celles et ceux qui prennent des risques, car c'est là un élément essentiel de la dynamisation de notre tissu productif et de sa capacité à créer des emplois. Certes, la flexibilité et l'adaptabilité du marché du travail – autrement dit, le cadre dans lequel les entreprises peuvent embaucher des salariés – constituent l'un des volets de notre action, comme je l'indiquais à l'instant en évoquant les accords de maintien dans l'emploi, la réforme des prud'hommes et la modernisation du dialogue social. Cependant, l'autre forme de création d'emploi est tout aussi structurante pour les chantiers que nous ouvrons : c'est l'entreprenariat. Dans certains secteurs, c'est une voie d'avenir. En outre, il peut correspondre à un choix personnel et à une préférence pour l'indépendance et la prise de risques, plutôt que pour la subordination et les protections qu'elle apporte. Enfin, c'est une manière très réaliste pour de nombreux jeunes d'entrer dans la vie économique – conséquence du caractère relativement fermé de notre système. En effet, le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est de 18 % depuis trente ans. De récents travaux de l'institut Montaigne font état de discriminations persistantes à l'embauche, voire pour obtenir un entretien. Dès lors, la création d'activité peut permettre aux jeunes les moins qualifiés et les plus défavorisés de s'insérer. C'est donc ce secteur que nous devons structurer et ouvrir, car notre économie crée beaucoup moins d'activité à un niveau intermédiaire ou faible de qualification que d'autres économies comparables.

C'est pourquoi nous avons déjà pris une série de mesures en faveur des entrepreneurs comme la suppression de l'indicateur 040 de la Banque de France et la protection de la résidence principale, par exemple. Nous souhaitons poursuivre sur cette voie afin de saisir toutes les nouvelles possibilités qui se présentent, en modernisant deux domaines. Tout d'abord, le cadre statutaire, fiscal et social de l'entreprenariat individuel demeure complexe et comporte des différences qui sont perçues comme des facteurs de concurrence déloyale. Le statut de l'auto-entrepreneur a déjà fait l'objet de mesures prises dans la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ; nous en connaissons les limites, mais il permet de créer de l'activité dans certains secteurs. Nous devons faciliter la création d'entreprises individuelles et, surtout, simplifier les parcours de croissance, tant le recrutement d'un premier salarié dans ces entreprises se heurte à des contraintes administratives dissuasives – qui valent tous les seuils sociaux.

Ensuite, nous devons moderniser les métiers et qualifications et la loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat. L'idée n'est évidemment pas de supprimer ni de dévaloriser les métiers et qualifications, bien au contraire : nous devons les valoriser en améliorant les pratiques d'apprentissage. C'est pourquoi nous avons pris en avril des mesures d'aides aux entreprises de moins de dix salariés qui accueillent des apprentis âgés de moins de dix-huit ans. La loi de 1996 imposait des qualifications à l'entrée de certains métiers pour protéger la santé et la sécurité des personnes. Or, nous avons collectivement – les métiers eux-mêmes comme l'administration – dressé des barrières injustifiées à l'entrée des professions concernées qui ont empêché de créer des emplois. La reconnaissance des compétences est certes indispensable mais ne doit pas constituer un obstacle. Certains métiers imposent des niveaux de qualifications plus importants que d'autres. Le métier de coiffeur, par exemple, exige un brevet professionnel alors que seul un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) est requis pour les autres métiers. Ce n'est pas un hasard si, dans ce secteur, la création d'activité concerne principalement la coiffure à domicile, qui ne nécessite qu'un CAP.

En outre, de nombreux « petits » métiers requièrent un niveau de qualification lié : dans le secteur du bâtiment, par exemple, aucun espace n'existe entre les métiers régis par des qualifications et le « bricolage du dimanche », qui connaît un fort développement. Il doit être possible, dans cet entre-deux, de reconnaître l'existence de « petits » métiers qui ne requièrent pas le même niveau de qualification mais permettent à de nombreux jeunes d'entrer dans l'activité économique. Nous devons avoir ce débat, car la situation actuelle interdit d'exploiter certaines possibilités. On peut en effet reconnaître des compétences sans pour autant créer des barrières à l'entrée dans les métiers par la qualification. Quel plus beau métier, par exemple, que celui de restaurateur pour présenter l'excellence française ? Nul ne souhaite être empoisonné dans un restaurant. L'offre de ce secteur est différenciée, qu'il s'agisse des meilleurs ouvriers de France ou des étoiles, et les consommateurs exercent un suivi étroit de la qualité. Or, il n'existe aucune qualification à l'entrée dans ce métier ! Nous sommes donc parvenus à reconnaître les compétences, à accompagner le développement de cette profession et à encourager l'apprentissage sans pour autant faire de la qualification une barrière à l'entrée. Le débat est nécessaire mais délicat : certaines professions craignent en effet d'être déconsidérées dès lors que l'on pose la question des qualifications. Pourtant, la réalité est celle-ci : des pans entiers de notre activité ne sont pas exploités parce que nous avons parfois dressé des barrières à l'entrée qu'il nous faut revoir.

J'en viens au couple investissement-innovation, essentiel à plusieurs titres. Tout d'abord, notre économie souffre d'une insuffisance chronique d'investissements productifs. Depuis la crise de 2008, l'investissement ne repart pas assez, ce qui handicape notre économie actuelle, mais aussi celle de demain, tant il est difficile de redresser une partie du tissu productif si les investissements nécessaires n'ont pas été réalisés en temps voulu. Cela étant, même lorsqu'il était plus important, l'investissement privé était trop souvent orienté vers l'immobilier d'entreprise et d'autres secteurs non productifs. C'est ce qui nous a incités à proposer une mesure de suramortissement productif, que je vous remercie d'avoir adoptée à une large majorité au printemps dernier après un débat sur tous les bancs. Cette disposition consensuelle prévoit que les investissements productifs peuvent faire l'objet d'un suramortissement de 40 %, portant ainsi à 140 % de la valeur des biens concernés le montant total de l'amortissement possible.

Pour poursuivre la modernisation de notre économie, nous devons aussi organiser les filières productives afin d'y favoriser l'investissement. C'est le but de la Nouvelle France industrielle, qui consiste à concentrer les crédits disponibles dans le cadre du programme d'investissements d'avenir – soit 3,5 milliards d'euros environ – autour de neuf solutions industrielles dont la matrice est l'alliance pour l'industrie du futur. Codirigée par deux chefs d'entreprises et associant l'ensemble des acteurs concernés, des collectivités territoriales et des services de l'État aux partenaires sociaux et aux organisations patronales, cette alliance vise d'ici la mi-2016 à accompagner la modernisation de l'appareil productif de deux mille petites et très petites entreprises, en s'appuyant sur des financements adaptés – sous la forme d'appels à projet du programme d'investissements d'avenir mais aussi de prêts de développement de la Banque publique d'investissement, qui représentent 8 milliards d'euros et dont les garanties et les délais de décaissement correspondent tout à fait aux besoins visés. Il est prévu d'offrir aux entreprises concernées, en particulier les plus petites d'entre elles, un accompagnement personnalisé de leur montée en gamme. De même, le plan France très haut débit contribue à favoriser l'investissement privé, car l'équipement du pays en infrastructures est essentiel.

Investir dans l'innovation est une nécessité particulièrement urgente dans le contexte économique actuel. Nous ne sommes plus dans une économie dite « de rattrapage ». Les changements sont extrêmement brutaux dans plusieurs secteurs et, grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'économie s'est presque instantanément mondialisée. Dans ces conditions, il est crucial de pouvoir investir vite et beaucoup dans les secteurs critiques. Pour ce faire, nous devons permettre aux entreprises d'investir plus rapidement et plus facilement dans l'innovation tout en nous dotant d'une structure de financement adaptée à ce nouveau mode d'innovation. Autrement dit, nous devons étudier dans chaque secteur comment aider les acteurs économiques à innover plus vite en simplifiant les contraintes réglementaires, en explorant la notion de droit d'expérimentation et en envisageant comment ouvrir les données, notamment les données d'intérêt général, sans déstabiliser les acteurs en exercice, car l'innovation – tant en termes de technologies que d'usages – est l'un des leviers de la révolution actuelle. Si nous n'y parvenons pas, l'innovation se fera hors de nos territoires avec des acteurs étrangers. Or, elle transforme profondément des secteurs entiers tels que les biotechnologies – où les frontières disparaissent entre génomique et neurosciences – ou encore l'énergie, où l'ouverture des données permettra l'avènement d'un mode de production plus décentralisé privilégiant la solution énergétique plutôt que la simple « fourniture d'électrons ».

Pour ce faire, nous devrons adapter notre structure de financement. Aujourd'hui, le mode de financement de notre économie est très efficace lorsqu'il s'appuie sur la dette – une caractéristique des économies de rattrapage. En revanche, son financement en fonds propres connaît des lacunes bien précises. Ainsi, il se crée chaque année mille à mille cinq cents start-ups en France, mais elles ont peine à croître au-delà d'un certain niveau – un capital supérieur à 100 millions d'euros, par exemple. C'est le fruit de notre histoire : l'épargne française est abondante, mais elle est surinvestie dans le secteur immobilier et dans l'assurance-vie, que l'évolution de la législation a très largement réorientée vers le financement obligataire. Nous souhaitons donc que le financement de notre économie, et de l'innovation en particulier, s'appuie davantage sur les fonds propres, en modifiant par exemple la gestion des retraites supplémentaires et en créant un régime de régulation ad hoc afin que la part de l'épargne consacrée à l'économie productive ne relève plus de la directive européenne dite « Solvabilité II » mais de la directive « Solvabilité I », qui laisse une bien plus grande souplesse en matière d'allocation. Nous pourrons ainsi réorienter jusqu'à 130 milliards d'euros vers le financement de notre économie, en fonction des intérêts des épargnants – étant entendu que les épargnants jeunes ou en milieu de carrière ont plutôt intérêt à investir dans des fonds propres et des actions. C'est là encore un levier précieux que nous devons utiliser pour mieux financer l'innovation, qui est au coeur de la transformation majeure que nous vivons aujourd'hui.

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