Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

En outre, il faudra peu à peu renouveler les réacteurs selon leur génération, y compris les réacteurs de nouvelle génération ASTRID à l'horizon 2040-2050.

À court terme, le défi d'EDF est celui-ci : elle doit conduire une politique d'investissement qui corresponde aux besoins de la filière – ce que l'on a coutume d'appeler le « grand carénage » qui se compose de deux catégories d'investissements. La première concerne les investissements à réaliser dans la filière indépendamment de toute prolongation d'exploitation d'une centrale – auxquels un conseil d'administration d'EDF qui s'est tenu en novembre a permis de donner davantage de visibilité. Ces investissements d'un montant global d'environ 15 milliards d'euros commenceront très prochainement et se réaliseront dans les prochaines années ; au-delà des investissements classiques, ils porteront sur la modernisation des centrales et sont nécessaires à leur entretien. Ils sont très attendus par la filière, en particulier par les sous-traitants de rang 1 et 2. C'est à propos de ce lot d'investissements que j'ai rencontré l'intersyndicale il y a une dizaine de jours et que nous réunirons avec Mme Ségolène Royal le comité stratégique de la filière nucléaire au mois de janvier.

Le deuxième volet du grand carénage concerne les prolongations et les renouvellements de centrales. EDF a en effet souhaité communiquer pour expliquer ses plans en la matière au grand public et aux investisseurs, mais M. Denis Baupin a parfaitement raison de rappeler le cadre législatif. La programmation à moyen terme doit être validée et l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) doit s'exprimer pour, de deux choses l'une, autoriser la prolongation de l'exploitation des centrales au-delà de quarante ans, ou pour l'interdire en invitant à développer des modes alternatifs de production ou à envisager la construction de centrales de nouveaux modèle. On ne saurait néanmoins programmer ex ante le futur parc de centrales pour plusieurs décennies, car la mise en oeuvre de cette programmation dépendra des autorisations accordées par l'ASN et des décisions qui seront prises en conséquence.

J'insiste sur le fait que les investissements dans le nucléaire sont nécessaires pour assurer la sûreté du parc, mais aussi pour préserver les compétences qui existent dans la filière et les emplois qui leur correspondent, et pour que ce secteur – sur lequel je connais, monsieur Baupin, vos légitimes interrogations, le débat devant se poursuivre en toute transparence – coexiste avec celui des énergies renouvelables, le premier ne pouvant être supprimé du jour au lendemain au bénéfice du second. J'ajoute que dans cette filière, nous investissons aussi à l'étranger. D'importants investissements sont prévus sur le marché britannique : le projet de Hinkley Point, en particulier, représente 18 milliards de livres jusqu'à la mise en service, dont deux tiers proviennent d'EDF, cette dépense étant étalée sur dix ans.

En clair, EDF a de très importantes perspectives d'investissement qu'il faut classer en trois catégories : investissements internationaux lorsque les marchés ont été remportés, investissements à long terme en fonction des autorisations de l'ASN et investissements de modernisation à court terme. Dans tous les cas, ces investissements se traduisent par plus d'activité pour les sites productifs français, en particulier les sous-traitants de rang 1 et 2, et pour l'entreprise. Ils sont donc indispensables à la vitalité économique de la filière. Convenons également que la part de l'énergie nucléaire dans notre mix énergétique nous permet de produire une énergie très décarbonée par rapport à nos principaux concurrents et nous a évité les délices de l'importation de lignite et d'autres choix qu'ils ont quant à eux dû faire.

Cependant, le défi que nous devons désormais relever est celui des énergies renouvelables – et, à cet égard, plusieurs dispositions ont déjà été prises dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. EDF doit y prendre part comme d'autres acteurs mixtes tels qu'Engie et Areva, ou encore DCNS et les coentreprises formées entre General Electric et Alstom. L'ensemble de ces acteurs et de leurs sous-traitants structurent actuellement une offre industrielle dans la filière des énergies renouvelables où, pour ne pas répéter notre échec en matière de panneaux solaires, nous devons veiller à maîtriser la production, l'innovation et l'emploi – condition sine qua non de notre réussite. Je le répète néanmoins : notre action dans ce secteur doit aller de pair avec notre stratégie dans la filière nucléaire.

J'en viens au lien entre EDF et Areva. À l'automne 2014, nous avons souhaité mettre à plat l'ensemble des sujets concernant la filière nucléaire, non seulement en raison des difficultés conjoncturelles qu'elle connaît et des erreurs de gestion commises sur de grands projets, notamment, mais aussi parce que l'État actionnaire n'a pendant longtemps pas joué son rôle en termes de pilotage de ces entreprises et de cohérence entre elles, en France et sur plusieurs sites étrangers. Aujourd'hui, nous voulons réorganiser les relations entre un premier acteur – EDF, qui maîtrisera l'ensemble de l'ingénierie des services nucléaires – et un deuxième, Areva NP, chargé de produire les réacteurs, qui sera majoritairement détenu par EDF avec une participation minoritaire d'Areva et des investisseurs tiers avec lesquels les négociations sont en cours. La production de réacteurs est en effet un métier à part qui possède ses propres spécificités et une filière sur laquelle il nous est apparu indispensable d'aligner les intérêts d'EDF, faute de quoi celle-ci ne chercherait plus à vendre les réacteurs en question, comme cela s'est déjà produit – au point d'entrer en concurrence à l'étranger contre des réacteurs français.

Areva NP, où un nouveau dirigeant a été nommé, consiste donc, disais-je, en un partenariat dominé par EDF, qui jouit du bilan le plus solide, auquel participeront également des actionnaires japonais et chinois. En effet, l'actionnariat japonais a une cohérence technologique, car nous avons noué avec le Japon un partenariat de long terme concernant les réacteurs de petite et moyenne puissances, de l'ordre de 1 000 mégawatts : c'est ainsi que le réacteur ATMEA est devenu le principal concurrent de l'AP-1000 et qu'il est désormais très prisé sur les marchés en expansion – en Turquie, par exemple. Or, si les marchés chinois et russe privilégient les réacteurs de 1 000 mégawatts, c'est parce que leurs réseaux encore fragiles n'ont pas la maturité nécessaire pour accueillir un EPR de 1 800 mégawatts. Celui-ci est en revanche prisé sur des marchés où le réseau est dense et solide comme le marché britannique, d'où le projet de Hinkley Point. Nous souhaitons préserver cette diversité de notre offre et, de ce point de vue, le partenariat technologique que nous avons noué avec le Japon est essentiel. Parallèlement, nous voulons associer des partenaires financiers présents sur les marchés-clé, en particulier le marché chinois qui sera bientôt le premier marché nucléaire. Nous avons noué avec la Chine un partenariat de trente ans qu'il serait aberrant de ne pas renforcer – car nous avons appris le nucléaire aux Chinois. Il est donc normal que nous ayons notre place sur ce marché, et j'y suis très vigilant.

Enfin, le troisième acteur d'Areva NP est l'Areva historique du cycle du combustible et des mines hors production de réacteurs. Cet acteur fera l'objet d'une augmentation de capital dans laquelle l'État actionnaire prendra toutes ses responsabilités. Il appartient en effet à l'État actionnaire de procéder à cette recapitalisation pour accompagner le développement de l'entreprise, mais elle ne se fera qu'à la lumière du plan d'affaires et de l'opération en cours de négociation avec EDF. En effet, c'est à l'aune du prix que coûtera in fine à EDF le rachat du segment de production de réacteurs que nous déterminerons les besoins de recapitalisation du segment combustible. Nous pourrons préciser ces montants financiers au début 2016, même si nous aurions souhaité le faire avant la fin de l'année, car les discussions se poursuivent sur plusieurs sujets : la valorisation et le plan d'affaires de l'activité de production de réacteurs, tout d'abord, puis le plan d'affaires du nouvel Areva, mais aussi le projet finlandais et plusieurs autres points en discussion avec l'ASN sur lesquels je souhaite avoir davantage de visibilité. Je me rendrai d'ailleurs prochainement en Finlande pour y poursuivre la discussion à la suite du déplacement qu'y ont effectué l'Agence des participations de l'État et les dirigeants d'Areva à la fin de l'été.

Telle est notre stratégie. Il faudra du temps pour redonner sa cohérence à cette filière, car elle se caractérise par des cycles longs et, de surcroît, de nombreuses erreurs ont été commises dans le passé.

Quoi qu'il en soit, les investissements réalisés dans le secteur nucléaire ne doivent rien enlever à notre action dans le domaine des énergies renouvelables : c'est tout le sens du fonds pour la transition énergétique, qui utilisera une partie des dividendes d'EDF pour financer ces nouvelles activités. C'est aussi pour cela que le PIA et la Nouvelle France industrielle comportent plusieurs solutions industrielles décisives pour la transition énergétique, qu'il s'agisse des nouvelles formes de production d'énergie ou de la modernisation des modes de mobilité, de stockage et de consommation d'énergie.

J'en viens aux questions de M. Jean Grellier. S'agissant du droit à l'erreur, j'ai évoqué plusieurs mesures déjà prises comme la suppression de l'indicateur 040 de la Banque de France et la protection de la résidence principale des entrepreneurs. Toutes les mesures qui simplifient l'accès des entrepreneurs aux financements et aux garanties bancaires doivent être favorisées ; M. Michel Sapin et moi-même avons demandé à la Fédération bancaire française d'examiner ce sujet essentiel.

Concernant les investissements d'avenir, le PIA 1 s'élevait à 35 milliards d'euros : le PIA 2 mobilise quant à lui 12 milliards, dont un tiers a déjà été engagé dans la loi de finances pour 2014, sachant que l'intégralité du PIA 2 sera engagé d'ici 2017. Pour ne pas rompre cette dynamique, nous avons donc entamé les travaux préparatoires à un PIA 3, qui fera l'objet d'un débat au printemps prochain pour pouvoir démarrer au début 2017.

La commission Innovation 2030, présidée par Mme Anne Lauvergeon, a remis un rapport en 2013 et sélectionné cent projets d'entreprises ; la phase d'amorçage a été lancée en 2014, et la phase d'accompagnement s'est poursuivie en 2015 autour de trente-six projets retenus. La phase de finalisation des investissements aura lieu en 2016-2017, l'idée étant de partir d'appels à projets mondiaux pour peu à peu filtrer les projets tout en augmentant leur financement et, in fine, sélectionner les acteurs les plus innovants. Il est prévu de consacrer 150 millions d'euros au titre du PIA 2 à cette initiative complémentaire de la Nouvelle France industrielle, laquelle porte sur des innovations plus matures qui ont vocation à être commercialisées dans les prochaines années – comme c'était déjà le cas du véhicule ne consommant que deux litres d'essence aux cent kilomètres, du dirigeable et de la nouvelle génération de satellites. C'est d'ailleurs ce qui m'a conduit à clôturer certains plans lorsque les solutions recherchées étaient arrivées à maturité.

En matière de relocalisation, nous poursuivons notre politique d'attractivité du territoire et de clarification du cadre fiscal et social, qui nous a permis d'améliorer notre rang dans la plupart des classements internationaux comme celui d'Ernst & Young et celui de la Banque mondiale, et qui a conduit de grands groupes étrangers – Cisco, Intel, Samsung, Facebook – à investir plusieurs centaines de millions d'euros dans notre écosystème de start-ups. Parallèlement, nous travaillons à la relocalisation des capacités de production par la baisse du coût du travail industriel et l'assouplissement de notre organisation. La signature, dans certaines entreprises, d'accords de compétitivité dans le cadre du CICE et du pacte de responsabilité a permis de relocaliser des forces de production. À preuve, la signature d'un tel accord dans le secteur automobile s'est traduite par la réouverture de lignes de production à Sandouville alors qu'en 2011, l'usine était donnée perdue. Avec beaucoup de courage, les salariés ont pris leurs responsabilités et les dirigeants ont tenu leurs engagements ; l'État a accompagné le projet par les systèmes d'aides adéquats. En clair, le secteur automobile est tout à fait emblématique de notre capacité à relocaliser depuis plusieurs années.

Nous avons réuni en séance plénière l'ensemble des membres du Conseil national de l'industrie (CNI) – vous y étiez, monsieur Jean Grellier – afin d'examiner le travail que je lui avais demandé au printemps dernier de conduire en matière de formation dans les filières industrielles. Mes collègues de l'éducation nationale et du travail et moi-même avons reçu les conclusions présentées par Mme Isabelle Martin ; elles seront déclinées par comité stratégique de filière en lien avec le CNI. Les premiers résultats de cette phase expérimentale sont attendus au printemps. L'objectif est de recenser dans chaque filière toutes les transformations en matière de qualifications requises, de repérer les manques – bien connus et souvent transversaux – dans certains métiers comme la chaudronnerie et la sidérurgie, par exemple, et de mettre en oeuvre un plan d'urgence, comme c'est déjà le cas dans certains territoires. Parallèlement, nous voulons anticiper les transformations en termes de besoins afin d'adapter nos politiques de formation initiale, de formation professionnelle et de formation continue. C'est pour disposer d'une vue d'ensemble et parvenir à un accompagnement prospectif de toutes les filières et, in fine, des branches, que nous avons souhaité mener avec le CNI ce travail qui commence à porter ses fruits, car la cohérence s'accroît entre les filières, mais aussi entre les territoires. De ce point de vue, les organisations syndicales et patronales ont effectué un important travail que nous accompagnons.

Vous m'avez, monsieur Jean Grellier, interrogé sur les fonds de retournement. Nous voulons généraliser une initiative prise en Lorraine et en Franche-Comté, où les premiers fonds de ce type ont été créés, en déployant 75 millions d'euros au titre du PIA 2. Plusieurs fonds ont été identifiés, et leur création devrait avoir lieu au premier semestre 2016. L'opérateur choisi sera la direction des fonds de fonds de BPIfrance. En effet, nous travaillons aujourd'hui avec plusieurs opérateurs ; l'objectif est de combler une faille de marché en s'appuyant sur l'expertise existante nécessaire sans créer un nouvel acteur ex nihilo.

Nous étudions les propositions du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire en matière de transmission dans le cadre de la préparation de la loi sur les nouvelles opportunités économiques, car c'est là un sujet critique. La démographie de nos nombreuses entreprises familiales évolue ; il faut leur apporter les solutions permettant de stabiliser leur capital. Les propositions qui sont faites complètent le travail que nous avons déjà entamé concernant les structures plus petites sur la base du rapport que nous a remis Mme Fanny Dombre Coste. Plusieurs mesures ont été adoptées dans le projet de loi de finances et dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, un premier comité stratégique de la transmission s'est tenu et d'autres dispositions réglementaires ont été prises.

Plusieurs questions m'ont été posées sur la mesure de suramortissement des investissements privés productifs, qui exclut à dessein plusieurs catégories d'investissements. Sa limitation dans le temps devait servir à produire un effet d'entraînement, mais il est tout à fait envisageable de la proroger. J'insiste sur le fait que même lorsque les investissements sont longs, c'est le passage d'une commande ferme et le premier acompte qui constituent les éléments déterminants. L'instruction fiscale précise les conditions d'éligibilité de manière très détaillée : il n'est pas obligatoire d'avoir consommé la totalité de l'investissement ou de l'avoir entièrement réceptionné – ce qui aurait été insoutenable dans les cycles longs.

Les coopératives n'étaient pas bénéficiaires de cette mesure car, par définition, elles n'ont pas opté pour l'impôt sur les sociétés. Le Premier ministre a tout de même étendu le dispositif aux CUMA le 3 septembre, et leurs associés déclarant des bénéfices agricoles pourront également y prétendre au prorata de l'utilisation qu'ils font des matériels agricoles de la coopérative. Il n'est cependant pas possible de l'étendre à des structures qui n'ont pas opté pour l'impôt sur les sociétés. Je suis prêt, avec MM. Michel Sapin et Stéphane Le Foll, à continuer d'y travailler. La mesure repose en l'état sur un socle réglementaire et fiscal ; nous pourrons certes examiner les cas qui vous paraissent critiques, mais l'option que vous proposez n'a pas été retenue à ce stade, car elle n'est pas possible.

M. Daniel Fasquelle m'a interrogé sur un ton polémique, comme à son habitude, à propos du moment que nous traversons.

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