Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Elle n'est promulguée que depuis le 6 août : faites-la donc connaître et essayer avant de proposer une modification déjà prévue ! Le label de maître-restaurateur est accordé sur la base d'un cahier des charges contrôlé par un organisme indépendant sous l'autorité de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Dans certains secteurs, la qualification est importante et pleinement reconnue, mais on ne sait pas la mettre en place. Je prendrai un exemple simple : celui de la cordonnerie. Voilà un métier qui suppose des qualifications importantes ; or, il n'existe plus de véritable centre de formation dans ce secteur. Ce sont donc des opérateurs privés d'excellence qui forment les cordonniers afin qu'ils puissent s'installer. J'ai indiqué ce matin même aux chambres des métiers et de l'artisanat que j'étais pleinement disposé à les accompagner afin de mieux structurer la formation des cordonniers. En somme, nous devons tenir un discours proportionné. Il faut d'une part valoriser les qualifications et les métiers – et, de ce point de vue, M. Thierry Benoit a raison – mais aussi, et sans contradiction aucune, envisager les tâches attenantes à un métier qui ne relèvent pas de la qualification correspondante. Il faut alors envisager comment la simplifier et, de manière très pragmatique, comment lever certaines contraintes réglementaires indues.

Telle est la remise à plat que j'ai souhaitée, tout en faisant plusieurs distinctions. Il faut tout d'abord distinguer entre les qualifications et métiers d'une part et, de l'autre, les contraintes administratives. Plusieurs professions se heurtent à des contraintes qui ne sont pas dues aux chambres des métiers et de l'artisanat, mais à l'administration. Certaines professions de services à domicile, par exemple, supposent des qualifications très précises sur lesquelles il est hors de question de revenir, mais auxquelles nous imposons des contraintes apparemment disproportionnées. Je pense à l'exemple récent de personnes exerçant la garde à domicile de personnes âgées en situation de dépendance à qui l'on demande de disposer d'un local pour recevoir le public : c'est une barrière à l'entrée, puisque quiconque a obtenu la qualification est en mesure de se déplacer à domicile, et lui demander de recevoir le public – ce qui n'est pas sa fonction première – dans un local dédié revient en quelque sorte à l'empêcher d'entreprendre.

Nous devons aussi vérifier si les qualifications d'entrée attenantes à plusieurs métiers se justifient. À cet égard, plusieurs orateurs ont soulevé à juste titre la question des coiffeurs, dont je connais les préoccupations. De tous les métiers régis par les textes adoptés en vertu de la loi du 5 juillet 1996, celui de coiffeur est le seul pour lequel l'installation d'un salon requiert un brevet professionnel, et non pas seulement un CAP. On peut donc légitimement se demander si le brevet professionnel se justifie pleinement. Je n'ai pas seul la réponse, mais je constate qu'il se crée deux fois plus d'emplois de coiffeur à domicile – qui ne requièrent qu'un CAP – qu'en salon. Autrement dit, il existe dans ce secteur une dynamique entrepreneuriale fondée non pas sur la loi de la jungle, mais sur la détention d'un CAP, comme dans les autres métiers régis par ces dispositions. En outre, nous ne disposons pas des mécanismes adéquats de valorisation des acquis de l'expérience. Ainsi, certains coiffeurs et coiffeuses titulaires d'un CAP et forts de dix ans d'expérience seraient parfaitement capables de créer leur propre salon, mais y renoncent faute de posséder un brevet professionnel – qu'il est rare de chercher à obtenir à ce stade d'une carrière. Voilà donc un cas typique de métier que nous devons examiner en toute bonne foi pour l'aménager sans le déstabiliser.

Autre exemple : la création de salons de coiffure en milieu urbain et dans certaines autres zones requiert parfois des qualifications qui ne sont pas couvertes par le brevet professionnel. Je pense à la demande liée aux cheveux crépus et frisés – la coiffure dite « afro ». À Paris, à Rennes et ailleurs, comme j'ai pu le constater, des jeunes possèdent toute l'expertise nécessaire pour répondre à cette demande et, ce faisant, contournent la loi, les uns en ouvrant des « salons spécialisés » qui sont en infraction totale à la loi et qu'un redressement peut mettre instantanément en défaut, les autres – plus grave encore – en se faisant sous-traitants dans un salon licite.

En clair, il faut examiner précisément l'évolution des qualifications et s'assurer qu'elles soient proportionnées : c'est un travail de dentelière. J'ai mandaté il y a deux mois Mme Catherine Barbaroux, ancienne déléguée générale à l'emploi puis directrice générale des services de la région Île-de-France avant de devenir présidente du Fonds Adie, une entreprise de microcrédit qui a à connaître de tels cas. L'an dernier, l'Adie a accordé 18 000 microcrédits, dont un tiers a été octroyé à des citoyens ne détenant qu'un CAP ou moins – et qui, autrement dit, n'avaient pas les qualifications suffisantes pour créer leur propre activité. Nous devons collectivement nous livrer à un travail culturel : examiner les barrières à l'entrée ne signifie pas dévaloriser une qualification. Il est possible, en effet, de valoriser un métier autrement qu'en dressant des barrières à l'entrée. Les nouvelles technologies permettent désormais de mieux évaluer les professionnels en toute transparence et en permanence, que ce soit dans la restauration ou dans le bâtiment. C'est la meilleure des sélections possibles. Nous pouvons dès lors proportionner les facteurs de rigidité à l'entrée. À entendre certains professionnels, en effet, on a parfois le sentiment qu'il faudrait non seulement détenir toutes les qualifications requises mais aussi savoir conduire une entreprise avant même de pouvoir l'ouvrir. Laissons donc les gens prendre des risques. Les entrepreneurs savent que l'échec est possible – et les protections prévues dans le droit visent à le rendre moins pénible. Pour permettre la prise de risques, il faut éviter d'imposer des barrières excessives.

J'en viens à la question distincte du statut juridique, qu'il faut simplifier. Il existe actuellement une multitude de statuts : l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL), la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) et bien d'autres encore. La complexité de ce maquis est un facteur de déséquilibre entre les entrepreneurs individuels, car ils ne sont pas assortis des mêmes garanties et des mêmes protections et entraînent parfois des conséquences fiscales et sociales différentes. Ainsi, les EIRL et les EURL relèvent – sauf refus de leur part – du RSI, tandis que les SASU dont le fondateur est aussi le mandataire social relèvent du régime général. Surtout, les EIRL et EURL qui souhaitent embaucher un premier salarié se heurtent à des contraintes administratives liées au fait qu'il faut changer de statut juridique. Les démarches administratives entraînent des conséquences fiscales – puisque les plus-values sont constatées – et ont un coût réel. Nous devons donc faciliter le parcours de croissance des entrepreneurs individuels.

Enfin, il existe des différences fiscales et sociales entre ces professionnels : les auto-entrepreneurs sont en quelque sorte contre le reste du monde. La création du statut d'auto-entrepreneur date de 2008 ; ce statut a permis depuis de créer environ un million de nouvelles entreprises, dont 10 % correspondent à la substitution d'artisans en exercice, et 90 % à de nouvelles créations. Il est vraisemblable que l'on a ainsi légalisé du travail illicite. Or, près de la moitié de ces auto-entrepreneurs ne déclarent quasiment pas de chiffre d'affaires. Nous devons être collectivement vigilants sur ce point, et nous travaillons à clarifier ce statut qui sert manifestement aux intéressés à bénéficier d'une couverture sociale et de facilités pour entreprendre de manière limitée, mais dont une partie de l'activité reste en marge de la légalité. De surcroît, le régime de l'auto-entrepreneur crée une concurrence déloyale pour certains types d'artisans, en particulier dans des métiers de service et en début d'activité. En effet, dès que les charges, qui ne sont pas déductibles, commencent à s'appliquer, le régime de l'auto-entrepreneur cesse d'être compétitif. Les chauffeurs de taxi, par exemple, constatent rapidement qu'ils ont plutôt intérêt à exercer dans le cadre d'une EIRL, d'une EURL ou d'une SASU en déclarant des bénéfices non commerciaux ou en payant l'impôt sur les sociétés qu'à demeurer auto-entrepreneurs. En revanche, ce statut est intéressant dans les métiers de prestation de services, car il offre un avantage sur la TVA et sur la cotisation foncière des entreprises (CFE). Dans certains métiers du bâtiment, par exemple, en particulier dans le domaine du « tout service », il arrive que les entrepreneurs demandent aux clients d'acheter eux-mêmes les pièces nécessaires aux travaux. Dans la mesure où ils ne tarifent plus que la prestation elle-même, et non le matériel, le statut d'auto-entrepreneur les intéresse davantage. Nous devons là encore être vigilants.

En tout état de cause, je crois qu'il faut déconstruire le statut d'auto-entrepreneur pour le démystifier, car il a parallèlement apporté des facilités déclaratives qu'il conviendrait de généraliser à l'ensemble des professionnels. Je me suis donc engagé à lancer une simplification en matière déclarative et concernant les contraintes de formation qui pèsent sur les salariés des professionnels. Les peintres en bâtiment, par exemple, doivent posséder une qualification en électricité pour les cas où ils s'approchent de prises de terre : sans doute pouvons-nous simplifier cette situation. De même, il convient d'alléger les formations annuelles imposées aux salariés de certaines entreprises, car elles ont trait à des compétences qu'ils n'utilisent jamais. Telle est la double action que nous conduisons en concertation avec l'ensemble des professionnels.

Ce point me conduit à la question du RSI. Comme je l'ai dit ce matin même aux représentants des chambres de métiers et de l'artisanat, de même que l'auto-entrepreneur était une bonne réforme, le RSI était une réforme mal inspirée de la majorité précédente mais, à sa décharge, à la demande des professionnels eux-mêmes ! Ils souhaitaient bénéficier d'un régime dans lequel ils auraient leurs propres interlocuteurs. Cette forme – fréquente – de fétichisme administratif a débouché sur un régime de taille trop modeste dont les coûts de gestion sont trop importants qui est responsable des dysfonctionnements que nous connaissons en terme d'information. Le remarquable rapport des députés Fabrice Verdier et Sylviane Bulteau a conduit à plusieurs réformes : médiation, simplification des règles de liquidation, expérimentation de l'auto-liquidation. Cependant, j'ai dit aux artisans qu'in fine, la solution la plus simple consistait à migrer vers le régime général puisque contrairement à l'idée reçue, il contribue à la solidarité compte tenu de la pyramide des âges des indépendants.

Si le débat sur le RSI est nourri par la haine ou le rejet des charges sociales, alors il est voué à s'interrompre rapidement, car les cotisations servent à couvrir des risques. Or, la population des indépendants étant vieillissante, ce régime est subventionné par l'équilibre général. Pour réduire les coûts de gestion, simplifier les mécanismes et professionnaliser les missions, les indépendants ont donc tout intérêt à se tourner vers le régime général, quitte à créer un guichet spécifique pour, le cas échéant, traiter les problématiques qui leur sont propres. Cela me semble beaucoup plus simple que de nous imposer à tous les contraintes d'un régime qu'ils ont souhaité.

S'agissant des indépendants, précisément, certains secteurs sont en crise et nous avons créé une cellule de vigilance sur ce point. Je suis pleinement à l'écoute de leurs préoccupations, en matière de trésorerie et de délais de paiement, notamment.

M. Thierry Benoit m'a également interrogé sur le numérique, et plus particulièrement sur les réseaux d'initiative publique (RIP), au sujet desquels je conviens que nous avons tardé. Nous avons donc décidé d'instaurer un encadrement tarifaire et demandé à l'ARCEP d'élaborer des lignes directrices, qui font actuellement l'objet d'une concertation, pour éviter tout dumping ou surtarification. C'est un facteur de justice et de transparence pour l'ensemble des acteurs et des collectivités territoriales. Ensuite, nous avons créé un cahier des charges permettant de grouper les offres, qui arrivaient parfois de manière émiettée. Je l'ai présenté en juin dernier dans le cadre du plan France très haut débit. Nous devons désormais traiter les 89 dossiers qui sont remontés, presque tous les départements étant couverts. Si besoin est, nous accroîtrons les capacités de l'agence chargée de la mission Très haut débit, dont les agents remarquables ont consacré beaucoup de temps à aider les collectivités à finaliser et améliorer leurs dossiers, parce qu'il est temps qu'elle se concentre sur le traitement desdits dossiers. Les crédits qui ont été votés et qui correspondent aux besoins doivent être délivrés. Je retiens votre argument, monsieur le député, selon lequel il convient de privilégier les territoires qui sont déjà les plus éloignés des services publics, et je m'engage à ce que les dossiers les concernant soient traités en priorité.

Nous avons dès l'origine notifié le plan France très haut débit à la Commission européenne, et la procédure d'interrogation est en passe de s'achever. Mme Margrethe Vesthager, commissaire à la concurrence, m'a fait part lundi dernier de la préoccupation de la Commission. Elle est simple : elle a trait à la montée en débit du réseau compte tenu du fait que cette structure est propre à l'opérateur historique, Orange. La Commission a compris la nécessité de la montée en débit, puisque Orange agit pour le compte des collectivités territoriales et non comme prestataire commercial – ce faisant, cette entreprise est d'ailleurs soutenue par les autres opérateurs. La Fédération française des télécoms a pris attache avec les services de la Commission pour les en convaincre, ce qui plaidera en faveur de notre dossier. La Commission souhaite afficher le caractère exceptionnel de ce dossier compte tenu de la situation de l'opérateur historique français, afin de ne pas créer de précédent dans les autres États. Tout en restant prudent et en respectant pleinement le travail de la Commission, je suis donc confiant, car le travail de persuasion a été conduit et nous avons présenté des arguments objectifs afin que ce dispositif soit validé.

Plusieurs députés m'ont interrogé sur l'apprentissage. L'ambition de revisiter l'ensemble des qualifications n'est en rien contraire à notre objectif de développement de l'apprentissage. Si nous croulions sous la demande et la pression de l'offre, la question serait légitime, mais ce n'est pas le cas. Au contraire, les deux éléments sont complémentaires, d'autant plus que les mesures de simplification que j'ai évoquées tout à l'heure concernent principalement des catégories qui n'entrent pas dans l'activité par l'apprentissage. Chaque année, 150 000 jeunes sortent du système scolaire et ne s'insèrent pas davantage par l'apprentissage ; en revanche, ils s'insèrent plus aisément par le biais de l'entreprenariat individuel et bénéficient souvent de microcrédits. Je n'ai pas la naïveté de croire que cette voie d'insertion constitue une panacée mais, loin de fragiliser la voie de l'apprentissage, elle en est complémentaire.

Pour poursuivre le développement de l'apprentissage, nous avons pris plusieurs mesures au printemps dernier. Mme Myriam El Khomri travaille avec l'ensemble des métiers pour adapter les contenus des apprentissages afin de les adapter aux besoins professionnels, car il apparaît que les qualifications en sont trop éloignées dans plusieurs métiers.

M. André Chassaigne m'a interrogé sur Coface en prenant un contrepied politique auquel je ne m'attendais pas de sa part, puisque nous avons rétabli dans le giron public une part de l'activité d'une entreprise récemment cotée.

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