Intervention de Virginie Duby-Muller

Séance en hémicycle du 17 janvier 2013 à 15h00
Abrogation de la loi visant à lutter contre l'absentéisme scolaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, « la lutte contre l'absentéisme scolaire est une priorité absolue ». Cette déclaration n'est pas de Vincent Peillon, même si le problème est plus que jamais d'actualité, ni même du Président de la République, mais de Nicolas Sarkozy qui, le 5 mai 2010, affirmait la détermination de son gouvernement à mener un combat sans répit contre un fléau en augmentation constante, « un fléau qui ruine dès l'adolescence des milliers de vie en devenir, sape les bases mêmes de la construction et de l'accomplissement de l'individu et détruit les liens du vivre-ensemble » comme le disait à cette même tribune, le 15 septembre 2010, son ministre de l'éducation nationale, aujourd'hui notre collègue Luc Chatel, que je salue avec respect.

Voici, mes chers collègues, la motivation politique du vote et de la mise en place de ce que l'on a appelé depuis la loi Ciotti, du nom de notre collègue auteur de la proposition de loi initiale, que je salue également. Entrée en vigueur début 2011, elle ne visait qu'à renforcer la lutte contre l'absentéisme scolaire qui touchait, en 2010-2011, 5 % des élèves du second degré, avec une pointe à 14,8 % en lycée professionnel. Loi qui, comme vous le savez, a fait l'objet de nombreuses controverses et caricatures, sans avoir d'ailleurs eu le temps de faire ses preuves ni même d'être évaluée.

Tout juste deux ans plus tard, le nombre d'élèves absentéistes est estimé à 300 000 environ, soit 7 % du nombre total d'enfants et d'adolescents scolarisés. Un chiffre dont on sait qu'il croît, qu'il est peut-être même sous-estimé en raison des difficultés de chiffrage que vous avez soulignées, madame la rapporteure.

Le psychiatre Patrice Huerre faisait également remarquer, en plus de l'augmentation de l'absentéisme, un rajeunissement de l'âge auquel il se manifeste : « Auparavant, c'était essentiellement un problème au lycée mais aujourd'hui on le retrouve beaucoup au collège. Tout comme l'usage de l'alcool, de la cigarette et du cannabis. » Vous l'aurez donc compris : le problème de l'absentéisme scolaire, avec ses conséquences désastreuses sur les jeunes, non seulement n'est pas résolu mais même s'amplifie.

Or, on aurait été en droit d'espérer, avec votre nomination à la réussite éducative, madame la ministre déléguée, de voir le dossier de l'absentéisme traité avec plus de recul et de discernement. « Mais ce n'est pas un bon mécanisme » avait jugé le candidat Hollande à propos de la loi Ciotti lors de la campagne présidentielle, promettant de le supprimer. Quatre mois après son élection, dès le 12 octobre, vous vous exécutez en fustigeant un dispositif « simpliste qui a été appliqué un nombre de fois tout à fait ridicule ». Au diable l'idéologie ! Vous auriez au moins pu prendre le temps de la réflexion et de l'évaluation.

Après avoir resitué le contexte politique et les origines de la loi Ciotti, vous me permettrez de revenir sur le problème non réglé de l'absentéisme scolaire.

J'ai échangé avec notre collègue sénateur Jean-Claude Carle, rapporteur d'une commission d'enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs : il a l'intime conviction que la prévention précoce de l'absentéisme et de l'échec scolaire est cruciale pour briser la spirale de la marginalisation et de la violence. Aussi, si l'on ne peut pas affirmer que l'absentéisme et l'échec scolaire, pas plus que les difficultés familiales, sont seuls à l'origine de la délinquance, on ne peut pas nier le rôle qu'ils jouent dans le basculement. En effet, si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas des délinquants, une immense majorité de ces derniers n'a pas réussi à l'école. De même, on ne peut pas nier que l'échec scolaire, entraîné par l'absentéisme, débouche sur une insertion difficile sur le marché du travail et entraîne des risques de chômage élevé.

On retrouve là les 150 000 « décrocheurs » qui quittent l'école sans formation, sans diplôme et par la suite sans emploi et dont il va falloir sérieusement vous occuper madame la ministre.

Il faut par conséquent – insiste Jean-Claude Carle – « coûte que coûte ramener les absentéistes en classe, les maintenir dans un univers scolarisé, structuré par des règles plutôt que de les abandonner à leur sort et les laisser dériver sans repères. Il ne faut pas leur laisser le choix entre l'école et la rue car c'est toujours la rue qui l'emporte ». On doit donc regarder avec lucidité le danger que représente l'absentéisme pour nos enfants et la souffrance personnelle et familiale qu'il reflète.

On l'a vu, l'absentéisme est un phénomène complexe qui ne peut être traité par le biais d'une seule mesure. Il se présente de façon polymorphe et prend une ampleur différente selon l'âge de l'élève, son cycle de formation, son établissement et même les mois de l'année. Ses causes sont aussi très diverses. Les difficultés d'apprentissage et une mauvaise orientation doivent être prises en compte, tout comme les problèmes psychologiques, la violence subie à l'école ou le travail dissimulé.

C'est donc une politique cohérente et globale qu'il faut mener en agissant sur plusieurs leviers : les parents, premiers concernés par l'éducation de l'enfant, l'école et l'environnement urbain ; il s'agit par conséquent de conjuguer les instruments de la politique familiale, de l'éducation nationale et de la politique de la ville.

La loi Ciotti insistait sur le premier levier : la politique familiale. Elle faisait de la responsabilisation et de l'accompagnement des parents, qui sont les premiers éducateurs de leur enfant, un élément clé de la lutte contre l'absentéisme. Le principe en était simple, articulé autour de l'inspecteur d'académie : il s'agissait d'un dispositif gradué et proportionné de suspension partielle des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes.

Ce dispositif ne se voulait pas punitif mais éducatif, la suspension des allocations familiales devant plutôt être considérée comme un moyen d'inciter les parents à superviser les enfants de manière plus attentive et plus active – une telle mesure de dissuasion utilisable en dernier recours pouvant faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation dans laquelle se trouve l'enfant et les contraindre si nécessaire à recevoir une aide adaptée.

Assurer la responsabilisation des familles et les impliquer dans la vie de l'école, tel était l'objectif de la loi Ciotti. Un amendement visait d'ailleurs à renforcer l'importance du dialogue avec les parents en amont en les informant des obligations d'assiduité dès le début de l'année.

Vous le voyez, la loi Ciotti, dans un équilibre lucide et constructif, avançait des éléments de solution qui auraient pu se révéler utiles dans votre projet de refondation de l'école. D'ailleurs, votre proposition de loi, au-delà de l'abrogation de deux dispositifs non évalués, ne fait que proposer une nouvelle procédure d'accompagnement des parents, centrée sur l'établissement scolaire mais associant « toutes les parties prenantes ». Or pourquoi ne pas avoir associé les maires, comme le suggère dans son amendement ma collègue Annie Genevard ? Et pourquoi détricoter la loi Ciotti si vite, sans rien proposer de réellement nouveau ou suffisant pour rescolariser les enfants absentéistes ?

Je n'entrerai pas dans la guerre des chiffres car même le Sénat a reconnu que l'évaluation de l'efficacité de la loi était compliquée ; mais laissez-moi rappeler les données du ministère pour l'année scolaire 2011-2012. La loi Ciotti a conduit à 80 000 signalements et à 60 000 avertissements adressés aux familles. Le premier avertissement a suffi dans 64 % des cas à inciter les élèves à retourner en classe. Au terme de la procédure des deux avertissements, ce sont plus de 97 % des cas qui sont résolus, ce qui démontre l'efficacité du dispositif.

En outre, entre janvier 2011 et août 2012, si la caisse nationale des allocations familiales a suspendu les allocations de 949 familles, seule une dizaine ont vu leur allocation suspendue durant plus de quinze mois, ce qui tend à prouver que le dispositif fonctionne.

Où en est d'ailleurs la publication du rapport de l'IGEN sur l'absentéisme scolaire et les effets de la loi Ciotti ? J'ai adressé à ce propos une question à votre ministre de tutelle restée sans réponse ? Attendez-vous, pour nous répondre, que l'abrogation de la loi votée par la majorité précédente soit décidée par votre majorité ? Ce rapport vous gêne-t-il ?

Dans une récente étude intitulée Aider les parents à être parents, le conseil d'analyse stratégique évoque le développement de dispositifs recourant à la sanction ou à l'incitation financière. Il conclut que leur succès est proportionnel « à l'intensité et à la qualité des services d'accompagnement et l'utilisation avec justesse et parcimonie des sanctions ». Tel est bien l'esprit de la loi Ciotti. À moins que ce ne soit un problème d'idéologie, de valeurs ou de symboles ? Nos enfants valent mieux que cela, surtout les élèves absentéistes, précurseurs des décrocheurs qui ont encore plus besoin de notre aide. En abrogeant ce texte, vous faites donc preuve d'angélisme en plus de mauvaise foi.

La loi que vous voulez abroger aujourd'hui relevait d'une vraie politique sociale de la famille, qui fait grandement défaut dans le système actuel, avec un encadrement social des familles qui en ont besoin et une responsabilisation volontaire, que vous avez caricaturée.

Vous ne nous ferez pas dire non plus qu'elle n'a rien résolu, car il n'y a pas eu, à ce jour, de bilan officiel de son application. Madame la ministre, il aurait été souhaitable d'aller voir de plus près les conséquences de son application, au lieu de réagir par simple idéologie. Cette loi prévoyait un accompagnement des familles concernées, qui tendait à redonner du poids aux familles privées d'autorité sur leurs propres enfants.

À l'UMP, nous pensons que rien ne peut se faire sans les parents, qui ont souvent besoin d'être aidés. Cet accompagnement des parents aurait pu être développé ou retravaillé dans les projets du nouveau gouvernement. Au lieu de cela, vous préférerez sacrifier nos enfants et leur avenir sur l'autel du dogmatisme.

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