Intervention de Gaby Charroux

Séance en hémicycle du 15 décembre 2015 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2015 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGaby Charroux :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État au budget, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, le projet de loi de finances rectificative pour 2015 que nous abordons aujourd’hui, en nouvelle lecture, présente une multitude de dispositions diverses. Leur cohérence et leur ambition sont parfois surprenantes.

Il aborde deux thèmes essentiels sur lesquels la représentation nationale doit prendre position et faire preuve d’esprit d’innovation : le financement des entreprises et la fiscalité écologique.

Alors que notre pays peine à s’ouvrir de nouvelles perspectives économiques et qu’il doit mettre en oeuvre les engagements pris lors de la COP21, ces deux sujets nous paraissent essentiels : nous partageons ce constat avec vous, monsieur le secrétaire d’État.

En ces temps de difficultés économiques, la question du financement des entreprises est évidemment centrale, chacun en conviendra. Bon nombre de nos entreprises peinent en effet à trouver les moyens qui leur permettraient tout simplement d’exister, de pérenniser une activité et des emplois ou de se développer.

Avec ce projet de loi de finances rectificative, vous entendez apporter plusieurs éléments de réponses à ces questions, en opérant des ajustements aux dispositifs ISF-PME et PEA-PME, entre autres. Vous proposez, ainsi, de rendre le PEA-PME plus attractif qu’il ne l’est actuellement

Monsieur le secrétaire d’État, au-delà de la question essentielle de l’efficacité de ces dispositifs et de leur coût pour nos finances publiques, que nous évoquerons au cours de nos débats à venir, je souhaiterais appeler votre attention sur plusieurs points, en particulier sur la façon dont, dans notre pays, l’épargne des ménages est fléchée.

Aujourd’hui, un produit-phare, le livret A, se trouve dans une situation délicate : il subit une décollecte majeure, inédite, que l’on ne peut ignorer tant les fonds qu’il draine remplissent des missions essentielles, notamment le financement du logement social. La faiblesse des taux du livret A pose de sérieuses questions et ne laisse rien augurer de bon.

Son attractivité doit être discutée par la représentation nationale : lorsqu’on veut rendre plus attractif un dispositif d’épargne, il faut être extrêmement vigilant et ne pas le faire au détriment d’autres qui remplissent également des missions essentielles.

Revenons-en à la question du financement des entreprises. Le climat économique est aujourd’hui préoccupant : tout le monde en conviendra. Nos entreprises, notamment les plus petites d’entre elles – les TPE et les PME – souffrent.

Elles souffrent de l’attitude des banques qui rechignent toujours à leur accorder des financements. Les relations entre les banques et les entreprises restent tendues, huit ans après l’éclatement d’une crise financière qui n’en finit pas de faire des dégâts : on le voit sur nos territoires.

Nos entreprises ont, pourtant, des besoins importants à la fois en trésorerie et en fonds propres. Cette situation n’est que peu tenable : d’un côté, les critères d’attribution du crédit par les banques sont bien trop restrictifs et, de l’autre – c’est un point essentiel – les entreprises souffrent de l’état de la demande dans notre pays. Leurs carnets de commande sont vides, les salaires stagnent, les collectivités peinent, et le chômage est endémique.

Sans reprise de la demande, point de salut ni de reprise durable. Et que fait la Banque publique d’investissement, la BPI, dans tout ça ? Est-elle efficace ? Ces questions méritent débat.

La BPI apporte un soutien aux entreprises innovantes mais quid de toutes ces petites entreprises locales qui connaissent aujourd’hui des difficultés ? Voilà bien un domaine où l’on peut réellement citer l’Allemagne en exemple : le secteur public bancaire y est puissant et accompagne, dans la durée, toutes les entreprises au niveau local. Nous devrions nous en inspirer.

Enfin, comme je l’ai déjà évoqué récemment, il serait utile de savoir où sont passés les 1 100 milliards d’euros de la Banque centrale européenne, la BCE. La politique monétaire doit se faire au service de l’économie réelle, pas au service des banques et des autres institutions financières au comportement prédateur et spéculateur.

Pour conclure sur cette question du financement des entreprises, nous pensons que vos propositions devraient avoir plus de force. Vous ne vous extrayez pas de cette tendance, de cette lame de fond qui entend renforcer et consolider des dispositifs de défiscalisation qui ne concernent que quelques dizaines de milliers d’intéressés, qui sont en général privilégiés. De ce fait, vous ratez la cible en revenant toujours aux vieilles recettes qui posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses.

La fiscalité écologique, je l’évoquais au tout début de mon intervention, est également un axe essentiel de ce projet de loi de finances rectificative.

Quelques jours après la conclusion de l’accord de la COP 21, les enjeux sont ô combien importants, et notre fiscalité tout entière doit être au service de la transition énergétique, tournée vers l’avenir afin d’apporter des solutions concrètes en incitant, en encourageant les pratiques vertueuses de nos concitoyens et de nos entreprises.

La fiscalité écologique dans notre pays ne date pas d’hier. Nous collectons actuellement 26,5 milliards d’euros de TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. À ce montant, nous pourrions ajouter le produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la TEOM. Le produit cumulé de ces deux taxes est supérieur à l’impôt sur les sociétés pour 2016. Voilà qui donne un ordre de grandeur intéressant.

Une mesure très concrète pour répondre de manière juste et ambitieuse aux enjeux auxquels nous faisons face pourrait être de mettre en place un nouveau livret d’épargne défiscalisé destiné à la transition écologique, qui pourrait, à titre d’exemple, financer l’investissement dans des infrastructures alternatives à la route, renforcer les opérations d’isolation et de performance énergétique des logements, ou encore permettre l’acquisition de véhicules peu polluants.

Nous reviendrons dans les prochains débats avec des propositions innovantes en la matière, tout en veillant à garantir un équilibre entre les différents produits d’épargne pour qu’ils soient tous tournés vers l’avenir et l’économie réelle.

Mes chers collègues, l’amélioration de notre empreinte énergétique passera nécessairement par la consolidation et le renforcement des moyens financiers publics. Le combat contre l’évasion fiscale doit nous permettre de retrouver les marges de manoeuvre dont nous avons besoin aujourd’hui. Où en est la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ? Le chantier auquel nous devons faire face est immense. Notre pays se doit d’afficher une détermination sans faille et d’obtenir des résultats concrets.

La question des prix de transfert est au coeur de la problématique. Voici quelques éléments de pédagogie pour rappeler les enjeux majeurs du débat.

Le commerce entre firmes d’un même groupe représente, selon les estimations, environ 40 % du commerce mondial. Or ces transactions n’ont pas obligatoirement de contrepartie en termes d’échanges de biens et de services. Elles correspondent parfois à des échanges purement fictifs ou à la surfacturation d’échanges bien réels dans le but principal d’échapper à l’impôt et de localiser les bénéfices dans un territoire à fiscalité privilégiée.

C’est ainsi que de nombreuses multinationales comme Starbucks, McDonald’s, ou Amazon paient un montant d’impôt dérisoire au regard de leur activité réelle. Si leurs revenus avaient été localisés dans les pays où sont implantées ces filiales, les États concernés auraient enregistré de fortes recettes fiscales, des États qui ont le couteau sous la gorge en raison de la dette.

En améliorant la transparence, en faisant la lumière sur ces procédés opaques qui bénéficient aux grandes entreprises et hauts patrimoines, nous parviendrons à faire en sorte que ces pratiques n’aient plus cours. La riposte politique doit être à la hauteur.

Voilà pourquoi la gauche, dans ses diverses sensibilités, socialistes ancrés à gauche, écologiques et députés du Front de gauche, fière de ses valeurs communes, propose une ambition, à la fois juste et réaliste : l’extension de l’obligation de reporting public à l’ensemble des grandes entreprises, quel que soit le secteur d’activité. Clairement, notre Assemblée doit aujourd’hui se mobiliser pour qu’une telle mesure soit adoptée afin de faire la lumière sur l’utilisation par les grandes entreprises des paradis fiscaux.

L’enjeu est colossal, cela a été souligné. Chaque année, la fraude et l’évasion fiscale coûtent à la France entre 60 et 80 milliards de recettes et environ 1 000 milliards à l’Europe. Gabriel Zucman estimait à 8 % le patrimoine financier mondial des ménages se trouvant dans les paradis fiscaux.

Ce combat contre les paradis fiscaux, mes chers collègues, n’est pas seulement financier, il est avant tout d’ordre démocratique. L’existence des paradis fiscaux réduit les moyens de la collectivité et de l’action publique, casse le consentement à l’impôt, augmente les inégalités. Notre Assemblée doit s’unir pour aller dans le sens de la justice fiscale en adoptant la disposition proposée par plusieurs des groupes. Elle enverrait ainsi un signal fort à l’ensemble de nos partenaires européens.

Telle est, mes chers collègues, la démarche qui sera la nôtre dans ces nouvelles discussions budgétaires. Cette ligne de conduite, ces positions fortes et ambitieuses qui doivent permettre de soulever une espérance dans notre pays, nous continuerons à les porter haut pour nos concitoyens et nous continuerons à faire vivre les valeurs de notre République.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion