Intervention de Marie Le Vern

Séance en hémicycle du 16 décembre 2015 à 21h30
Transports collectifs de voyageurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Le Vern :

Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, chaque jour, 10 millions de nos concitoyens empruntent les transports publics de voyageurs pour leurs loisirs ou, le plus souvent, pour se rendre à leur travail, ce qui représente l’expression quotidienne et concrète du droit à la mobilité, lequel est un des piliers de notre République.

Nous le savons, ce droit est menacé. En responsabilité, il est de notre devoir d’apporter les réponses appropriées.

Ce droit est menacé parce que les usagers sont une cible pour les terroristes. Nous avons vécu cet été la tentative avortée du Thalys. La France a été touchée au coeur par les terribles attentats qui ont frappé Paris.

Ces drames nous disent l’urgence d’agir. Mais, malgré cette urgence, la représentation nationale a le devoir de légiférer dans l’apaisement. Ne tombons pas dans le piège tendu par les terroristes, lesquels espèrent que la colère et l’indignation légitimes qui emportent la nation s’exprimeront chez certains, y compris dans nos rangs, par des amalgames injustes et des passions fratricides.

J’ajoute que la sécurité est un ressenti, un sentiment qui relève de la crainte, de la psychologie, du vécu de chacun. Il faut donc traiter ce sujet honnêtement en excluant l’exploitation démagogique, tentante pour certains, mais qui ne serait pas digne des enjeux.

Évitons par conséquent l’amalgame entre terroriste et fraudeur. Cet impératif doit appeler toute notre vigilance : ne jetons pas inutilement la suspicion sur certains. C’est la condition pour que notre travail législatif soit équilibré, respectueux de l’état de droit et des principes fondamentaux de notre justice. C’est aussi la condition du caractère républicain de la proposition de loi.

Les atteintes à la sécurité prennent des visages différents, appellent des dispositifs variés et une réponse politique proportionnée.

Le droit à la mobilité est aussi menacé par un fléau : les incivilités quotidiennes, au premier rang desquelles figurent la fraude et les harcèlements. Aujourd’hui, en France, nos concitoyens, mais aussi des touristes, hésitent à emprunter les transports en commun parce qu’ils craignent d’être exposés à des usagers malveillants.

La sécurité des voyageurs est un continuum, et notre réponse face aux enjeux qu’elle représente ne peut faire l’impasse sur aucune menace. La sécurité de nos concitoyens ne se morcelle pas.

Le texte rédigé par Gilles Savary est une réponse politique globale et adaptée aux menaces qui pèsent sur notre droit à la mobilité. Le groupe socialiste soutient les dispositifs proposés ; il a d’ailleurs contribué à enrichir le texte en commission et continuera à le faire dans la discussion à venir.

Nous sommes notamment parvenus à trouver un modus operandi sur le port d’un document d’identité dans les transports. Il n’était pas envisageable, juridiquement, de contraindre chaque voyageur d’être porteur d’un document d’identité parce que ce n’est pas une obligation dans notre pays. Nous avons donc adopté deux mesures complémentaires.

Celle issue des travaux de la commission des lois permettra la pénalisation d’un contrevenant qui chercherait à se soustraire à l’agent de contrôle, dans l’attente de l’arrivée d’un agent de police judiciaire, seul habilité à contrôler son identité. Il existait autour de cette situation un flou juridique qui empêchait les personnels des sociétés de transports d’incarner une autorité suffisante pour qui connaissait bien la loi.

L’autre mesure du groupe socialiste rend obligatoire la justification de son identité au moyen d’un document, en l’absence de titre de transport et faute d’une régularisation immédiate. Désormais, un fraudeur pris en défaut aura le choix entre s’acquitter immédiatement de l’amende forfaitaire ou bien justifier son identité en vue de régulariser ultérieurement sa situation. S’il s’y refuse, il s’exposera non seulement à une contravention de troisième classe pour non-présentation du titre d’identité, mais aussi à un contrôle en bonne et due forme par un agent de police judiciaire.

Il ne sera bientôt plus possible de frauder dans les transports au grand jour, en profitant des silences de la loi, au nez et à la barbe des usagers honnêtes et des agents de contrôle que ces pratiques inquiètent et révoltent.

Cet arsenal, associé au droit de communication prévu à l’article 9 de la proposition de loi, permettra aux transporteurs d’augmenter leur taux de recouvrement des amendes, estimé aujourd’hui à 14 % pour la RATP et à 10 % pour la SNCF. Le manque à gagner pour les sociétés et les autorités organisatrices de transport ne peut plus être ignoré, dès lors que l’on ambitionne de réaliser l’ensemble des investissements nécessaires à la mise en sécurité des lieux et véhicules de transports publics, comme l’installation de portiques à l’entrée des trains. Le chiffre de 300 millions d’euros par an a été évoqué à plusieurs reprises ; c’est l’équivalent de dix rames de TGV, de trente trains régionaux ou de centaines de kilomètres de voies rénovées.

Il y a donc plusieurs enjeux citoyens, républicains dans cette proposition de loi : celui d’assurer la sécurité dans les transports publics ; celui de s’assurer que chacun s’acquitte du prix juste, toujours adapté grâce aux politiques tarifaires ; celui de poursuivre la modernisation et la sécurisation du réseau.

Je défendrai, au nom du groupe socialiste, un amendement visant à allonger la durée légale de recouvrement des procès-verbaux dressés par les transporteurs, en la portant de deux à quatre mois. Là encore, c’est l’ouverture du droit de communication qui, en laissant entrevoir une politique de recoupement très efficace des coordonnées des fraudeurs, justifie que l’on laisse plus de temps aux transporteurs pour la phase transactionnelle.

Le travail en commission a aussi permis de focaliser l’attention sur un enjeu majeur de la politique de sûreté dans les transports : les violences sexuelles et les harcèlements sexistes, dont sont victimes majoritairement les femmes – mais je n’oublie pas que des hommes, souvent en raison de leur orientation sexuelle, en subissent aussi les effets.

Le groupe socialiste a déposé et fait adopter deux amendements tendant à préciser la responsabilité des autorités organisatrices de transports en matière de lutte contre ce fléau. Les AOT devront notamment publier annuellement un compte rendu de leurs actions dans ce domaine, qu’il s’agisse de répression, de pédagogie ou de recensement. Cela permettra de mettre en lumière une réalité peu connue de nos concitoyens, mais vécue par nombre de voyageurs. La publication de ces informations provoquera, je l’espère, un électrochoc salutaire, qui devrait contribuer à réduire la tolérance sociale. Dans le même article, il est précisé que la formation des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP devra intégrer la réponse à ce type spécifique de violences, afin que les agents soient capables de le faire de manière adaptée et efficace.

Je sais que des efforts conséquents ont été engagés par les transporteurs dans ce domaine. Ces nouvelles mesures ne visent donc pas à les contraindre à s’engager dans cette voie malgré eux ; bien au contraire, il s’agit d’encourager leurs démarches et de les accompagner en leur donnant une valeur législative.

Je veux saluer l’action du Gouvernement, qui a su se saisir du sujet en suivant de près les recommandations du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur, mais aussi le secrétaire d’État chargé des transports et, bien entendu, la secrétaire d’État chargée des droits des femmes avez engagé un plan ambitieux pour lutter contre l’insécurité et les harcèlements que subissent les femmes dans les transports publics. Je citerai quelques-unes des actions nécessaires : l’alerte par SMS, une campagne de sensibilisation d’envergure dans les stations de métro et les gares cet automne ou encore l’expérimentation de l’arrêt à la demande dans les bus de nuit.

Le groupe écologiste a lui aussi fait des propositions en la matière, dont certaines me paraissent pertinentes – nous aurons l’occasion d’en débattre. Je me réjouis que ce sujet ait pu être traité dans le cadre de la présente proposition de loi ; ne pas le faire aurait été une occasion ratée.

Le groupe SRC soutiendra bien évidemment ce texte et sa philosophie. Je remercie le rapporteur Gilles Savary pour son travail. Cette loi est, je le crois, à la hauteur des enjeux. Elle devra, dès sa promulgation, faire l’objet d’une vaste campagne d’information auprès des voyageurs et du public.

Les transports publics sont une des fiertés de la France. Ils contribuent au bien-être de nombreux usagers. Ils constituent une vitrine technologique, une source d’emplois et de richesse. Ils sont aussi un formidable atout pour atteindre les objectifs de la COP21, en renforçant la lutte contre les pollutions. Ils doivent aussi contribuer au mieux vivre ensemble. C’est ce que notre proposition de loi devrait permettre.

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