Intervention de Philip Cordery

Séance en hémicycle du 17 janvier 2013 à 9h30
Adhésion de la croatie à l'union européenne

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue à mon tour M. le président de la Diète croate et M. l'ambassadeur de Croatie. Leur présence montre à quel point les liens d'amitié entre nos deux pays sont étroits.

Dix-sept ans après la fin de la sanglante guerre de Croatie, j'ai le plaisir, aujourd'hui, de vous proposer de ratifier le traité d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne. L'attribution, l'an passé, du prix Nobel de la paix à l'Union européenne nous rappelle notre objectif, notre engagement politique de consolider la paix en conservant l'ouverture qui caractérise le projet européen.

C'est en juin 1999 que l'Union européenne a lancé le processus de stabilisation et d'association, qui est le cadre d'une politique ambitieuse et à long terme vis-à-vis des pays des Balkans occidentaux. La vocation européenne de ces pays a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française, et a été régulièrement réaffirmée depuis. L'entrée de la Croatie dans l'Union européenne ne peut donc être appréhendée de façon isolée : elle inaugure l'extension de l'Union européenne aux Balkans occidentaux, dont tous les pays ont vocation à la rejoindre.

Le fait que l'élargissement aux Balkans occidentaux aille dans le sens de l'histoire ne rend pas pour autant automatique l'intégration de ces pays. Forte de l'expérience retirée des précédents élargissements et consciente des difficultés qu'elle affronte, l'Union européenne a renforcé la qualité et la rigueur du suivi du processus de négociation.

Au cours des négociations avec la Croatie, d'importants efforts ont été réalisés pour assurer une préparation optimale et prévenir les difficultés rencontrées lors des précédents élargissements. Cela confère à cette adhésion un caractère exemplaire pour les adhésions futures.

D'une part, le processus de négociation pour la Croatie fut plus exigeant que celui appliqué lors des élargissements de 2004 et 2007, du fait de l'augmentation du nombre de chapitres de l'acquis communautaire. D'autre part, l'Union européenne a fait preuve d'une grande fermeté sur certains dossiers, par exemple en matière de sécurité, de transports ou de contrôles vétérinaires, pour lesquels elle a refusé toute dérogation. La Croatie a aussi dû procéder à des investissements importants pour sécuriser les futures frontières extérieures de l'Union européenne.

Le contenu du traité d'adhésion, s'agissant de l'intégration de l'acquis communautaire, est tout à fait satisfaisant. Peu d'exemptions sont prévues, alors que figurent des clauses de sauvegarde et deux périodes transitoires introduites à la demande de l'Union européenne. L'une d'elles, dont M. le ministre a déjà parlé, restreint l'accès au marché du travail des salariés croates. À ce jour, la France n'a pas fait connaître sa position quant à la durée de cette période transitoire. Pourriez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, quant aux intentions du Gouvernement à ce sujet ?

Sur les autres aspects du traité, notamment institutionnels et budgétaires, l'intervention de M. le ministre a été exhaustive : je n'y reviendrai pas.

Enfin, toujours dans le souci de renforcer la qualité du processus d'adhésion, un mécanisme spécifique de suivi renforcé, qui fait le lien entre les négociations et l'adhésion, a été introduit suite à une initiative conjointe franco-allemande. Il porte une attention toute particulière aux questions de justice et de droits fondamentaux, ainsi qu'à la restructuration des chantiers navals, sans pour autant s'y limiter. Il permet à la Commission d'évaluer, chapitre par chapitre, le respect des engagements pris au cours des négociations d'adhésion, et d'en référer au Conseil. Des modalités spécifiques pour l'adhésion de la Croatie à l'espace Schengen ont également été agréées dans le cadre de ce mécanisme de suivi renforcé.

Dans son dernier rapport, remis le 10 octobre 2012 dans le cadre de ce processus de suivi renforcé, la Commission a souligné le fait que l'alignement croate est désormais quasi complet, tout en identifiant les domaines dans lesquels des efforts restent nécessaires d'ici au 1er juillet 2013, et en établissant à cet effet une liste de dix actions. Le rapport de suivi que la Commission remettra au printemps prochain – qui, en théorie, doit être le dernier avant l'adhésion – se concentrera sur ces dix actions. Le 11 décembre dernier, les 27 États membres se sont félicités d'accueillir bientôt la Croatie au sein de l'Union européenne, ont pris note des progrès et ont appelé à poursuivre ces efforts.

La Croatie devrait donc présenter un niveau de préparation très satisfaisant à la date du 1er juillet prochain. Elle pourra dès son adhésion consolider et développer son poids en Europe. Il faut rappeler que l'économie croate est d'ores et déjà étroitement liée à celle de l'Union européenne, qui représente 60 % de ses échanges commerciaux, et que son PIB par habitant a atteint 61 % de la moyenne de l'Union européenne, dépassant ainsi plusieurs nouveaux États membres.

J'insisterai plus particulièrement sur les aspects politiques. La Croatie est un pays profondément européen, qui voit dans l'Union européenne la possibilité de consolider la paix, la liberté et la prospérité sur le continent, et à ce titre souhaite son renforcement. Pour la Croatie, le chemin ne s'arrête pas le jour de l'adhésion : il faut le souligner. Nous accueillons un État convaincu de la nécessité de faire progresser l'Union européenne, qui manifeste un intérêt prononcé pour développer des solutions nouvelles et construire des politiques communes. C'est évident en matière de politique de voisinage, et plus largement de politique étrangère. Ça l'est aussi en termes d'évolution vers une architecture différenciée qui permettra plus d'Europe et mieux d'Europe.

Concernant la politique étrangère européenne, la Croatie s'est déjà fortement investie. Elle a acquis une grande expérience des situations post-conflit et de renforcement des institutions. Il est intéressant de souligner que dans le cadre des négociations relatives aux chapitres « Relations extérieures » et « PESD », la Croatie s'est engagée à reprendre l'intégralité de l'acquis, sans exemption, et à s'aligner sur les stratégies et actions communes de la PESC. Elle est évidemment très investie sur les questions relatives à son voisinage immédiat. La déclaration du Parlement croate d'octobre 2011 relative à la promotion des valeurs européennes dans l'Europe du Sud-est a confirmé son engagement à soutenir les autres pays de la région dans leur cheminement vers l'Union européenne. La Croatie a par ailleurs continué à coopérer dans les affaires de crimes de guerre et contribue toujours activement au processus de la déclaration de Sarajevo afin de parvenir à une solution durable pour tous les réfugiés de la région.

Je dirai quelques mots des relations bilatérales que la Croatie entretient avec ses voisins. Elles sont globalement très bonnes. L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne aura d'ailleurs des conséquences importantes sur le plan économique, puisqu'elle quittera l'accord de libre-échange d'Europe centrale. Elle aura aussi des conséquences géopolitique, du fait de l'accès à la mer de la Bosnie-Herzégovine, qui coupe le territoire croate sur une dizaine de kilomètres.

Il existe également des difficultés récurrentes avec la Slovénie. Un différend bancaire bilatéral né à la suite de l'effondrement de la Fédération yougoslave menace à l'heure actuelle le processus de ratification en Slovénie. L'élection à la présidence de la République de Slovénie de M. Pahor, qui avait permis le déblocage du dossier du différend frontalier sur la baie de Piran, est un signe positif. À ce jour, toutefois, la Slovénie demeure le seul pays à ne pas avoir engagé un processus de ratification du traité d'adhésion de la Croatie. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer si des progrès ont été réalisés à ce sujet, au moins pour que ce différend soit traité indépendamment de l'adhésion ?

Concernant la poursuite de l'approfondissement, la Croatie est disposée à concéder des transferts de souveraineté et voit d'un bon oeil les efforts déployés pour renforcer l'Union européenne, y compris par une intégration plus poussée de l'union économique et monétaire. À cet égard, la Croatie a fait part de sa volonté de participer à l'exercice du semestre européen 2013 avant même sa pleine adhésion. Elle prépare déjà son entrée dans la zone euro, espérant être prête d'ici cinq à six ans, et escompte également être rapidement prête à intégrer l'espace Schengen.

Sur de nombreux dossiers, nous partageons une vision commune. Je suis persuadé que nos relations bilatérales se renforceront encore avec l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Nos relations politiques se sont déjà fortement densifiées, comme l'a démontré la récente visite du Président Ivo Josipovic au Président de la République, François Hollande. Notre partenariat stratégique, signé en juillet 2010, a permis à la France d'aider la Croatie à mieux se préparer à son adhésion prochaine à l'Union européenne, notamment pour les questions relatives au renforcement des institutions. Il permettra de poursuivre notre appui aux capacités administratives croates au-delà de l'adhésion, et de développer encore plus notre coopération économique et culturelle. L'organisation de la saison culturelle croate en France « Croatie, la voici » a d'ailleurs été un beau succès.

Dans le cadre de l'Union européenne, au-delà des grandes réformes institutionnelles qui nous attendent, l'amélioration du marché intérieur et le renforcement du modèle social européen sont des priorités partagées par le président du gouvernement croate, Zoran Milanovic, et notre gouvernement.

À cet égard, l'élargissement ne doit pas se confondre, comme on l'entend, malheureusement, trop souvent, avec une dissolution du projet politique au profit de la généralisation d'une économie libérale porteuse de moins-disant social et de délocalisations.

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