Intervention de Pascal Brice

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides :

C'est un honneur de revenir devant votre commission à l'issue de mon mandat, à la fois pour vous rendre compte de l'action engagée au cours de ces trois années et pour vous faire part de ce que doivent être, selon moi, les objectifs de l'OFPRA et la poursuite de l'action à la direction de l'office pendant les trois années qui viennent, si vous décidez du renouvellement de ce mandat.

Je suis conscient de la responsabilité qui incombe au directeur général de l'OFPRA dans le contexte que vous avez rappelé, madame la rapporteure. Celui-ci est marqué par trois éléments : l'importance de la politique de l'asile dans l'histoire de notre République ; la mise en oeuvre de la loi relative à la réforme du droit d'asile que vous avez adoptée en juillet dernier – et dont je salue la rapporteure, Mme Sandrine Mazetier ; la situation en Europe et dans le monde, avec, notamment, la poursuite du conflit en Syrie. C'est dans ce cadre que l'OFPRA devra amplifier son action au cours des trois prochaines années.

En matière d'asile, la France n'est pas dans la même situation que l'Allemagne : compte tenu de la reprise de la demande d'asile depuis l'été dernier, que vous avez mentionnée, madame la rapporteure, nous aurons probablement un peu moins de 80 000 demandes d'asile en 2015, contre 500 000 à 800 000, voire 1 million outre-Rhin. Je précise à nouveau ce point, car il y a parfois des confusions à ce sujet.

Néanmoins, notre pays est confronté à trois défis, que l'OFPRA doit continuer de relever.

Il s'agit, d'abord, d'aller au bout de la réforme engagée, en particulier en matière de réduction des délais d'instruction. Nous devons atteindre l'objectif que le Président de la République et le Gouvernement ont fixé, que vous avez inscrit dans la loi et qui figure dans le COP de l'OFPRA : un délai d'instruction moyen de trois mois à la fin de l'année 2016.

Dans le même temps, il convient d'accroître la réactivité de l'OFPRA. Telle a été notre volonté – je vous remercie de l'avoir souligné, madame la rapporteure – et telle elle demeure. Il faut que nous soyons capables d'intervenir de manière particulière là où la situation l'exige. Je pense notamment aux missions d'instruction que nous avons déployées dans les régions – c'est-à-dire dans vos circonscriptions –, notamment à Lyon, à Metz, à Grenoble, à Strasbourg, à Bordeaux, à Lille, à Calais et à Cayenne, mais aussi à l'étranger, au Proche-Orient.

Enfin, il reviendra à l'OFPRA de réussir, dans les meilleures conditions, l'accueil des demandeurs d'asile ayant un besoin manifeste de protection. Je songe en particulier aux quelque 30 000 demandeurs d'asile qui viendront dans notre pays au cours des deux prochaines années dans le cadre des dispositifs européens de relocalisation et de réinstallation. En d'autres termes, l'OFPRA devra, plus que jamais, prendre toute sa part dans une politique d'accueil des réfugiés digne, organisée, maîtrisée et assortie de toutes les précautions nécessaires, notamment du point de vue des impératifs de sécurité.

En écho à vos propos, madame la rapporteure, je reviens sur le chemin parcouru. Je crois pouvoir dire devant votre commission que l'OFPRA a progressé au cours des trois dernières années, dans la ligne du mandat qui émanait de ma première audition devant vous et du COP de l'OFPRA. Je me référerai à trois indicateurs.

Le premier objectif de l'OFPRA est, conformément à sa mission fondamentale, de renforcer sa capacité à protéger : l'office ne doit pas passer à côté d'un besoin de protection lorsqu'il existe. Nous avions relevé ensemble une étrangeté, voire une anomalie juridique dans le système français : de longue date, la CNDA accordait un nombre de statuts de réfugié et de protections subsidiaires plus élevé que l'OFPRA, tout en statuant dans un délai plus bref. Nous avons mis un terme à cette anomalie : depuis trois ans – cela a notamment été le cas en 2015 –, les trois quarts des décisions de protection sont prises par l'OFPRA. Ainsi, le taux d'accord de l'OFPRA est passé de 9 à 23 %, le taux global de protection – résultant des décisions de l'OFPRA et de la CNDA – passant, lui, de 23 à 31 %. Nous avons progressé sur un point fondamental : lorsque le besoin de protection existe, c'est à l'OFPRA de le reconnaître ; lorsqu'il n'existe pas, c'est aussi à lui de rejeter la demande d'asile. C'est là le fruit de notre réforme interne et des différents dispositifs que nous avons mis en place.

Le deuxième objectif de l'OFPRA est de réduire les délais d'instruction pour atteindre la cible que le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement nous ont assignée : un délai moyen d'instruction de trois mois à la fin de l'année 2016. Cela suppose que l'OFPRA traite l'ensemble des demandes d'asile en attente depuis plus de trois mois – ce que nous appelons de manière un peu brutale le « stock ». Or, au cours des trois dernières années, nous sommes parvenus à réduire ce stock de 36 %, non seulement grâce à la stabilisation de la demande d'asile jusqu'à cet été, mais aussi grâce à une augmentation de 27 % de l'activité de l'OFPRA. Celle-ci a été permise par les recrutements que vous avez bien voulu voter – les effectifs de l'OFPRA ont augmenté de 40 % au cours de la période –, mais relève aussi, pour un quart, de gains d'efficacité résultant de la réforme de l'office, du développement de l'expertise de l'instruction et de la réorganisation des services.

Le troisième objectif de l'OFPRA, inscrit dans le COP, est d'améliorer les conditions de travail et la qualité du travail des agents. À mes yeux, il est indissociable des deux objectifs précédents. Je crois pouvoir affirmer que l'office a également progressé en la matière. Ainsi, le taux de rotation des officiers de protection instructeurs est passé de 16 % en 2013 – ce chiffre avait frappé plusieurs d'entre vous ainsi que de nombreux observateurs – à 9 % cette année. C'est le fruit de la mobilisation de notre politique des ressources humaines, de la mise en oeuvre des dispositifs de « déprécarisation » issus notamment de la loi Sauvadet et de la poursuite du dialogue social avec les organisations syndicales.

Ces trois objectifs ont été atteints grâce à l'engagement et à la qualité de l'expertise des agents de l'OFPRA – vous l'avez souligné, madame la rapporteure, et je tiens à mon tour à leur rendre hommage devant votre commission –, grâce aux moyens supplémentaires que vous avez votés sur la proposition du Gouvernement, et grâce à l'action conjuguée des différents acteurs de l'asile. Dans le respect de son indépendance fondamentale, l'OFPRA a établi un dialogue régulier avec ces acteurs, notamment avec les associations, qui jouent, dans notre pays, un rôle essentiel auprès des administrations au bénéfice des demandeurs d'asile et des réfugiés.

Nous ne sommes pas au bout du chemin : l'OFPRA doit continuer à s'adapter. Je serai heureux, si vous en acceptez le principe, de poursuivre et d'amplifier cette action au cours des trois prochaines années dans un contexte, évidemment, évolutif. Tel est d'ailleurs l'objet de la discussion que j'ai engagée avec les services du ministère de l'Intérieur et du ministère du Budget à propos du COP pour la période de 2016 à 2018, avec, comme point d'ancrage, la loi que vous avez votée en juillet dernier.

À cet égard, j'insisterai sur quatre éléments fondamentaux.

Premièrement, l'OFPRA doit être en mesure d'exercer pleinement sa mission de protection lorsqu'il y a lieu de protéger. Il s'agit d'aller au bout des réformes que nous avons engagées : nous devons achever la modernisation de l'expertise de l'instruction ; nous devons mener à bien, au cours de l'année 2016, le chantier engagé en matière d'interprétariat, en signant notamment une charte de l'interprétariat avec les employeurs de nos collègues interprètes ; nous devons mettre en oeuvre pleinement la loi relative à la réforme du droit d'asile, ainsi que nous avons commencé à le faire depuis le 20 juillet dernier. La loi donne notamment à l'OFPRA la faculté de classer certaines demandes pour qu'elles soient traitées selon la procédure accélérée et, à l'inverse, d'en déclasser d'autres pour qu'elles soient examinées selon la procédure normale. Nous avons déjà utilisé la faculté de déclassement et envisageons d'avoir recours prochainement, pour la première fois, à celle de classement.

Notre capacité à protéger passe aussi par le renforcement de notre capacité à écarter de notre système de l'asile des personnes dont le profil ne répondrait pas aux principes fondamentaux du droit d'asile, soit parce qu'elles auraient commis des actes contraires à la Convention de Genève, soit parce qu'elles représenteraient une menace pour la sûreté de l'État. L'expertise des officiers de protection nous permet de le faire, et la Convention de Genève nous donne des outils à cet égard, que la loi a confortés.

Deuxièmement, il nous faudra aller au bout de la démarche de réduction des délais d'instruction. Les moyens nous ont été donnés pour ce faire : notre réforme interne et les effectifs qui nous ont été accordés nous permettront à la fois de mener à bien l'instruction des demandes d'asile en attente et d'accueillir, au cours des deux prochaines années, les quelque 30 000 demandeurs d'asile qui viendront dans notre pays dans le cadre du dispositif de relocalisation. À cet égard, je mentionne un point d'attention : nous devrons éventuellement ajuster les effectifs à l'évolution de la demande d'asile constatée depuis cet été. Je souhaite naturellement que le Gouvernement et le Parlement continuent à faire preuve de la même réactivité que ces derniers temps si cela s'avérait nécessaire.

Dans le cadre du COP, il reviendra à l'OFPRA de réussir à concilier l'efficacité et la mise en oeuvre des garanties nouvelles que vous avez instituées dans la loi relative à la réforme de l'asile, notamment la présence du tiers lors des entretiens, qui est d'ores et déjà une réalité depuis le 20 juillet dernier. Ainsi que vous l'avez indiqué très justement, madame la rapporteure, cette conciliation est au coeur même du texte. Je remercie à nouveau les parlementaires d'avoir prévu dans la loi les éléments qui nous permettent de faire vivre ces garanties nouvelles de manière efficace, en sus des moyens supplémentaires qu'ils nous ont accordés.

Troisièmement, il conviendra d'améliorer le service rendu aux usagers. Il me paraît impératif de réduire le délai excessif d'établissement des actes d'état civil pour les personnes protégées – je dois reconnaître devant vous qu'il s'agit d'un point noir dans les résultats de l'OFPRA. Grâce aux moyens qui nous ont été accordés depuis cet été et aux recrutements qui vous sont proposés pour le mois de janvier prochain, nous devrions pouvoir revenir à des délais normaux en la matière en 2016.

Je souhaiterais aussi que l'OFPRA réalise un « saut numérique » au cours des trois prochaines années. En particulier, chaque demandeur d'asile devrait disposer d'un compte numérique lui permettant de se faire une idée précise du stade d'instruction de son dossier.

Quatrièmement, il faut poursuivre l'amélioration des conditions de travail et de la qualité du travail des agents. À cet égard, l'évolution de leur statut est, à mes yeux, un chantier majeur. Depuis 1993, les agents de l'OFPRA appartiennent à des corps spécifiques, ce qui constitue une garantie d'indépendance pour l'office, mais présente l'inconvénient de freiner leur mobilité. Avec l'appui des députés, que je remercie, notamment Mme la rapporteure de la loi relative à la réforme de l'asile, nous sommes parvenus à obtenir l'accord des ministères de l'Intérieur et de la Fonction publique pour que les agents de l'OFPRA, notamment les officiers de protection, rejoignent un corps interministériel, tout en conservant leurs garanties d'indépendance dans la mesure où ils demeureront gérés par l'office, à l'instar de ce qui existe à l'Office national des forêts ou à la Caisse des dépôts et consignations. Ce chantier concernera aussi, selon d'autres modalités, les agents des catégories B et C.

Telle doit être, selon moi, la feuille de route de l'OFPRA pour les trois prochaines années. En mettant en oeuvre notre réforme interne très tôt, avant la crise migratoire que vous avez rappelée, nous avons eu la bonne intuition. Grâce aux moyens que vous nous avez donnés, nous avons pu conforter notre action dans ce contexte. Au cours des trois années qui viennent, nous devrons sans cesse adapter l'OFPRA à ses nouvelles missions, en faisant évoluer ses effectifs, son mode de fonctionnement et son organisation interne. Il s'agira d'un impératif constant.

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