Intervention de Pascal Brice

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Pascal Brice, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides :

Monsieur Larrivé, la liste des pays d'origine sûrs est un outil qui est entre les mains du conseil d'administration de l'OFPRA. Il a fait l'objet d'une refonte dans le cadre de la loi que vous avez adoptée, qui est d'ores et déjà entrée en application : lors de sa dernière réunion, avant même d'ailleurs d'adopter sa nouvelle configuration prévue par la loi, le conseil d'administration a procédé à un réexamen de la liste des pays d'origine sûrs au regard des critères que vous avez inscrits dans la loi en application de la directive européenne pertinente. Cela a conduit à l'ajout du Kosovo sur cette liste et au retrait de la Tanzanie.

J'ai souhaité engager très tôt la coopération bilatérale avec nos homologues européens, notamment lors de la phase d'élaboration de la réforme interne de l'OFPRA, de manière à nous inspirer de ce qui pouvait se faire d'utile chez eux. Parfois, nos partenaires viennent eux aussi observer ce que nous mettons en oeuvre. Cette coopération se poursuit, notamment avec nos collègues allemands, bien sûr, mais aussi suédois, belges et néerlandais.

Notre coopération se développe également avec le Bureau européen d'appui en matière d'asile, dont la vocation est principalement de favoriser le partage de l'information sur la situation dans les pays d'origine de la demande d'asile. De ce point de vue, ce bureau peut encore améliorer sa contribution au bon fonctionnement du système de l'asile. En outre, il concourt à la mise en place du dispositif de relocalisation, qui sera effectif dans les mois qui viennent.

S'agissant des déboutés du droit d'asile, je vous confirme, monsieur Larrivé, que, conformément à la loi, les décisions prises par l'OFPRA sont portées à la connaissance des préfectures, via une application informatique, de manière que les préfets soient en mesure de prendre la décision qu'ils jugent la plus appropriée pour leur part.

Madame Crozon, les demandeurs d'asile syriens font l'objet, vous le savez, d'une attention toute particulière de la part de l'OFPRA. Dans la loi que vous avez votée, vous avez prévu que l'office puisse traiter plus rapidement des demandes d'asile émanant de personnes ayant un besoin manifeste de protection. Tel est bien évidemment le cas des Syriens, qui fuient à la fois la dictature et les exactions de Daech. Nous instruisons leurs demandes d'asile dans un délai très bref, trois mois au maximum, sauf lorsque le dossier nous semble nécessiter une instruction plus approfondie et plus longue, notamment lorsqu'il s'agit d'anciens collaborateurs du régime ou de personnes à propos desquelles nous avons des doutes quant à une possible implication dans des mouvements islamistes radicaux. De manière générale, le taux d'accord est très élevé : plus de 97 %. Depuis le début de ce terrible conflit, 9 500 Syriens ont été protégés par l'OFPRA.

Nous allons bien évidemment poursuive cette action, notamment dans le cadre du processus de relocalisation. Conformément aux engagements pris par le Président de la République au niveau européen, la France accueillera plus de 30 000 personnes en deux ans, au titre de la relocalisation, mais aussi de la réinstallation. Sur ce dernier point, vous avez souligné, madame la rapporteure, combien nous sommes attachés aux missions désormais régulières que nous menons en Jordanie, en Égypte et au Liban, afin de protéger sur place, avec le HCR, des réfugiés syriens ou palestiniens de Syrie.

Dans le cadre de la relocalisation, nous allons accueillir des personnes ayant un besoin manifeste de protection, non seulement des Syriens, mais aussi des Irakiens et des Érythréens, les taux de protection concernant ces trois pays étant supérieurs à 75 %. L'OFPRA a bien évidemment vocation à être présente auprès des populations qui fuient ces conflits ou qui sont menacées en raison de leur engagement politique ou de leur croyance religieuse – tel est le cas des Chrétiens d'Irak et des Yézidis, pour lesquels nous avons également mis en place une procédure particulière.

La présence d'un tiers lors des entretiens est en effet l'une des grandes avancées de la loi que vous avez votée, en application de la directive européenne « procédures ». L'OFPRA s'est préparé à cette évolution de longue date, notamment à travers des formations auxquelles ont été associés des avocats et des associations. Il a mis en oeuvre cette disposition dès le 20 juillet, avant même que la loi n'entre en vigueur, dans la mesure où elle avait un effet direct, de même que d'autres dispositions de la directive. J'ai pu prendre très rapidement la décision organisant la présence d'un tiers lors des entretiens, que vous aviez prévue dans la loi. Elle est strictement conforme à ce que vous aviez souhaité. Je vous confirme que, depuis lors, des avocats et des associations participent aux entretiens.

Plusieurs associations se sont manifestées pour être habilitées. En m'appuyant sur la définition que vous avez précisée dans la loi, j'ai habilité la plupart d'entre elles et agréé leurs membres. Il s'agit notamment de la Cimade, de Forum réfugiés, de l'Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour (ARDHIS), de l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFé) et de l'Ordre de Malte.

Actuellement, les avocats sont plus présents que les associations lors des entretiens. Cependant, les associations viennent en nombre croissant, notamment dans les centres de rétention – tel est notamment le cas de l'Ordre de Malte. Le cadre que vous avez fixé permet aux officiers de protection de conduire les entretiens dans de très bonnes conditions. La présence du tiers bénéficie à la fois aux demandeurs d'asile et à la qualité de l'instruction.

Ainsi que je l'avais indiqué au cours de mon audition il y a trois ans, la lutte contre les violences faites aux femmes fait partie des priorités de l'OFPRA. Au cours des trois dernières années, les officiers de protection, chefs de section, identifiés comme référents sur cette question au sein de l'OFPRA ont accompli un travail important que je salue. Ils ont notamment suivi des formations – l'une d'elles a été organisée récemment par France terre d'asile et Libres Terres des femmes. Des référents ont également été désignés sur d'autres thèmes : les violences contre les homosexuels et les lesbiennes, la torture, la traite des êtres humains ou encore les mineurs isolés. Outre ce travail de sensibilisation des officiers de protection et d'information, l'OFPRA a élaboré des outils d'appui à l'instruction et une doctrine, dans le strict respect de son indépendance, en liaison avec le monde associatif et les autres institutions concernées, notamment la justice et le ministère de l'Intérieur.

Je suis convaincu que l'OFPRA a renforcé sa capacité à protéger les personnes ayant des besoins spécifiques de protection, même s'il nous reste encore des progrès à faire en la matière. Ces besoins sont souvent, vous le savez, difficiles à identifier, ne serait-ce que parce que la verbalisation par les personnes qui ont subi des tortures, par celles qui fondent leur demande d'asile sur leur orientation sexuelle ou par les femmes qui ont été victimes d'un réseau de proxénétisme prend du temps. Et cela suppose une capacité d'écoute de la part des officiers de protection. Je confirme que l'OFPRA applique pleinement la règle selon laquelle l'entretien est conduit en présence d'un interprète du même sexe que le demandeur ou la demandeuse s'il ou elle le souhaite en raison du motif de sa demande.

Monsieur Verchère, le dispositif de relocalisation nous amènera à protéger très exactement 32 000 personnes dans les deux prochaines années. Il est encore « en rodage » : à ce stade, dix-neuf personnes en provenance d'Érythrée sont arrivées à ce titre dans la région nantaise, il y a quelques semaines. Le système fonctionne de la manière suivante : les personnes dont la nationalité syrienne, irakienne ou érythréenne a été établie dans les hot spots bénéficient d'une présomption de protection, c'est-à-dire d'une présomption qu'ils relèvent bien du droit d'asile, les taux d'accord pour ces trois pays étant très élevés. Après les vérifications de sécurité effectuées par le ministère de l'Intérieur, ces personnes arrivent sur le territoire national, où leur demande d'asile est examinée – cette instruction a lieu sur place, comme cela s'est fait à Nantes il y a quelques semaines. Conformément à notre droit, seul l'OFPRA peut leur reconnaître la qualité de réfugié. S'il apparaît que l'une de ces personnes ne relève pas de ce statut pour une raison ou pour une autre, l'OFPRA rejettera sa demande. Elle relèvera alors du droit commun, notamment en ce qui concerne les recours.

Je vous remercie, monsieur Mennucci, pour votre question sur la numérisation, car elle fait partie des enjeux de transformation de l'OFPRA.

Un premier chantier, engagé par mon prédécesseur, consiste à numériser les dossiers des demandeurs d'asile. Nous allons le mener à bien au cours de l'année 2016. Cette dématérialisation complète de la gestion des dossiers permettra à l'OFPRA, j'en suis convaincu, de mieux organiser son travail et de gagner en efficacité.

D'autre part, au cours des trois dernières années, même si nous avons encore des progrès à réaliser en la matière, nous avons amélioré notre capacité à travailler en liaison avec l'ensemble des acteurs de l'asile, notamment avec le monde associatif, dans le strict respect de l'indépendance et de la déontologie des officiers de protection. L'OFPRA a notamment organisé, il y a quelques mois, une première journée « portes ouvertes », au cours de laquelle il a accueilli 600 avocats et membres des associations. Il a également des contacts réguliers avec les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA).

Cependant, nous devons encore progresser dans nos contacts avec les usagers. Il s'agit notamment de mieux les informer. Si vous renouvelez mon mandat, je souhaite mettre en place une application numérique qui permette à chaque demandeur d'asile de savoir à quel stade en est l'instruction de son dossier. C'est ce dispositif – qui reste à inventer – que je visais dans mon propos.

Madame Mazetier, la lutte contre l'impunité est l'une de mes préoccupations constantes depuis trois ans. Je suis heureux que les parlementaires, notamment votre commission, aient prévu dans la loi des outils qui nous permettent de progresser encore en la matière, notamment en protégeant la confidentialité de certaines sources et en excluant du système de l'asile des personnes qui auraient commis des actes contraires à la Convention de Genève ou qui constitueraient une menace pour la sûreté soit de l'État, soit de la société, compte tenu de condamnations dont ils auraient fait l'objet.

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