Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Je commence par vous remercier, monsieur le rapporteur, de votre implication très forte dans la préparation de ce texte.

Vous m'interrogez sur son titre : loi pour une République numérique. Tout débat de nature politique sur ce titre sera naturellement le bienvenu. Vous faites référence à d'autres titres qui ont existé, notamment «  projet de loi relatif à l'ambition numérique de la France  ». Jamais dans notre histoire législative un texte n'aura fait l'objet d'une telle transparence : toutes les versions martyres qui ont circulé ont été connues du grand public et étroitement analysées par les journalistes, qui m'interrogent souvent sur les raisons qui ont conduit à introduire ou au contraire à supprimer telle ou telle mesure. Dans un cadre plus ordinaire, où les projets de loi ne sont connus que lorsqu'ils sont présentés en Conseil des ministres, ce ne serait pas possible. Il sera sûrement intéressant pour les chercheurs, plus tard, d'examiner la genèse de ce texte.

Ce texte ne comporte pas, c'est vrai, de chapitre relatif au financement des entreprises, et en particulier des jeunes entreprises innovantes. N'y voyez pas une absence de volonté politique : ce n'est absolument pas le cas ; nous faisons énormément pour favoriser les écosystèmes d'innovation, avec l'Initiative French Tech, avec des dispositifs de financement mis en place dans le cadre de la Banque publique d'investissement… Mais nous n'avons repéré aucune mesure législative qui permettrait d'aller plus loin, sauf peut-être dans le domaine fiscal, mais celui-ci relève de la loi de finances.

De nombreux pays ont choisi, pour renforcer leur attractivité économique, de se donner des titres : Israël s'est ainsi appelé la start-up nation, Londres a mis en avant la Tech City, et chacun connaît la Silicon Valley californienne. La France aurait sans doute du mal, culturellement, à se définir comme « la nation des start-up ». La France est une République ; elle peut devenir la République des start-up.

Mais la République numérique va bien au-delà : il faut prendre conscience de la profondeur des bouleversements sociaux, économiques et culturels qu'entraîne le numérique : il révolutionne nos façons de travailler, de produire, de consommer, d'apprendre, d'enseigner, de communiquer… Parfois, notre appareil institutionnel n'est plus en phase avec ces évolutions si rapides. Il faut donc adapter le logiciel républicain, tout en restant fidèle à nos valeurs. Ce texte parle de liberté, de fraternité et d'égalité : liberté d'accès au savoir et aux données, accès égal au réseau, solidarité entre les territoires.

Quant à la procédure accélérée, elle présentait notamment l'avantage de permettre l'inscription de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale sans respecter totalement le délai prévu entre le passage en Conseil des ministres et le dépôt au Parlement. Nous avons ainsi gagné quelques jours. Cette procédure ouvre également, c'est exact, la possibilité de ne faire qu'une seule lecture dans chaque assemblée. Il va de soi qu'un tel choix serait fait en concertation avec les parlementaires, et que nous ne le ferons que si les lectures des députés et des sénateurs sont assez concordantes. Il ne s'agit bien sûr en aucune façon de brider le Parlement : j'ai justement beaucoup insisté sur la nécessité de la transparence et du débat public. Je suis tout à fait persuadée que le numérique doit cesser d'être réservé aux experts et aux techniciens : les enjeux sont si forts qu'il est indispensable que la représentation nationale se les approprie. Quelque décision que nous prenions, soyez assurés qu'elle le sera en concertation avec les parlementaires, notamment avec les présidents des commissions saisies au fond.

Vous m'interrogez également sur la gratuité de l'open data, c'est-à-dire des données produites par les administrations et ouvertes. Ce sont des questions qui peuvent paraître complexes : ces données, dont la production est financée par le contribuable, doivent-elles être vendues ou mises gratuitement à disposition ? Certains argueront qu'elles n'appartiennent pas aux administrations, mais à nos concitoyens, et devraient donc être gratuites. D'autres avanceront que des organismes comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) doivent justement, pour remplir leur mission de service public, se reposer sur un modèle économique et être rémunérés pour la mise à disposition des données qu'ils produisent : dès lors, il faudrait introduire un système de redevance. Cette question aurait en effet pu se poser dans le cadre de la discussion du projet de loi présenté par Mme Clotilde Valter, mais le Gouvernement a préféré, pour que le débat soit vraiment global, l'inscrire dans ce projet-ci. Le Gouvernement travaille notamment sur la possibilité d'établir un système de complémentarité, en étroite collaboration avec les organismes concernés, afin de ne pas leur imposer un schéma qui mettrait en péril leur existence.

La logique qui a aujourd'hui mes faveurs est celle que l'on appelle freemium : les données sont gratuites au début, pour des usages modestes ou restreints, puis deviennent payantes au fur et à mesure qu'on les utilise de façon plus importante, et notamment pour les grandes entreprises qui en font un usage intensif, pour du big data. Plus précisément, les données seraient gratuites si elles sont reversées de manière libre et ouverte à la communauté, notamment sur le portail du Gouvernement : c'est la licence Share Alike. En cas de refus, les données seraient payantes à partir d'un certain volume de données consommées. C'est la solution vers laquelle se dirige le Gouvernement, mais cela devra naturellement faire l'objet d'un débat avec les parlementaires.

Vous m'interrogez également sur la loyauté des plateformes, c'est-à-dire des services d'intermédiation proposés en ligne, souvent par de très grands acteurs de l'internet – réseaux sociaux, moteurs de recherche, places de marché… En apparence, il est très difficile de leur appliquer les droits traditionnels, ceux qui ont jusqu'ici régi la sphère économique en France et en Europe : droit de la concurrence, droit de la consommation, droit fiscal… Dans un monde par essence international, la question de l'application de la loi territoriale se pose. Le sentiment qui domine, de façon frappante, c'est que l'on ne peut rien faire : il existe un véritable lobby de l'impuissance publique, souvent à partir du constat que ces entreprises ne paient pas l'impôt sur les sociétés à la hauteur de ce qu'elles devraient payer.

Mais c'est faux, totalement faux ! La réalité, c'est que ces entreprises respectent la loi nationale sur bien des sujets, notamment dans le domaine du droit de la consommation. Mais les obligations qui s'imposent à elles sont aujourd'hui très légères, bien plus que celles qui s'imposent dans d'autres secteurs. Nous introduisons donc une obligation de loyauté des plateformes. Elles devront d'abord délivrer aux consommateurs une information claire, loyale et transparente.

L'obligation d'autorégulation doit également se traduire par la publication des « bonnes pratiques » : que font ces entreprises des données personnelles, comment les utilisent-elles ? Quel est le volume de ces données ? Aujourd'hui, les pouvoirs publics ne savent presque rien de ces nouvelles pratiques commerciales, dont la régulation doit être faite à l'échelle européenne. Le Gouvernement français a été très actif sur ce chantier, avec le gouvernement allemand : c'est, je crois, notre volontarisme qui a permis d'inscrire ce sujet à l'ordre du jour des travaux de la Commission européenne. Mais, pour réguler, il faut disposer d'informations et de données objectives sur les comportements de ces nouveaux acteurs. Comme l'ont fait les Allemands, comme sont en train de le faire les Britanniques et les Américains – qui ont créé une administration spécifique –, nous voulons désormais amasser ces informations. Pour cela, nous passons par l'autorégulation.

Enfin, l'obligation de loyauté concerne les avis en ligne – ceux que l'on peut consulter avant de réserver un hôtel ou un restaurant, comme avant d'acheter un lave-linge. On ne sait pas toujours si l'avis que nous lisons est authentique, ou s'il a été publié par le vendeur lui-même, voire par un robot. Nous proposons donc un processus qui doit permettre au consommateur d'évaluer l'authenticité de l'avis.

Vous m'interrogez enfin sur l'articulation de notre travail avec celui que mène le Gouvernement à Bruxelles. Elle est étroite. Deux textes européens pourraient concerner ce texte, à commencer par le règlement européen relatif aux données personnelles que nous avons déjà évoqué. Il se trouve que, sur ce texte, un accord a été trouvé hier entre le Conseil européen et le Parlement européen. Nous avons donc très bon espoir que ce texte soit adopté rapidement et promulgué au premier semestre de l'année 2016. Il faudra alors peut-être ajuster la loi française, au cours des discussions parlementaires. À aucun moment des dispositions que nous proposons ne heurtent l'esprit du règlement européen.

En ce qui concerne les plateformes, la Commission européenne travaille en ce moment sur leur rôle économique et nous sommes fortement engagés dans ce processus. Dans ce projet de loi, nous avons justement fait le choix de modifier le code de la consommation ; nous ne modifions pas le droit de la concurrence, qui est essentiellement européen et sur lequel travaille la Commission.

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