Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Je partage bien sûr le souci, qu'ont exprimé plusieurs députés, de protéger les mineurs, notamment contre le cyber-harcèlement, mais la législation en vigueur couvre déjà l'immense majorité des situations. Ainsi, depuis la loi du 6 août 2012, l'article 222-33-2 du code pénal punit le cyber-harcèlement de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, et, en vertu d'une disposition adoptée au mois de septembre 2013, les sanctions du cyber-harcèlement sont aggravées lorsque les victimes sont des personnes vulnérables, par exemple des mineurs.

Le projet de loi que je défends aujourd'hui tend pour sa part à introduire des dispositions relatives au droit à l'oubli pour les mineurs, une procédure accélérée devant faciliter le recours à la CNIL. En outre, les fournisseurs de services ont l'obligation légale de mettre en place le contrôle parental. Enfin, le ministère de l'éducation nationale a lancé un programme concernant le harcèlement scolaire, qui comporte un volet relatif au cyber-harcèlement.

Cependant, au-delà de cette réponse formelle, nous savons que les enfants sont bel et bien exposés à de grands risques sur internet. Il y a là, me semble-t-il, une question d'application effective de la loi. Pour qu'une situation de cyber-harcèlement soit reconnue, il faut effectuer, auprès des plateformes de réseaux sociaux ou des autorités policières et judiciaires, des démarches longues et complexes, se plier à des procédures qui sont inaccessibles à nombre de familles. Je suis tout à fait disposée à travailler avec vous sur ces sujets, mais cela concerne moins la loi que sa mise en oeuvre. À cet égard, un dialogue beaucoup plus coopératif s'est engagé avec les géants de l'internet, notamment à la suite des attentats, pour faciliter le retrait des contenus illicites, non seulement ceux qui incitent à la haine et au terrorisme, mais aussi ceux qui présentent un caractère pédopornographique. Précisons aussi que l'administration peut désormais interdire des sites pédopornographiques sans intervention du juge judiciaire, de même que des sites faisant l'apologie du terrorisme.

Qu'en est-il de l'articulation des dispositions proposées et du droit européen ? Ne vous méprenez pas sur la démarche du Gouvernement, Monsieur Gosselin. Nous devons faire preuve d'une grande rigueur juridique : soit les questions évoquées sont hors du champ du règlement évoqué, comme celle de la mort numérique – le règlement renvoie la définition des procédures à la loi nationale –, soit les dispositions proposées respectent le texte européen, soit elles n'en constituent qu'une anticipation, sans y déroger. Le règlement européen ne doit entrer en vigueur qu'au cours du premier semestre de l'année 2016, mais, en réalité, les entreprises ont deux ans pour le mettre en oeuvre ; il n'entrera donc dans la vie de nos concitoyens qu'en 2018 au plus tôt.

Le Gouvernement ne s'interdit pas de proposer, au cours des débats parlementaires, d'amender le texte national en fonction de l'évolution du texte européen. De même, la procédure accélérée ne sera peut-être pas utilisée, finalement, si les parlementaires en décident ainsi ; nous pourrons aviser en fonction de l'évolution des débats européens. Prenons un autre exemple : les sanctions infligées par la CNIL. Le règlement européen précise le niveau des sanctions, mais renvoie la définition des procédures à la loi nationale. En ce qui concerne la neutralité du net, un règlement européen a été adopté, mais nous nous contentons d'en intégrer les définitions au droit national, en ajoutant aux compétences de l'ARCEP, régulateur national, le contrôle du respect des dispositions concernées. Rien ne contrevient sur le fond aux textes européens ni n'en contredit l'esprit.

Le Conseil d'État a souligné l'insuffisance des études d'impact dans un avis qui, une fois n'est pas coutume, a été rendu public. Cependant, la partie relative à l'open data comporte des éléments précis et substantiels. Elle en détaille notamment l'impact juridique au regard de la jurisprudence de la CADA et les bénéfices socio-économiques attendus. Elle précise les modalités techniques de publication des documents. Elle présente différents éléments techniques qui permettent d'estimer la charge nouvelle qui en résultera pour les administrations — une charge sans doute limitée.

Le caractère très novateur de bien des principes intégrés dans ce texte rend cependant difficile une étude d'impact économique et financière. De même qu'il n'existe pas de « lobby du futur », nous ne disposons pas de boule de cristal pour prédire l'avenir. Nous l'écrivons pourtant, en édictant les principes de données d'intérêt général, de mission de service public, de loyauté des plateformes, en instaurant la portabilité des données d'usage et de consommation et non pas uniquement des données personnelles. Cela dit, en nombre de pages, cette étude d'impact n'est pas moins substantielle que celle d'autres lois. L'idée d'une étude d'impact insuffisante doit donc être maniée avec prudence.

Mme Chapdelaine a évoqué le financement du maintien de l'accès à la connexion à internet par le recours au fonds de solidarité logement. Le Gouvernement est très conscient de la nécessité d'accompagner les collectivités locales, notamment les départements, dans cette démarche. Nous le ferons en bonne coopération avec les opérateurs de télécommunications, concernés au premier chef. Avec le cabinet de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, nous allons donc identifier des départements pionniers qui permettront d'imaginer des schémas de financement dans lesquels l'État accompagnera l'introduction de ce droit au maintien à la connexion à internet, comme cela a été fait pour le gaz, pour l'eau et pour l'électricité.

Madame Batho, le Gouvernement a choisi de conférer aux données personnelles un caractère d'usage, et non un caractère propriétaire. Soumises au droit de la propriété, les données pourraient faire l'objet d'un commerce, être vendues et exploitées selon les règles du commerce. Le choix du Gouvernement ne remet nullement en cause le fait que toute exploitation des données nécessite un consentement explicite. Sur ce sujet, la législation française n'est pas insuffisamment protectrice ; les entreprises lui reprochent au contraire de l'être trop, comparée à d'autres en Europe, ou à celles des pays anglo-saxons. En réalité, la loi « Informatique et libertés » est la plus protectrice en Europe et dans le monde. Une harmonisation était nécessaire au niveau européen, mais nous avons veillé à ce qu'elle ne se fasse pas « par le bas ».

Mme Batho ne croit pas à l'autorégulation des plateformes, à laquelle est consacré un volet du projet de loi, mais celui-ci édicte également des contraintes nouvelles. Rappelons aussi que les géants de l'internet qui dirigent leurs activités vers le territoire français sont soumis au droit français de la concurrence, de même qu'ils sont soumis au droit français de la consommation, dès lors que les consommateurs ont leur domicile en France. Pour la même raison, ils doivent respecter nos règles de protection des données personnelles. Il faut donc abandonner l'idée selon laquelle il n'est pas possible d'agir en ce domaine.

Néanmoins, c'est très compliqué et très lent au niveau européen. Ce sont des jugements rendus sur le droit à l'oubli, puis sur le Safe harbor, non des décisions politiques qui ont enfin décidé la communauté des États européens à agir. C'est d'autant plus regrettable que le Gouvernement français a toujours demandé des avancées sur ces points. Le temps européen est un temps long, qui ne correspond pas assez à celui du numérique. Ne nous interdisons donc pas de légiférer dans ce domaine, dès lors que les mesures envisagées ne contreviennent pas aux objectifs visés par l'Union européenne.

La desserte des territoires, question évoquée par M. Vannson, est une priorité absolue du Gouvernement et du Président de la République. Chaque fois que je le vois, nous en parlons, et nous analysons les mesures financières, budgétaires, réglementaires qui ont été, qui sont et qui pourront être prises pour accélérer ce déploiement. Ainsi avons-nous doublé le budget consacré au déploiement des réseaux fixes dans les territoires par rapport à la législature précédente et réintroduit la question de la couverture mobile, en friche depuis de très nombreuses années. Dans le département des Vosges, le projet, d'un montant de 60 millions d'euros, dont vous parliez, monsieur Vannson, doit être soutenu à hauteur de 50 % par l'État. C'est là une contribution notoire.

En outre, nous passons actuellement en revue toutes les dispositions qui, en plus de celles proposées dans le projet de loi, permettraient d'aller plus vite et d'éviter de freiner les déploiements. Peut-être certaines donneront-elles lieu à des amendements lors de l'examen du texte.

J'espère avoir répondu à la question de Mme Cécile Untermaier. Cela dit, je demande aux plateformes de prévoir la possibilité de signaler un contenu illicite, par exemple un contenu pédopornograhique, d'un simple clic sur un onglet intégré à la page internet du réseau social concerné. Le signalement parviendrait directement aux forces de police, peut-être via la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS). Voilà qui permettrait une application bien plus efficace de la loi. Nous en discutons actuellement.

Je suis très ouverte, madame Capdevielle, à toute proposition visant à renforcer la démocratie participative, pour peu qu'elle puisse trouver une traduction législative concrète.

Je suis sensible à la question de la langue française. L'usage de la langue reflète un rapport de force économique et culturel, et la délégation aux droits des femmes fait des recommandations très utiles à ce sujet. Elle préconise ainsi de donner des mots aux maux, notamment pour lutter contre le harcèlement des femmes en ligne. J'y suis naturellement très favorable.

Monsieur Morel-A-L'Huissier, vous saluerez de ma part les Webs du Gévaudan. Les aides d'États sont effectivement soumises à un cadre juridique européen contraignant, y compris lorsqu'il s'agit d'assurer une égalité, ou du moins une forme d'équité, entre territoires ruraux et territoires urbains. Le Gouvernement français se bat pour que les règles édictées par la Commission européenne soient assouplies et permettent un ciblage des financements de l'État et des collectivités en faveur des zones qui en ont le plus besoin. Cela étant, les opérateurs doivent respecter des obligations de couverture, notamment lorsque des fréquences leur sont attribuées. Celles-ci appartiennent au domaine public, et, lorsque l'État les leur vend, ils prennent des engagements en termes de couverture du territoire. Ce fut le cas, tout récemment, lors de la vente de la bande des fréquences 700 mégahertz.

En ce qui concerne la fusion de la CADA et de la CNIL, nous prônons, dans un premier temps, un rapprochement, car la question des données personnelles et celle des données publiques se rapprochent, mais ne forçons pas le cours des choses. Une fusion, ce n'est pas anodin, et il ne faudrait pas que les objectifs, d'un côté, d'ouverture et de libre circulation, et, de l'autre, de respect de la vie privée, et donc de l'intimité, entrent en contradiction. Il faut donc avancer progressivement, mais le Gouvernement explore cette piste. Une mission a notamment été lancée, qui pourrait aboutir à des conclusions au cours de l'examen de ce texte.

Les servitudes d'élagage sont l'objet de la proposition de loi de M. André Chassaigne, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale. Intégrée au texte que je défends, elle renforce les obligations d'entretien du service universel, étant entendu qu'Orange en est le prestataire. Nous parlons là des vieilles lignes fixes, mais cela concerne encore beaucoup de nos concitoyens, en particulier les personnes âgées dans les zones rurales. Nous encourageons et incitons fortement les opérateurs à investir dans l'internet mobile, dans le très haut débit fixe et, demain, dans la 5G, mais il faut aussi penser à ceux qui n'ont pas accès à ces technologies.

Le télétravail, nous y travaillons, avec Mme Myriam El Khomri.

Madame Descamps-Crosnier, nous sommes très soucieux de l'accompagnement des collectivités locales dans la stratégie d'open data. La CADA évoluera en ce sens et jouera, au-delà de son rôle contentieux, un rôle d'accompagnement des acteurs locaux. Elle pourra ainsi rendre des avis.

Le Gouvernement est très favorable à l'utilisation des logiciels libres, qu'il promeut, mais il a décidé de ne pas forcer les administrations à y recourir, car nous sommes confrontés à un problème de ressources humaines : il faut être capable d'utiliser ces logiciels. Nous devons donc renforcer la filière de formation pour permettre un recours plus systématique aux logiciels libres.

Monsieur Poisson, je vous communiquerai par écrit des informations plus précises à propos de la couverture de votre circonscription, dans les Yvelines, mais notez d'ores et déjà que l'État, fait inédit, dresse désormais des constats de carence lorsque les opérateurs de téléphonie ne respectent pas leurs engagements dans les zones AMII (appels à manifestation d'intentions d'investissement), afin que les autorités publiques puissent intervenir à leur place.

Quant à vos préoccupations concernant la cyber-sécurité du territoire, l'entreprise Cisco s'est engagée à investir en France, mais non sous la forme d'un contrat signé avec l'État. Dans le cadre d'une politique d'attractivité économique du territoire, cette entreprise privée américaine très présente dans les écosystèmes d'innovation a pris l'engagement de soutenir des entreprises par des financements directs, notamment des start-up, de les suivre dans leur croissance et, éventuellement, de les acheter. Cet engagement unilatéral d'un investisseur étranger n'écarte en rien l'application du droit français en matière de propriété intellectuelle, de localisation des données, de secret industriel et commercial. Le Gouvernement se soucie de la question. Avec le Premier ministre, nous avons lancé une stratégie nationale en matière de cyber-sécurité, et la question de l'intelligence économique est au coeur de nos priorités. Je pourrai vous fournir plus d'informations si vous le souhaitez.

Vous avez raison, madame Le Dain, à propos des banlieues. Le Gouvernement agit pour la couverture des territoires ruraux, mais aussi pour celle des zones périurbaines définies comme zones AMII. Ainsi a-t-il durci le ton avec ces constats de carence pour permettre l'action de la puissance publique là où celle des opérateurs privés est insuffisante.

Merci beaucoup, madame Pochon, pour votre intervention concernant les personnes handicapées, en particulier les personnes sourdes et malentendantes. Votre témoignage conforte le Gouvernement dans l'idée qu'il est nécessaire d'avancer sur ce sujet. La solution choisie consiste justement en la généralisation du recours à un centre relais téléphonique. Nous n'avons effectivement pas trouvé de technologie alternative qui permette de satisfaire les besoins très concrets des personnes sourdes et malentendantes. Une obligation est donc imposée aux opérateurs, qui en redoutent le coût, mais, si vous considérez que d'autres outils pourraient favoriser l'accès des personnes handicapées aux outils numériques, je suis à votre entière disposition pour continuer ce dialogue.

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