Intervention de Harlem Désir

Réunion du 9 décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Harlem Désir, secrétaire d'état aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international :

Je veux remercier Michael Roth d'avoir répondu de façon aussi complète et d'avoir donné l'occasion à la Commission des affaires européennes de sentir l'engagement de notre partenaire allemand, mais aussi de se rendre compte et à quel point la perception des sujets peut différer d'un pays à l'autre, même si les gouvernements allemand et français ont la volonté commune d'aider l'Europe à franchir de nouvelles étapes.

Gilles Savary s'est demandé si nous ne courions pas le risque de déconstruction de l'Union européenne, et Christophe Caresche a souligné que, tandis que nous nous efforçons d'apporter des réponses plus coordonnées, nous devons aussi faire face à un mouvement d'euroscepticisme, qui va parfois jusqu'à ce que certains prônent la sortie de l'Union européenne, de l'euro, de Schengen, ou de la PAC. Jacques Myard a même suggéré que l'Allemagne abandonne l'euro, mais je ne peux pas imaginer ce que signifierait l'euro sans l'Allemagne ou la France : ce serait tout simplement la fin de la politique commune, pour ne pas dire la fin de l'Union européenne.

En réalité, nous devons prendre conscience du fait que, dans beaucoup de domaines relatifs à la construction européenne, nous n'avons fait les choses qu'à moitié. Ainsi, nous avons fait l'union monétaire sans construire en même temps une véritable union économique, alors que Jacques Delors nous avait alertés, dès le traité de Maastricht, sur le fait qu'il faudrait aller beaucoup plus loin dans l'intégration économique que la simple coordination monétaire.

De même, nous avons établi une zone de liberté de circulation, Schengen, mais sans mettre en oeuvre le contrôle des frontières extérieures communes de façon aussi rigoureuse que nécessaire. Certes, ce contrôle s'effectue dans les aéroports, mais cela ne suffit pas quand nous sommes confrontés, comme c'est le cas actuellement, à des mouvements de migration liés à des crises internationales extrêmement fortes en Grèce, en Italie, mais aussi dans les pays des Balkans ou en Hongrie : il devient alors évident que nous devons aller beaucoup plus loin dans les mécanismes de contrôle des frontières extérieures. C'est ce que Bernard Cazeneuve a défendu avec Thomas de Maizière, plaidant pour que l'agence Frontex soit dotée de capacités élargies. Toute personne entrant dans l'Union européenne doit être contrôlée et enregistrée, afin que l'on puisse déterminer si elle va relever du droit d'asile, donc d'une nécessaire protection internationale, ou si elle doit se voir appliquer d'autres règles. En tout état de cause, nous ne pouvons accepter l'immigration illégale : des opérations de retour doivent être mises en oeuvre dans le cadre d'une coopération avec les pays d'origine, et il doit y avoir un contrôle de sécurité. C'est seulement à la condition de mettre en place cette étape d'une vraie frontière extérieure commune que nous pourrons garantir la liberté de circulation intérieure, qui peut cependant nécessiter aussi des contrôles – de ce point de vue, le code Schengen devra être révisé.

Nous avons créé un marché intérieur, mais nous n'avons pas procédé à l'harmonisation fiscale et sociale qui aurait dû l'accompagner. De ce fait, on assiste à des distorsions de concurrence et à du dumping social et fiscal, ce qui n'est pas acceptable. Pour toutes ces raisons, nous avons aujourd'hui une Europe qui n'est pas construite de façon suffisamment avancée pour répondre à tous les défis auxquels elle est confrontée. Face à cette situation, certains disent qu'il vaudrait mieux revenir en arrière. Mais qui peut croire que l'on répondrait mieux aux défis de la mondialisation à l'échelle de vingt-huit pays pratiquant chacun une politique différente en matière d'économie, d'énergie, de numérique, de soutien aux investissements ? Tout au contraire, nous avons besoin de nous coordonner davantage dans tous ces domaines.

De même, confrontés aujourd'hui à des problèmes de sécurité qui nous conduisent à renforcer notre coopération dans le domaine de la défense, quand il s'agit de lutter contre Daesh en Syrie, mais aussi de chercher la paix en Syrie, de chercher une solution politique à la crise libyenne, nous avons besoin d'agir ensemble pour mieux peser sur tous les acteurs internationaux. Nous devons donc à la fois répondre à des urgences, mais aussi continuer à faire progresser structurellement l'intégration européenne. Face à des menées parfois régressives d'un certain nombre de forces politiques qui prônent le repli national, face au choix de certains pays de ne pas participer à des politiques communes, l'Europe a tendance à se diviser.

Nous devons donc convaincre, comme l'Allemagne et la France s'y efforcent, que nous avons tous intérêt à répondre collectivement aux grands défis internationaux et à assurer ensemble le respect de nos valeurs. Je veux rendre hommage au courage de l'Allemagne et de sa chancelière d'avoir su s'organiser pour accueillir des réfugiés, mais nous devons être collectivement capables de mieux maîtriser les flux de migration – d'où la discussion avec la Turquie et le renforcement de nos frontières extérieures communes. Nous devons convaincre tous les États, et il n'est pas acceptable d'entendre certains pays déclarer qu'ils n'accueilleront pas les réfugiés de telle ou telle religion : une telle discrimination est contraire à toutes les valeurs européennes. L'acceptation des principes du droit d'asile et la soutenabilité de l'accueil en Europe des réfugiés supposent le contrôle des flux d'arrivée à nos frontières communes. Or, nous ne pouvons faire cela qu'ensemble, et ce n'est pas à la Grèce, à l'Italie ou à la Hongrie d'assumer seules le contrôle des frontières, car les personnes qui essaient d'entrer dans ces pays n'ont pas spécialement l'intention d'y rester : c'est en Europe qu'elles veulent venir, et c'est donc à l'Europe que revient la responsabilité collective de trouver des réponses.

Nous devons être au rendez-vous des résultats. Lors du conseil européen qui va se tenir la semaine prochaine sur les questions de lutte contre le terrorisme, de réfugiés – n'y voyez pas un amalgame –, de sécurité, de politique étrangère, il s'agira le plus souvent de trouver le moyen de mettre en oeuvre des décisions que nous avons déjà prises. Après les attentats de janvier à Paris, nous avons fait adopter une feuille de route contre le terrorisme, et l'adoption de la directive européenne sur le PNR constituait déjà un dossier urgent : désormais, nous devons nous efforcer de le régler avant la fin de l'année.

Le renforcement des moyens de Frontex constitue également une priorité : il faut que tous les États membres envoient des agents venant de leurs offices d'immigration et des réfugiés, de la police de l'air et des frontières, afin que l'agence les mette à disposition en Grèce et en Italie. Si nous ne faisons pas ce que nous avons dit, c'est la crédibilité de l'Europe qui sera remise en cause, ce qui nuira à l'efficacité de l'Europe et augmentera les tentations de repli et d'euroscepticisme. Notre action repose en grande partie sur la coopération, la confiance et l'amitié entre la France et l'Allemagne, et je remercie de nouveau très sincèrement Michael Roth d'avoir accepté de venir aujourd'hui devant les commissions de notre assemblée.

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