Intervention de Louis Gautier

Réunion du 2 décembre 2015 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Louis Gautier, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale :

En ce qui concerne les réserves et la garde nationale – c'est-à-dire la réserve opérationnelle poussée à un niveau supérieur –, rappelons que, pendant de nombreuses années, les armées elles-mêmes n'ont pas souhaité développer beaucoup la réserve opérationnelle : celle-ci ne venant qu'en second rideau lors d'opérations extérieures, c'eût été inutile et coûteux, sans compter les besoins de formation et d'encadrement. D'ailleurs, si l'on devait déployer des réservistes opérationnels sur le territoire national – certainement, là encore, en second rideau –, il faudrait les former à cette mission spécifique.

On a beaucoup fait appel à la fonction publique nationale pour constituer la réserve opérationnelle et la réserve citoyenne, notamment à d'anciens militaires s'agissant de la réserve opérationnelle. Nous devons maintenant nous poser la question de la mobilisation de la fonction publique territoriale.

Vous avez raison d'insister sur la formation. Du côté des militaires, le chef d'état-major des armées (CEMA) et le chef d'état-major de l'armée de terre (CEMAT) font valoir avec bon sens que les soldats qui ont été engagés à Gao, très aguerris, ne risquent pas de vaciller face au risque. Il faut néanmoins leur apprendre à gérer une mission sur le territoire national, ce qui n'est pas la même chose : il s'agit de sécuriser un périmètre, des noeuds de communication, de grands lieux publics comme les gares, de faire des patrouilles sur zone, etc. Cela suppose d'adapter les formations.

Les gardes statiques font débat. Ces missions sont très consommatrices d'emplois, au sein des forces de police comme des forces militaires. Il convient donc de privilégier les moyens d'autoprotection des lieux – vidéosurveillance, sas de protection, recours à des sociétés privées. Ce travail est également en cours.

J'en viens au problème de la vie privée et familiale des militaires et des risques supposés de rupture de contrat. Je suis frappé par la manière dont notre pays en général réagit aux événements si durs que nous vivons : par la reconsolidation de l'unité et de la communauté nationales. On l'avait constaté après « Charlie », mais certains se demandaient ce qui allait se passer la fois suivante : allions-nous sombrer dans la division ? Ce qui me frappe, au contraire, c'est la sagesse, la cohésion, la convergence. On les retrouve chez ceux, engagés – ô combien ! – au service de la Nation, qui servent dans les armées. Je n'observe nullement dans leurs rangs la tentation de la démission, de la recherche du confort. Ce sont tout de même d'abord des soldats ! Je vois plutôt des soldats vigilants, attentifs à la nouvelle mission qui leur est confiée.

Il n'empêche que les responsables publics doivent veiller à leurs conditions d'accueil et d'hébergement. Vous savez d'ailleurs qu'un plan d'urgence a été immédiatement déclenché à cette fin pour l'îlot Saint-Germain, à Paris. Il faut aussi veiller à la récupération des permissions et des soldes. Mais, sur le terrain – je vais de nouveau rencontrer la semaine prochaine, avec le gouverneur militaire, les sections qui patrouillent dans Paris –, je n'observe aucune des réactions dont vous avez évoqué l'éventualité, monsieur le député. Les armées réagissent comme le pays, comme la société tout entière, qui accusent le coup mais sont mobilisés.

Je pourrais en dire autant des services de police et de tous les services de l'État, au contact desquels j'ai vécu, comme vous, ces journées très dures et qui sont directement confrontés à la lutte contre le terrorisme.

Bref, les sujétions dont nous parlons sont inhérentes au métier militaire et je n'y vois aucun motif de rupture de contrat – ni aucun obstacle au recrutement, puisque la question m'a été également posée. Il est vrai que les recrutements planifiés à la suite de l'arrêt des déflations ne sont pas encore effectués et que les effectifs de la force opérationnelle terrestre (FOT) ne sont pas encore reconstitués ; dès lors, les sujétions n'en sont que plus grandes pour ceux qui sont engagés dans la bande sahélo-saharienne, sur le théâtre syro-irakien et sur le territoire national. Le CEMA et le CEMAT ont dû vous faire part de ces contraintes. Mais l'armée de terre ne m'indique pas qu'elle a des difficultés particulières à recruter en ce moment, non plus que les autres armées, d'ailleurs. Les candidats sont même meilleurs qu'il y a quelques années.

Monsieur Rihan Cypel, le travail que vous appelez de vos voeux sera fait. La menace est déjà réévaluée en permanence. Sa nature a changé du fait de la militarisation induite par les filières djihadistes. Il y a quarante fois plus de combattants français en Syrie qu'il n'y en avait qui partaient faire le coup de feu en Afghanistan. Vous connaissez les chiffres : ce sont 1 600 à 1 700 personnes qui sont impliquées dans ces filières, dont 500 combattants actifs. Daech leur refuse en fait tout choix personnel en les faisant participer ou assister à des violences terribles, en les conditionnant et en les aliénant par les abominations auxquelles ils leur font prendre part. C'est d'ailleurs un problème qui se posera lorsque Daech aura été anéanti comme je l'espère. Certains, notamment parmi les combattants étrangers, tenteront de rejoindre d'autres sanctuaires – dont la Libye, plus proche de notre territoire, pourrait faire partie, ce qui est préoccupant. D'autres voudront rentrer dans leur patrie d'origine, en Europe. Dans quelles conditions ? Comment pourrons-nous les suivre, les réadapter si possible alors qu'ils auront développé une forte accoutumance à la violence ? C'est un vaste débat – mais que nous n'allons pas ouvrir maintenant.

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