Intervention de Jean-Marie Sermier

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 9h30
Automaticité du déclenchement de mesures d'urgence en cas de pics de pollution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Sermier :

Le groupe des Républicains ne méconnaît pas les conséquences de la pollution atmosphérique sur la santé publique. La progression de certaines maladies respiratoires et cardio-vasculaires en raison de la présence de particules fines dans l’air est scientifiquement avérée. C’est pourquoi nous sommes d’accord sur plusieurs objectifs fondamentaux tels que la diminution des gaz à effet de serre, la lutte contre la pollution et la préservation de la qualité de l’air. De même, il nous semble intéressant que la proposition de loi ne cible pas uniquement Paris et rappelle que les pics de pollution touchent aussi régulièrement d’autres grandes villes de France. À cet égard, je rappelle que la Commission européenne a identifié dix agglomérations dans lesquelles les limites maximales de particules fines dans l’air sont trop souvent dépassées.

Néanmoins, si cette proposition de loi est pavée de bonnes intentions, elle entend construire un dispositif rigide alors que la plupart de ses dispositions, comme les seuils de déclenchement des alertes, relèvent du pouvoir réglementaire. La mise en place de la circulation alternée, qu’elle se fonde sur le numéro de la plaque d’immatriculation ou sur la pastille verte, est déjà possible dès qu’une alerte pollution dure plus de 48 heures et que le préfet le juge utile. Modifier les règles actuelles et réduire ce délai ne semble pas indispensable.

Il faudrait dans un premier temps établir un bilan exhaustif et partagé des dispositifs existants. N’oublions pas qu’empêcher quelqu’un de prendre sa voiture est une forme de privation de liberté. C’est pénalisant pour les personnes concernées. Le dispositif ne doit donc être déclenché qu’en cas d’absolue nécessité, comme c’est le cas aujourd’hui. Il faut se garder d’adopter le point de vue exclusif du Parisien qui, sans trop de difficulté, peut laisser sa voiture au garage et se rendre au travail en métro. Abandonner sa voiture lorsqu’on vit au-delà du périphérique est déjà nettement plus compliqué. Or, on sait que ce sont souvent les ménages les plus modestes ou les familles avec enfants qui habitent dans ces zones.

Il ne faut donc pas négliger les difficultés pratiques engendrées par la circulation alternée. Assouplir les règles existantes n’est pas une bonne idée. L’équilibre trouvé aujourd’hui est plutôt satisfaisant. La mesure, même s’il ne s’agit pas ici de la rendre systématique, doit demeurer tout à fait exceptionnelle.

Un autre point nous interpelle à ce sujet : l’article 1er de la proposition de loi prévoit qu’en cas d’alerte à la pollution, le préfet déclenche les mesures d’urgence après consultation des présidents des établissements publics de coopération intercommunale et des autorités organisatrices de transports des zones concernées.

Cette disposition appelle une série de réserves. D’abord, l’avis des élus locaux serait purement consultatif. En d’autres termes, il ne serait donc pas d’une grande utilité. Il ne faudrait pas faire croire à nos concitoyens que leurs élus ont eu un pouvoir décisionnaire sur les mesures prises. Or, si c’est bien l’État qui décide de prendre des mesures pour suspendre les activités concourant aux pointes de pollution, celles-ci touchent aux compétences municipales et communautaires : déplacements urbains, circulation automobile, réseaux de transports, stationnement. Il est facile d’imposer la circulation alternée quand on n’a pas à gérer ses conséquences – c’est un maire qui vous parle. Il faut bien comprendre que le fait de limiter la circulation automobile désorganise une ville, ses lignes de bus, son tramway, son métro et, de plus en plus, ses vélos en libre-service et ses stations de covoiturage.

Il n’est donc pas normal de limiter la consultation des acteurs locaux au strict minimum. Je regrette notamment que dans le dispositif proposé, les maires ne soient pas consultés par le préfet. Ils sont, par leur proximité naturelle avec les administrés, les premiers interlocuteurs des usagers des transports. Ils sont les mieux à même de les renseigner et de les orienter en cas de mise en place de mesures d’urgence. De même, il est surprenant qu’à aucun moment la proposition de loi n’associe les conseils régionaux à la prise de décision alors que leurs compétences en matière d’organisation des transports et de politiques environnementales viennent d’être considérablement renforcées par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.

J’en viens à présent aux autres articles de la proposition de loi. L’article 2 prévoit un abaissement des seuils des procédures d’information, de recommandation et d’alerte, ainsi qu’un élargissement de la liste des polluants susceptibles de les déclencher. Nous ne pensons pas qu’il soit pertinent d’inscrire ces seuils dans la loi. Sur les différentes particules polluantes, ainsi que nous l’avons évoqué en début de matinée, la connaissance scientifique progresse régulièrement. Nous devons donc pouvoir modifier les seuils facilement afin de prendre en compte les évolutions techniques. Une telle souplesse serait rendue difficile par l’inscription des données dans le code de l’environnement. En outre, en cas d’urgence, le préfet doit disposer des marges de manoeuvre nécessaires pour s’adapter à la situation de façon pragmatique car, cela a été précisé, la pollution est variable d’un département à l’autre, notamment en fonction des caractéristiques naturelles et topologiques du territoire. Pour le groupe Les Républicains, graver les seuils dans le marbre de la loi serait une erreur car cela priverait les préfets de la souplesse nécessaire en cas d’alerte à la pollution.

Enfin, nous sommes opposés à l’article 4, qui impose d’ajouter au plan de mobilité des entreprises un volet spécifique aux pics de pollution. Pour une entreprise de moins de 100 salariés qui, de manière volontaire, a fait le choix de se doter d’un plan de mobilité, c’est une contrainte supplémentaire. On donne ainsi le sentiment de punir les bons élèves, ceux qui ont déjà fait des efforts en matière de transports. Pour les entreprises d’au moins 100 salariés situées dans le périmètre d’un plan de déplacements urbains, la situation est différente : l’élaboration d’un plan de mobilité est obligatoire depuis la loi de transition énergétique. Alors que celle-ci est toute récente – elle a été définitivement adoptée l’été dernier – on imposerait déjà une nouvelle obligation pour ces entreprises ? On ajouterait une contrainte importante ? C’est un peu choquant, à l’heure où l’on entend simplifier et assouplir notre cadre économique.

Nos entreprises ont besoin de souplesse ; elles ont besoin de stabilité normative. Les dispositions que vous proposez viennent encore ajouter des obligations pour les entrepreneurs, qui n’en peuvent plus de ce mille-feuilles normatif et attendent toujours, hélas sans résultat, le « choc de simplification » promis par le Président de la République. J’ajoute que, sur le fond, toutes les entreprises ne sont pas en mesure, du fait de la nature de leur activité, de proposer à leurs salariés le télétravail ou la flexibilité des horaires. Si ces dispositifs doivent bien entendu être encouragés, il faut avoir conscience qu’ils ne sont pas possibles partout.

Mes chers collègues, il faut oeuvrer collectivement pour réduire la pollution atmosphérique. La proposition de loi que nous examinons ne s’attaque nullement aux causes du mal, mais à ses conséquences. Bref, on pose un mouchoir sur les problèmes. Le véritable enjeu, au-delà de la question de la gestion des pics de pollution, est celui de nos modes de déplacement. Quand on est maire d’une ville moyenne dans un département rural comme celui du Jura, on constate bien les limites des réseaux de transports en commun – pardon si je choque les plus utopistes. Il faut trouver de nouvelles solutions. Malgré les efforts financiers colossaux consentis par les collectivités, le réseau de bus n’est en vérité utilisé que par ceux qui n’ont absolument pas d’autre choix, c’est-à-dire par ceux qui ne peuvent pas conduire. À mes yeux, le véritable défi des décennies à venir est par conséquent celui de la voiture propre : l’amélioration de la motorisation des véhicules, la généralisation de l’hybride, les véhicules électriques et, pourquoi pas, les véhicules à hydrogène.

Mes chers collègues, notre position se résume ainsi : la proposition de loi de nos collègues écologistes s’est fixé des objectifs louables, et nous ne pouvons qu’en féliciter le rapporteur, que je salue d’ailleurs pour la qualité de son travail, mais elle entend modifier un équilibre plutôt satisfaisant sans qu’un bilan préalable sur l’existant ait été dressé. Elle prévoit de figer les choses dans la loi sans que cela ne présente de véritable intérêt, et en méconnaissant certaines réalités. Elle méconnaît la réalité de la vie de très nombreux Français qui ont besoin d’utiliser leur voiture tous les jours pour se rendre à leur travail. Elle méconnaît la réalité de la vie des élus locaux, qui ont besoin d’être associés aux décisions de l’État. Elle méconnaît la réalité du monde économique qui n’a surtout pas besoin de contraintes supplémentaires. Pour toutes ces raisons, le groupe des Républicains votera contre la proposition de loi.

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