Intervention de Marie-Line Reynaud

Réunion du 15 janvier 2013 à 16h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Line Reynaud, rapporteure pour avis :

Cette proposition de loi s'inscrit dans un vrai débat de société : il s'agit de savoir si la parole de citoyens de bonne foi peut être prise en considération et si les expertises auxquelles les organismes publics recourent sont entourées de toutes les garanties d'indépendance.

Nous avons tous en mémoire l'affaire du sang contaminé, le scandale de l'amiante, les cas de leucémie observés autour de la centrale de La Hague, les dangers de l'éther de glycol, de l'excès de sel dans les aliments et du bisphénol A ou encore les effets du Mediator. Tous ces problèmes auraient pu être d'une moindre ampleur si les pouvoirs publics avaient pris au sérieux les alertes lancées par des scientifiques, voire par des personnes sans qualification particulière, mais qui ont accompli l'acte citoyen que leur conscience leur dictait. Or, loin d'être soutenues, ces personnes, qu'elles travaillent dans le privé ou dans le public, ont subi des pressions de leur hiérarchie, ont été privées de crédits de recherche ou ont dû faire face à des procès. Même si l'issue judiciaire de ces affaires leur a été favorable la plupart du temps, elles ont eu à subir pendant des années des situations très difficiles.

C'est pourquoi la proposition de loi déposée par Mme Marie-Christine Blandin et plusieurs de ses collègues du groupe écologiste du Sénat vise à protéger ceux que l'on appelle communément « lanceurs d'alerte ». Cette qualification suppose la réunion de deux éléments : la bonne foi et le désintéressement de celui qui signale à la société des éléments qu'il considère comme dangereux pour la santé et l'environnement.

Sans détailler le dispositif de protection prévu par l'article 8 du texte, je voudrais d'emblée exprimer un avis favorable à l'inscription du principe de cette protection dans notre droit. Ce faisant, la France ne fera que suivre l'exemple de pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Autriche ou l'Afrique du Sud. Plus largement, ce sera poser que les questions de santé et d'environnement ne sont pas l'apanage des pouvoirs publics ou des spécialistes, et reconnaître à chacun le droit minimal de soulever un problème en lui assurant une protection juridique, dès lors que son action n'a pas un caractère diffamatoire.

En résumé, c'est à un véritable changement de culture administrative que ce texte tend, à l'instar du projet de loi sur la participation du public que nous venons d'adopter.

Assurer une expertise indépendante et impartiale est l'autre objectif de la proposition de loi. Sans cela, en effet, les alertes resteraient vaines. La plupart des scientifiques lanceurs d'alerte ont souligné que les objectifs de profit des industriels, toujours à court terme, sont peu compatibles avec les évaluations sanitaires et environnementales, qui exigent plus de temps. Mais garantir une expertise indépendante est d'autant plus difficile que les chercheurs nouent des liens avec des organismes privés et ont, en outre, leur propre idéologie. Il convient en conséquence d'établir des procédures contradictoires et de soumettre les travaux de nos agences sanitaires à des règles déontologiques.

Le titre Ier de la proposition de loi vise à satisfaire cette exigence en instituant une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé et d'environnement, la CNDASE. Il ne s'agira pas d'une autorité nouvelle, dotée d'une personnalité morale et d'une autonomie budgétaire, mais d'une commission administrative.

La ministre chargée de l'environnement n'a pu nous dire à quelle direction de l'administration cette commission sera rattachée, cette décision étant toujours en cours d'instruction à ce que nous a rapporté son cabinet, mais il est clair que de ce choix dépendra l'application future de la loi.

Notre Commission peut donner un avis favorable aux deux principes posés par la proposition de loi, mais ce texte est largement perfectible, en raison notamment des conditions inhabituelles de son adoption par le Sénat. En effet, ce texte a été rejeté par la commission du développement durable de la Haute assemblée avant d'être adopté en séance grâce à la collaboration du Gouvernement et du rapporteur.

Notre collègue du groupe écologiste Jean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales, souhaitait initialement un vote conforme de l'Assemblée nationale, par crainte qu'on ne puisse inscrire à nouveau ce texte à l'ordre du jour du Sénat en cas de navette. Mais nous sommes parvenus à le convaincre de la nécessité d'améliorer cette proposition de loi. Les amendements que Fanny Dombre Coste et moi-même allons vous présenter ont été rédigés d'un commun accord avec lui.

Bien que notre Commission n'ait pas à se prononcer sur le titre II, je tiens à souligner le problème posé par les dispositions relatives à l'alerte en entreprise : le Gouvernement hésite à arrêter une position à ce sujet car il lui paraît délicat de légiférer sur des points qui font l'objet d'une négociation entre partenaires sociaux alors qu'il souhaite encourager le dialogue social. Il appartiendra à la commission des affaires sociales de trancher.

J'émettrai en revanche un avis favorable à l'adoption des titres Ier et III, sous réserve que soient précisés le rattachement administratif de la CNDASE, les modalités de sa saisine et le rôle qu'elle peut jouer si un citoyen ne sait à quelle instance s'adresser. En outre, l'ordre des articles pose un problème : la notion de lanceur d'alerte n'est définie qu'au titre II, qui concerne les entreprises, alors que l'alerte est par nature générale : elle peut être lancée en tout temps et en tout lieu. Je vous proposerai en conséquence d'affirmer plus clairement que lancer une alerte est un droit, via un article additionnel avant l'article 1er.

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