Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 15h00
Ancrage territorial de l'alimentation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure – chère Brigitte – j’ai, ces dernières quarante-huit heures, fait deux rencontres passionnantes qui font écho à notre débat d’aujourd’hui.

J’ai d’abord rencontré Thomas Huriez, le fondateur de 1083, une marque de jeans et de pulls totalement conçus et fabriqués en France, dont le nom fait référence à la distance qui sépare Menton, au sud de la France, de Porspoder, dans le Finistère. Ce jeune entrepreneur a inventé un modèle économique révolutionnaire qui lui permet de rivaliser avec les tarifs low cost de la production des esclaves du Bangladesh. Il a pensé autrement son système de financement, la fin des intermédiaires, ses modes de commercialisation, ce qui lui a permis de donner vie à une marque crédible, locale et naturelle.

Ma deuxième rencontre a eu lieu cet après-midi même, à l’occasion du trentième anniversaire du SIVAL, le Salon international des productions végétales, où je me suis rendu après vous, monsieur le ministre, à l’invitation de Bruno Dupont, pour parler Ecophyto.

Quelle n’a pas été ma surprise d’y voir deux révolutions. La première est technologique. Le nombre d’innovations en matière de biocontrôle et de machinisme est impressionnant. Cette fabuleuse innovation montre que le marché va plus vite que les institutions et que la profession ; les consommateurs et les producteurs sont plus rapides que ceux qui devraient réformer ce pays.

Ce salon du fruit et du légume m’a également surpris par le nombre d’innovations technologiques pour la commercialisation directe, les conditionnements de proximité, les hubs de filières locales, etc. Je n’étais pourtant pas à un CIVAM – centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural – mais au SIVAL, qui est le lieu de rencontre des filières de production spécialisées.

Une révolution technologique, culturelle, économique est en cours. Elle nous invite à accélérer et de ce point de vue l’initiative de Brigitte Allain, ancrée dans un travail parlementaire de longue haleine et une expérience personnelle acquise sur son territoire, est bienvenue aujourd’hui.

Désormais ce gouvernement et cette majorité ont un axe politique fort : consommer mieux, produire autrement.

Je me réjouis de votre initiative, Brigitte Allain, parce qu’elle permet aux agriculteurs, même de façon partielle, de sortir de deux impasses. La première est celle du corporatisme, de l’enfermement dans l’entre-soi, de la certitude que l’on a raison et de la méconnaissance des attentes et du dialogue avec l’altérité. Le deuxième risque est celui d’une mondialisation low cost qui exclut.

Votre proposition de loi porte une promesse : celle de la valeur ajoutée, de l’emploi de proximité. Elle est une partie de la solution. Elle permet de produire du symbole – et les débats que nous avons actuellement nous ont appris combien les symboles peuvent être importants – et du sens et de redonner à nos producteurs une certaine fierté.

J’y vois trois avantages, chers collègues, et j’aimerais qu’ils soient mis en avant lorsque nous voterons cette proposition de loi après l’avoir légèrement amendée.

Le premier est d’engager un dialogue entre la ville et la campagne car, mes chers collègues, les politiques rurales du XXIe siècle associeront la ville et la campagne.

La deuxième piste est celle de l’égalité entre nos concitoyens. Il ne s’agit pas de réserver la production alimentaire d’excellence, fraîche et savoureuse, aux plus riches, aux privilégiés ; il s’agit – c’est un impératif pour notre famille politique, et au-delà pour tous les républicains – de produire le meilleur pour tous. Lorsqu’on sait que seuls 3 % du budget de la santé sont consacrés à la prévention, on mesure combien une alimentation de qualité pourrait contribuer, non seulement à la qualité de vie de nos concitoyens mais aussi à l’équilibre de nos comptes sociaux.

Enfin le plan alimentaire territorial fait écho à des innovations législatives que nous avons défendues durant cette législature. Je pense notamment à la réforme des documents d’orientation introduite par la loi ALUR afin que ceux-ci tiennent compte des attentes socio-économiques des territoires. Je pense évidemment aux territoires à énergie positive : la lutte contre le gaspillage comme le bilan carbone des produits contribuera à la formation de tels territoires.

Mais je pense surtout aux programmes de santé publics inscrits dans la loi de santé de Marisol Touraine que nous avons votée il y a quelques semaines.

Il y a une trajectoire : celle d’une politique agricole commune plus juste, de l’agro-écologie, d’une alimentation qui peut devenir le fil conducteur d’un récit républicain associant égalité, qualité et dialogue.

Là où la république sociale est fragile, là où la nature est fragile, ce plan doit permettre de mettre les acteurs en mouvement. Il fait écho aux mots du grand Fernand Braudel, qui disait que les systèmes territoriaux les plus résistants étaient ceux qui avaient un pied dans l’économie-monde et l’autre dans un écosystème dense et solide.

Il fait également écho à ceux d’Olivier De Schutter nous rappelant que pour nourrir le monde, il faudra, non seulement, comme le disait Pisani, tous les agriculteurs du monde, mais surtout des échanges équitables et justes et l’inscription dans une diversité d’agrosystèmes locaux.

Il fait écho – et je terminerai là-dessus – à la belle phrase de Paul Houée, l’homme du Mené, qui, il y a quelques décennies, avait écrit un très beau livre, Les Chemins creux de l’espérance.

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