Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Cette communication sur le contrôle parlementaire des mesures prises pendant l'état d'urgence est la deuxième que Jean-Frédéric Poisson et moi-même vous présentons.

Cette tâche de contrôle nous paraît – comme à vous tous, je crois – indispensable, mais elle est délicate à accomplir dans le bruit de l'immédiat. Nous avons pu le constater au cours de nos six semaines de travail.

Ce travail, mené à partir des outils que nous avions élaborés, a pris différentes formes. D'abord, un effort très important, dont je tiens à remercier les administrateurs présents, de recueil et de collecte des données que les ministères de l'Intérieur et de la justice nous adressent régulièrement et que nous publions de manière hebdomadaire. Les chiffres que vous pouvez trouver sur le site internet de l'Assemblée ne sont pas ceux, publiés tels quels, que nous recevons du Gouvernement : les services les retravaillent et les croisent avec d'autres pour s'assurer de leur fiabilité.

Ensuite, nous avons continué d'interroger le Gouvernement sur les mesures prises : 66 courriers ont été adressés, portant sur 41 départements différents. Le taux de réponse du ministre de l'Intérieur, de 92 %, est tout à fait remarquable, et je l'en remercie.

Jean-Frédéric Poisson et moi-même avons également effectué huit déplacements. Outre le Val-de-Marne, nous nous sommes ainsi rendus, durant la suspension des travaux parlementaires, dans le Rhône, l'Yonne, le Nord, l'Ille-et-Vilaine, l'Hérault, la Haute-Garonne ; et, cette nuit, nous étions à la préfecture de police de Paris.

Parallèlement, nous avons commencé d'organiser des auditions, et nous allons continuer de le faire.

Compte tenu du rôle confié par la loi aux juridictions administratives, il nous a d'abord paru nécessaire de recueillir l'analyse du vice-président du Conseil d'État et du président de sa section du contentieux, ainsi que celles des représentants syndicaux des magistrats administratifs.

Naturellement, nous avons aussi entendu, pour le ministère de l'Intérieur, les responsables des services du renseignement Intérieur, la direction centrale de la police judiciaire, ainsi que les responsables des instances de coordination de la lutte antiterroriste – l'unité de coordination de la lutte antiterrorisme (UCLAT), et l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT). La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a également été auditionnée.

Enfin, lundi dernier, nous avons organisé deux tables rondes avec les responsables départementaux des forces de police, d'une part, et de gendarmerie, d'autre part, pour neuf départements au total.

Toutes ces auditions se sont tenues à huis clos, vu la sensibilité des sujets abordés, mais donneront lieu à des comptes rendus qui seront publiés, en tout ou en partie, à l'issue de nos travaux. En revanche, ainsi que je l'ai indiqué le 2 décembre, les débats en commission, comme celui d'aujourd'hui, sont bien sûr publics.

Voici les observations que nous pouvons formuler sur le fondement de nos constatations.

Premièrement, l'usage des mesures administratives est contrasté.

Parmi les treize mesures qui sont à la disposition du Gouvernement, dont cinq issues des modifications apportées en 2015, certaines n'ont pas du tout été utilisées. C'est notamment le cas du blocage des sites internet provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie, et du placement sous surveillance électronique mobile des personnes assignées à résidence. En ce qui concerne la première de ces deux mesures, cela s'explique probablement par sa proximité avec le dispositif introduit par la loi du 13 novembre 2014 dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Toutefois, nous continuons de chercher pourquoi cette mesure, comme celle relative au placement sous surveillance électronique, n'a pas été mise en oeuvre. L'administration n'aurait-elle pas anticipé la faisabilité réelle de ces dispositifs issus d'amendements parlementaires ? Sont-ils tout simplement inapplicables ? Inutiles ? Nous aurons besoin d'étudier ces questions de plus près.

D'autres mesures prévues par la loi du 3 avril 1955 ont été ponctuellement mises en oeuvre par les préfectures. D'abord, la faculté de créer des zones de protection, dont nous avons identifié cinq utilisations : à Dunkerque, dans la gare de Lille, et dans trois départements d'Ile-de-France pendant la COP21. Ensuite, la remise d'armes des catégories A à D détenues légalement. Troisièmement, la fermeture provisoire de salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunion, qui a par exemple concerné le Zénith de Paris – à la demande des organisateurs d'ailleurs. Enfin, le couvre-feu a été instauré une fois à ma connaissance, dans le quartier des Champs-Plaisants, à Sens, dans l'Yonne. Nous sommes toujours en attente d'informations nous permettant de dresser un inventaire complet du recours à ces mesures.

Par ailleurs, nous avons relevé que l'état d'urgence était mentionné dans les visas de plusieurs décisions préfectorales et ministérielles concernant des mesures qui pouvaient être prises sur d'autres fondements juridiques que la loi de 1955. Ainsi de l'interdiction de la vente d'alcool décidée par le préfet du Nord, mais aussi par le préfet de police de Paris ; de l'arrêté ministériel limitant les déplacements de supporters de clubs de football pour la dix-neuvième journée de championnat de ligue 1 et de ligue 2, le 11 décembre 2015 ; enfin, de l'interdiction préfectorale frappant la vente d'articles pyrotechniques dans le Bas-Rhin entre le 29 et le 31 décembre. Il conviendra d'en préciser les raisons.

Enfin, trois mesures ont été massivement utilisées : les perquisitions administratives – 3 021 ont été organisées, selon le décompte provisoire qui nous a été fourni hier soir par le cabinet du ministre de l'Intérieur –, les assignations à résidence – 381 ont été signées, selon la même source – et les interdictions de manifester.

Comme le ministre de l'Intérieur l'a précisé le 2 décembre, ces dernières ne doivent viser « en aucun cas à empêcher les mobilisations citoyennes ou sociales, dont les attentes et revendications doivent bien évidemment pouvoir s'exprimer ». Nous ne pouvons pour l'instant vous faire état d'un recensement exact de ces mesures. Le ministre nous a indiqué, dans une réponse datée du 26 décembre, qu'il avait demandé à tous les préfets de prendre des arrêtés d'interdiction de manifestation pour les trois premiers jours de la COP21, soit les 28, 29 et 30 novembre et que, au regard du travail que cela imposerait à ses services, il ne ferait pas procéder à un recensement des manifestations ayant effectivement eu lieu mais qu'il nous garantirait une réponse au cas par cas.

C'est donc un point sur lequel nous allons poursuivre nos investigations, d'autant que, comme nos déplacements et nos courriers nous ont permis de le constater, les préfets savent exactement quelles manifestations se déroulent dans leur département ; or celles qui nous intéressent sont peu nombreuses. En outre, les cas déjà étudiés le montrent, la connaissance de l'usage de cette mesure est très utile pour nourrir la réflexion globale sur l'état d'urgence.

La mesure principale est la perquisition administrative. Rappelons qu'au cours des 57 jours qu'a duré l'état d'urgence en 2005, il n'y en avait eu qu'une dans les 26 départements concernés. C'est la mesure plus commentée par la presse, qui, faisant son travail, relate des interventions parfois spectaculaires, souvent nocturnes, ainsi que par les associations et les avocats, qui en contestent des modalités qu'ils estiment abusives, pointant également des « erreurs manifestes dans le choix des cibles ».

Notre contrôle a donc porté sur la méthodologie utilisée.

Je soulignerai en premier lieu l'efficacité de la coordination préfectorale. De tous les acteurs concernés par la mise en oeuvre de l'état d'urgence, les préfectures se sont révélées les mieux préparées à l'état d'urgence. Les préfets et leurs équipes se sont organisés pour piloter le ciblage, signer les ordres de perquisition et contrôler l'action des services placés sous leur autorité.

Il est vrai que, en ce qui concerne la coordination des services, beaucoup d'outils existaient déjà ; ils ont été davantage sollicités pendant l'état d'urgence – donnant ainsi raison à Pasteur, pour qui « le hasard ne profite qu'aux esprits préparés »... C'est le cas des états-majors de sécurité qui, partout, ont accéléré le rythme de leurs réunions, mais aussi des groupes d'évaluation départementaux de la radicalisation (GED), qui ont fait gagner beaucoup de temps aux responsables locaux des services de sécurité, en particulier dans le ciblage des individus.

Deuxième observation, illustrée par les graphiques qui vous ont été communiqués : le recours aux perquisitions administratives s'est concentré dans les premières semaines de l'état d'urgence. Ainsi, selon les données les plus récentes et les plus complètes dont nous disposons, au cours des sept jours qui ont suivi les attentats, 907 perquisitions ont été organisées, soit près du tiers des 2 975 dont nous connaissons la date d'exécution ; et, au cours des deux premières semaines, ce sont 58,7 % des perquisitions qui ont été conduites.

Ces perquisitions se sont déroulées pour moitié – 50,4 % exactement – de nuit, une possibilité qui les distingue notablement des perquisitions judiciaires. Selon nos interlocuteurs, le choix d'une intervention nocturne résulte essentiellement d'une précaution tactique pour les forces de sécurité permettant de jouer pleinement de l'effet de surprise lorsque la cible est réputée dangereuse, ou d'opérer plus discrètement lorsque la zone est connue pour ses désordres. Mais il a aussi pu être justifié par la disponibilité plus grande des unités ou des techniciens, notamment les techniciens informatiques chargés de procéder aux copies d'ordinateurs. Nous constatons que la proportion de perquisitions nocturnes reste stable alors même que l'effet de surprise s'est estompé, que les cibles prioritaires se raréfient et que les unités spécialisées interviennent moins fréquemment : depuis le 30 novembre, la Brigade de recherche et d'intervention (BRI), l'unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) et le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ne sont presque plus engagés. En outre, nous avons relevé que, dans quelques départements, les préfets ont choisi de ne pas ordonner d'interventions la nuit ; les volumes de perquisitions y sont pourtant quantitativement comparables.

J'en viens au ciblage des perquisitions.

Contrairement aux assignations à résidence, les perquisitions administratives sont décidées par les préfets. Une organisation déconcentrée très spécifique a donc été mise en oeuvre, qui réunit systématiquement la sécurité Intérieure, le renseignement territorial, la direction de la sécurité publique du département et la gendarmerie nationale, mais aussi la police judiciaire et le parquet. Je répète aujourd'hui ce que je disais le 16 décembre : nous avons constaté partout une très bonne coopération opérationnelle entre les parquets et les préfectures, quelle que soit la taille du département. Partout, on nous a fait l'éloge de la « synergie » ou de la « dynamique de concertation » entre les deux institutions. Le parquet de Lille a même installé une permanence dédiée à l'état d'urgence pour être encore plus réactif.

Globalement, selon nos calculs, la moitié des perquisitions a été conduite à partir d'éléments venant des services de renseignement – renseignement territorial et sécurité intérieure. Ce sont souvent ces objectifs qui ont été traités au cours des deux premières semaines et avec l'appui des forces spécialisées d'intervention. Selon nos interlocuteurs, ces perquisitions avaient pour but de déstabiliser le microcosme radicalisé, d'éviter des répliques d'attentats tirant profit de l'effet de sidération immédiatement consécutif au 13 novembre et de s'assurer que les individus concernés n'avaient pas échappé à des procédures judiciaires antiterroristes. Depuis la période de fin d'année, nous n'observons pas de demandes nouvelles de ce type.

En ce qui concerne l'autre moitié des perquisitions, presque toutes réalisées à l'initiative des services de sécurité publique, les objectifs sont nettement moins prioritaires. Dans certains cas, le rattachement à l'islam radical passe par une inscription au fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), administré par l'UCLAT et qui comprend des personnes d'inégale dangerosité. Pour d'autres perquisitions, les objectifs poursuivis concernaient très explicitement des infractions aux législations sur les armes et sur les stupéfiants, soit du droit commun. Leur justification tient alors à la porosité, souvent évoquée, entre radicalisation, terrorisme et économie souterraine.

En ce qui concerne le déroulement de ces perquisitions, s'il est concevable, et même logique, que le Parlement cherche à connaître les conditions matérielles de leur mise en oeuvre, il nous a été concrètement impossible de nous livrer à leur étude. Au demeurant, un tel exercice aurait nécessairement été partiel. Nous avons de surcroît estimé qu'il relevait de la mission constitutionnelle du Défenseur des droits, dont la compétence est totale en matière de déontologie des forces de sécurité. Nous comptons tout de même faire état dans notre rapport final des circulaires et messages rédigés par les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales et établissant les modalités concrètes de déroulement des perquisitions. Tous font état de la rigueur déontologique à respecter et précisent les responsabilités hiérarchiques engagées.

En ce qui concerne les assignations à résidence, dont le pilotage était local, elles avaient pour vocation, selon nos interlocuteurs, à restreindre la liberté de circulation des personnes visées et à limiter leur capacité à se mettre en relation avec d'autres personnes considérées comme dangereuses, dans un contexte où les forces de l'ordre sont très mobilisées. Le Conseil d'État a validé cette approche extensive, puisqu'il a admis une distinction entre le fondement de la déclaration de l'état d'urgence et les motifs des assignations à résidence. De facto, il a estimé que, si le législateur n'avait pas voulu qu'il en soit ainsi, il aurait dû préciser qu'il doit toujours y avoir un rapport entre la situation à laquelle on applique le droit et, sinon l'objet, au moins sa finalité.

On notera cependant avec étonnement que certaines assignations ont été abrogées à la dernière minute, avant la décision du juge administratif saisi. Au total, dix-sept assignations ont été abrogées. On peine à interpréter cet empressement qui oblige le juge à prononcer un non-lieu sur le contentieux présenté devant lui.

J'en viens justement au contentieux.

La loi du 20 novembre 2015 a fait du juge administratif le garant de la nécessité et de la proportionnalité des mesures prises en application de l'état d'urgence, à la place des commissions départementales ad hoc, inadaptées, que prévoyait initialement la loi de 1955. Le nombre de contentieux est significatif, mais limité : 62 affaires ont été jugées par les tribunaux administratifs ; 53 d'entre elles concernent des assignations à résidence. Le juge a prononcé six suspensions, une suspension partielle et une annulation. À la suite de ces jugements, quinze affaires ont été portées devant le Conseil d'État ; vous en trouverez l'issue dans les éléments que nous vous présentons sur table.

Il convient d'abord de relever que les premières ordonnances rendues par les juges de première instance sont très disparates, au point de donner un sentiment d'improvisation. Mais il faut surtout souligner la prise de position, aussi bienvenue qu'indispensable à l'effectivité de l'office du juge, qu'ont représenté les décisions du Conseil d'État du 11 décembre, instituant un régime de présomption d'urgence – ce que la jurisprudence passée du Conseil d'État n'annonçait pas.

Le juge constitutionnel a par la suite validé le régime des assignations à résidence que nous avons voté. Saisi par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a en effet jugé conformes à la Constitution les neuf premiers alinéas de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, relatifs au régime des assignations à résidence et modifiés en novembre. Le dixième alinéa, dont la conformité n'a pas été contrôlée, concerne le placement sous surveillance électronique. Le Conseil constitutionnel a ainsi confirmé une nouvelle fois qu'il appartient au juge administratif, chargé de se prononcer sur la légalité des mesures individuelles, de procéder au contrôle de proportionnalité.

Quant à la justice judiciaire, la loi du 3 avril 1955 a qualifié d'infractions tous les manquements aux mesures prises au titre de l'état d'urgence. Cela concerne le non-respect d'une assignation à résidence ou encore la violation d'une interdiction de circuler ou de séjour. Les infractions constatées sont peu nombreuses : 41 affaires ont donné lieu à 40 gardes à vue et des poursuites judiciaires ont été engagées dans 21 cas.

Rappelons aussi que les procureurs sont informés sans délai du déclenchement d'une perquisition administrative, laquelle est obligatoirement conduite en présence d'un officier de police judiciaire, seul habilité à constater les infractions éventuellement découvertes et à procéder aux saisies en vue de poursuites judiciaires. Un cinquième des perquisitions a permis de constater des infractions, qui n'ont débouché sur des suites judiciaires que dans 201 cas.

Tous nos interlocuteurs ont souligné, d'une part, la grande continuité entre les opérations de police administrative et le déclenchement des poursuites judiciaires lorsque le cas se présentait, et, d'autre part, la très grande différence d'objectifs entre perquisitions administratives et perquisitions judiciaires. La perquisition administrative a pour objet principal de permettre à l'autorité administrative de réunir des éléments qui, croisés avec d'autres, sont de nature à prévenir un trouble à l'ordre public. Elle n'a donc pas vocation à conduire systématiquement à une procédure judiciaire. La perquisition judiciaire a, elle, pour unique objet de permettre à la police et à la gendarmerie, sous l'autorité d'un magistrat, de rechercher les preuves d'une infraction. Bref, pour parodier les propos de Mauriac sur l'Allemagne, j'aime tellement les libertés publiques que je préfère qu'il y ait plusieurs juges pour les protéger …

Mais, pour parvenir à un fonctionnement optimal, il faut que les prérogatives des deux polices soient scrupuleusement respectées et que leurs frontières ne soient pas mouvantes : à la police administrative la seule prévention, à la police judiciaire la répression.

Pour conclure – provisoirement –, à ce stade du contrôle et de notre réflexion, trois évidences s'imposent.

La première est la nécessité de ces mesures. La proclamation de l'état d'urgence était justifiée : le Président de la République et le Gouvernement se devaient d'adopter des mesures à la fois fermes et efficaces face à la menace terroriste.

Mais accorder à une législation d'exception une fonction préventive, c'est faire de la norme et de l'exception les deux branches d'une alternative. Or la législation d'exception est une véritable dérogation, qui ne peut être justifiée que par l'évidence. Comme le disait notre prédécesseur le vicomte de Martignac à la Chambre des députés, le 8 juin 1824 : « Les nécessités réelles se sentent et ne se controversent pas ». Le grand dérangement qu'entraînent les législations d'exception ne peut donc être que bref et sans séquelles.

La seconde évidence est la lecture nécessairement restrictive qu'il convient de faire de cette législation, en raison de son caractère exceptionnel. C'est là un principe constant de notre droit qui donne toujours une interprétation étroite à une législation d'exception, principe qu'exprime la règle exceptio est strictissimae interpretationis. Adoptée pour faire face à une menace imminente, une législation d'exception doit être limitée au strict nécessaire, ciblée avec suffisamment de précision et seulement temporaire. En conséquence, il faudra veiller à ce que les procédures gloutonnes permises par l'état d'urgence ne viennent pas dévorer le droit commun des libertés.

La troisième et dernière évidence concerne la fin de l'état d'urgence. Y entrer était une décision consensuelle ; en sortir sera un acte délicat à prendre – rappelons que le plan Vigipirate est activé, sous des formes diverses, depuis les attentats commis dans la station de RER Saint-Michel en juillet 1995. J'espère donc que, dans ce domaine aussi, nous ferons preuve de responsabilité le moment venu. L'arrêt de l'état d'urgence ne sera pas synonyme d'une moindre protection des Français.

L'essentiel de l'intérêt que l'on pouvait attendre des mesures dérogatoires me semble à présent derrière nous. Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons entendu que les principales cibles et les principaux objectifs avaient été traités, qu'en tout état de cause l'effet de surprise était largement estompé et que les personnes concernées étaient désormais pleinement préparées à une éventuelle perquisition. Cette extinction progressive de l'intérêt des mesures de police administrative se lit d'ailleurs dans les chiffres mêmes, qui montrent bien plus qu'un essoufflement. Le doyen Hauriou l'écrivait en 1929, les mesures administratives constituent un « droit de seconde qualité » et devront donc disparaître à l'expiration de l'état d'urgence.

Réagir efficacement à un attentat terroriste en donnant à l'État des moyens proportionnés à l'ampleur de la menace imminente était une chose ; cela a été fait, et bien fait. Combattre le terrorisme en profondeur en sera une autre. (Applaudissements.)

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