Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Je partage bien sûr entièrement le point de vue que vient d'exposer notre président. J'aimerais l'appuyer ou le compléter par les remarques suivantes.

Premièrement, je confirme la diligence avec laquelle les services ministériels et ceux du Défenseur des droits fournissent à ceux de notre commission – que je remercie au passage – les éléments demandés, malgré les délais de traitement administratif des courriers. Globalement, nous constatons partout la même bonne volonté. C'est elle qui nous permet de vous tenir informés le plus précisément possible, ce matin comme tout au long de la période d'état d'urgence.

Deuxièmement, j'aimerais signaler ce qui est apparu comme une évidence au cours de nos entretiens : d'une part, la très étroite coopération entre les services ; d'autre part, l'attention accordée par les préfets aux modalités des interventions, en particulier lors des perquisitions. Quelques inquiétudes se sont exprimées à propos de la manière quelque peu sèche, quelque peu énergique, dont sont opérées les perquisitions. Or, chaque fois que nous avons posé des questions sur les modalités d'intervention, leur surveillance, la présence ou non de hauts gradés lors des opérations, on nous a confirmé que les choses ne se faisaient pas n'importe comment et que les préfets avaient donné des consignes strictes encadrant précisément la manière d'entrer dans les domiciles perquisitionnés. Je crois pouvoir dire qu'il y a là un motif de satisfaction : la pratique a rendu infondées les craintes légitimement exprimées au début de l'état d'urgence.

Troisièmement, et plus généralement, plusieurs d'entre nous ont été questionnés à diverses reprises sur le respect des droits fondamentaux et des libertés publiques pendant l'état d'urgence. Cette demande concernait notamment les mesures d'assignation à résidence. Dans les situations dont nous avons eu à connaître ou à propos desquelles nous avons interrogé nos interlocuteurs, il ne m'a pas semblé que des dérives pouvant constituer des atteintes aux libertés publiques aient été constatées.

Lors de l'épisode, qui a fait couler un peu d'encre, de l'assignation à résidence de « militants » écologistes pendant la durée de la COP21, certains ont critiqué la manière dont on aurait utilisé le dispositif de l'état d'urgence pour prendre des mesures sans rapport avec le terrorisme. Nous aurons certainement ce débat, monsieur le président, lorsqu'il s'agira de sortir de l'état d'urgence le moment venu. Cela dit, la formulation de la loi est large et permet ce genre d'interventions même lorsqu'elles ne sont pas directement liées au terrorisme. En outre, nous avons pu prendre connaissance du profil des personnes visées par ces mesures : dans certains cas, il s'agit très clairement d'agitateurs et de casseurs, voire de délinquants récidivistes, bien plus que de simples militants. Le risque de perturbation de l'ordre public était donc réel. Je me tourne vers ma collègue Nathalie Appéré, dont la région est concernée : il n'y a eu là aucun abus de la part des services de la police et de l'administration, mais simplement des mesures préventives. Certes, du point de vue des principes du droit, la question de l'utilisation de l'état d'urgence à titre de prévention reste posée.

Cette absence d'atteinte aux libertés fondamentales depuis le début de l'état d'urgence est d'ailleurs confirmée par les décisions des juridictions, qui, dans l'immense majorité des cas, ont validé les mesures prises par l'administration.

S'agissant en quatrième lieu des milieux pénitentiaires – à propos desquels le président Urvoas utilise souvent, au cours des entretiens, le qualificatif d'« incubateur » du terrorisme, emprunté à Gilles Kepel –, nos interlocuteurs signalent presque systématiquement deux aspects. D'abord, la bonne relation de travail entre les services de renseignement et l'administration pénitentiaire. Ensuite, la porosité des prisons vis-à-vis des technologies de communication, en particulier de l'internet, qui pose un véritable problème. Celui-ci existe en dehors de l'état d'urgence, mais prend une acuité particulière dans la période actuelle, et doit être réglé. On nous a même raconté qu'un détenu dangereux placé à l'isolement était parvenu à donner une interview à un journal étranger !

Un mot de la sortie de l'état d'urgence, sur laquelle nous avons conclu hier soir notre rencontre avec le préfet de police de Paris. L'enjeu est le passage de relais entre la justice administrative et le juge judiciaire. Cette transition pose deux questions. La première, culturelle, a été soulevée plusieurs fois dans le cadre des entretiens, et rappelée à l'instant par Jean-Jacques Urvoas : l'articulation est-elle possible alors qu'il ne s'agit pas du même métier ? En second lieu, comment, malgré ces différences, faire en sorte que les procédures entamées sous le régime administratif se poursuivent dans le cadre habituel sans fragiliser la sécurité des Français ?

J'en terminerai par l'information des élus, qui a suscité des questions dès nos premiers échanges. En règle générale, les préfets ont réuni dans les départements les maires et les parlementaires pour les informer des mesures prises pendant l'état d'urgence. Mais nous constatons que cette information est d'une densité extrêmement variable d'un département à l'autre. Des parlementaires de Seine-Saint-Denis, en particulier, ont fait part de leur grande insatisfaction : ils ne s'estiment ni tenus au courant de la mise en oeuvre de l'état d'urgence ni associés alors même que ce département peut à bon droit être considéré comme particulièrement sensible dans le domaine qui nous occupe.

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