Intervention de Lionel Tardy

Séance en hémicycle du 19 janvier 2016 à 15h00
République numérique — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLionel Tardy :

Il y a de quoi être secoué par cette phrase, mais elle a du sens : l’excès de régulation n’est jamais bon en soi. Dans ce domaine, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Or, cette leçon n’a pas été retenue pour élaborer ce projet de loi, dont les articles donnent davantage l’impression d’une formalisation et d’une suspicion plutôt que d’un encouragement à l’action.

Si la loi précédente était une loi de confiance dans le numérique, je crains que ce ne soit pas le cas de ce texte, même si j’ai bon espoir que les éventuelles modifications apportées pendant la discussion qui va s’ouvrir me donneront tort.

J’entends vos arguments, madame la secrétaire d’État, concernant les dispositions qui entrent en conflit ou présagent, sans en être sûr, l’issue des discussions européennes. En substance, vous nous expliquez qu’inscrire ces articles dans la loi française est un moyen de faire pression sur les discussions pour inciter les autres États de l’Union européenne à aller dans notre sens.

Est-ce le rôle de la loi ? Un texte législatif national n’a pas à être un tract politique à destination de Bruxelles. Si la loi française en est réduite à cela, autant fermer les portes du Parlement immédiatement !

Je pourrais comprendre cette stratégie dans certains cas, par exemple lorsqu’une législation nationale n’entre pas en conflit avec une législation européenne et ne met pas des bâtons dans les roues à des acteurs économiques, ou encore lorsque l’on est certain que des marges de manoeuvres seront laissées aux États. Pour le reste, très honnêtement, je ne vois pas.

Surtout, vous tenez un discours contradictoire. Je m’explique. Prenons l’exemple de la liberté de panorama qui a été adoptée par la commission des affaires culturelles, ce qui est une excellente nouvelle. Je ne parlerai pas ici du fond – tout le monde sait que j’y suis favorable – mais bien des arguments développés, sur ce sujet qui ne faisait pas partie du projet de loi initial comme sur d’autres.

En commission, vous vous êtes montrée défavorable aux amendements sous prétexte qu’une réflexion était en cours au plan européen. Pourtant, et contrairement aux articles relatifs aux plateformes, il existe une directive qui pérvoit l’exception de panorama, laquelle est transposable. Votre position est donc totalement à l’inverse de celle que vous défendez peu après, aux articles 21 et suivants.

Le fait de ne pas pouvoir traiter de certains problèmes parce qu’ils peuvent être résolus sur le plan européen n’est pas un mal en soi. On a l’impression que vous vouliez parler absolument de la neutralité du net, surtout dans la version présentée au Conseil d’État, alors que les États n’ont aucune marge de manoeuvre en la matière, à part sur les pouvoirs de contrôle de l’ARCEP – mais pas sur la définition et le périmètre en lui-même. À l’inverse, le fait que des sujets comme la liberté de panorama ou les communs soient étudiés au niveau européen ne doit pas être une excuse pour les traiter ici, surtout quand la marge de manoeuvre nationale, cette fois, existe.

Nous en déduisons que vous ne voulez pas avancer en même temps que l’Union européenne, sauf quand cela vous arrange. Un renvoi en commission vous laisserait le temps d’harmoniser un peu votre position sur ces sujets.

Enfin, comme l’a souligné Laure de La Raudière en commission, les amendements créant des articles additionnels ont souvent lancé des débats plus intéressants et plus cruciaux que ceux concernant le contenu du texte lui-même. C’est le signe encore une fois d’une trop grande segmentation du sujet de la part du Gouvernement.

Les amendements déposés par l’ensemble des groupes témoignent d’une certaine frustration – légitime – de ne pas pouvoir traiter d’éducation numérique, d’économie, de fiscalité, de droit d’auteur, bref de ne pas pouvoir considérer l’écosystème numérique dans son ensemble. Le titre du projet de loi – pour une République numérique – est donc complètement usurpé. On appelle cela du marketing, de la communication

N’oublions pas non plus que tout ce que nous écrivons dans la loi doit être soupesé avec une extrême précaution, car les termes et les usages que nous essayons d’appréhender aujourd’hui seront peut-être dépassés demain. Il serait utile de prévoir une clause de revoyure, étant donné que les usages évoluent de façon très rapide. En attendant, un renvoi en commission permettrait déjà de revoir le périmètre du projet de loi tel qu’initialement délimité, périmètre qui, malheureusement, sert souvent de prétexte pour renvoyer des débats importants aux calendes grecques.

Nous saluons l’esprit constructif du rapporteur et d’Axelle Lemaire, qui a permis d’obtenir certaines avancées. Je pense par exemple à la publication systématique de l’avis de la CNIL sur tout projet de loi, sans passer par l’avis de la commission permanente saisie au fond. Je pense également au changement de nom de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques – CSSPPCE – qui doit devenir la Commission parlementaire du numérique et des postes. Un grand nombre de textes traitent du numérique, y compris de façon indirecte, comme l’a relevé Jean-Yves Le Déaut. Il est donc plus que nécessaire qu’une commission installée de façon permanente puisse apporter une expertise sur ces sujets. Son changement de nom doit s’accompagner d’une adaptation de ses missions et d’un renforcement de ses compétences vis-à-vis de l’ARCEP, dont le rôle est grandissant. Nous en reparlerons lors de la discussion des amendements.

Quoi qu’il en soit, cet esprit constructif est gâché par les éléments que j’ai cités plus tôt : le manque de coordination avec le niveau européen, sans doute le manque de coordination au niveau gouvernemental, ainsi que le manque de clarté rédactionnelle et les délais très contraints entre l’examen en commission et la séance.

C’est parce que nous partageons cet esprit de travail, cet esprit constructif, c’est parce que nous voulons un projet de loi positif pour les droits du citoyen dans la société numérique que nous n’avons pas déposé de motion de rejet, mais que nous vous invitons, chers collègues, à adopter cette motion de renvoi en commission, car il y a de véritables manques dans ce projet de loi.

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