Intervention de Ibrahim Aboubacar

Réunion du 13 janvier 2016 à 11h00
Délégation aux outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIbrahim Aboubacar :

Dans votre conclusion générale, monsieur le Premier président, aux pages 123 et 125 de votre rapport, vous constatez que le processus de départementalisation a commencé en 2001 et que, dix ans après, en 2011, les principaux acteurs n'étaient pas prêts au basculement. Vous indiquez également à la fin que c'est par une définition claire des étapes à franchir et par un effort énergique pour combler les retards qu'il faut commencer, dans un esprit de responsabilité partagée.

Que la départementalisation fût mal préparée, nous le savons, particulièrement ceux d'entre nous qui ont suivi ce processus depuis quinze ans. Les causes en sont multiples. Qu'il nous faille avoir une vision partagée, État et responsables locaux, pour réussir la suite, nous sommes les premiers à l'appeler de nos voeux.

L'accord de 2000 sur l'avenir de Mayotte, bien qu'approuvé par 73 % de la population, n'était pas unanime. Des doutes et des suspicions demeuraient dans les esprits de certains dirigeants et la volonté de mettre en oeuvre le contenu de l'accord n'était pas au rendez-vous, certains considérant même que toutes ces réformes préalables étaient prétexte à retarder ou refuser la départementalisation.

C'est ainsi que la réforme de l'état civil, la réforme foncière et la réforme fiscale ne furent pas menées à terme avec la force nécessaire sans que cela n'émeuve personne. Bien que le pacte pour la départementalisation de 2008 ait rappelé ces exigences, aucune accélération n'a été observée entre son octroi par le Président de la République et la départementalisation effective en 2011. On venait de repousser la réforme fiscale de 2007 à 2014, mais le foncier et l'état civil restaient toujours à la traîne.

La réaction est venue des élus locaux, inquiets de voir le processus s'embarquer sur de mauvais rails. Je remercie mon collègue Victorin Lurel d'avoir accepté, lorsqu'il était ministre des outre-mer, l'idée que je lui avais soumise dès septembre 2012, d'une vision partagée, devenue le document stratégique « Mayotte 2025 », signé cette fois par l'État et l'ensemble des élus locaux. Il faut maintenant le faire vivre et aller plus loin dans les défis à relever. C'est pourquoi j'approuve totalement votre recommandation n° 2.

Vous faites observer, à juste titre, dans votre introduction que l'expression « départementalisation » ne rend compte qu'imparfaitement du processus de transformation juridique du territoire. On ajoutera que l'appellation de « département de Mayotte » ne rend compte que partiellement de la réalité de ce statut. Les dénominations actuelles des collectivités de Guyane et de la Martinique sont plus pertinentes, mais cela tient à notre histoire.

Ce point est particulièrement important. Il suffit de lire dans les lois que nous avons votées depuis 2012 la quantité d'appellations désignant Mayotte : parfois, on lit « les départements d'outre-mer et Mayotte », parfois « les départements d'outre-mer », ou encore « les quatre départements d'outre-mer », voire « les cinq départements d'outre-mer ». À tel point que moi-même, en tant que législateur, je ne sais jamais s'il faut parler de département ou de région d'outre-mer dans un texte de loi ni si, a priori, Mayotte est ou non concernée.

Enfin, je voudrais rappeler avec force qu'à l'heure où nous faisons un bilan de cette départementalisation, quatre ans après son lancement, il importe d'avoir à l'esprit que la totalité des phénomènes en oeuvre dans l'île ne sont pas tous dictés ou liés par cette départementalisation ; et l'on a tendance à lui mettre sur le dos des choses qui n'ont rien à voir… La départementalisation fixe, bien entendu, un cadre juridique à notre développement et l'oriente, l'impulse ou l'impacte. Mais enfin, refuser la pauvreté, vouloir l'éducation de la population, vouloir la santé des gens, un mieux-vivre et un mieux-être, nous continuerons à le vouloir, quel que soit le statut du territoire ! C'est d'ailleurs ce que les îles indépendantes voisines viennent chercher à Mayotte… tout en nous donnant des leçons d'indépendance !

Les contraintes qui s'imposent au territoire, explosion démographique, rareté du foncier, spécificités culturelles, relations avec nos voisins comoriens, département ou pas, elles seront là. C'est le cadre qui régit notre développement.

À partir de cela et compte tenu de mon temps de parole limité, je me cantonnerai à quelques questions et observations parmi toutes celles que m'inspire ce rapport dont je salue la tonalité et l'impartialité. Je n'ajouterai pas l'exhaustivité, car ce ne fut sans doute pas votre objectif.

Ma première question a trait à l'immigration et à ses impacts sur les politiques publiques à Mayotte. Selon vous, quelle est la conjugaison possible entre l'attractivité de Mayotte par rapport aux îles voisines et la juste aspiration au développement de sa population ? C'est une question de fond, qu'il ne faut pas continuer de sous-entendre, et qui est sous-tendue par des oppositions entre nous, élus locaux, et l'État. Pourra-t-on continuer à bénéficier des différentes dérogations contenues dans le régime législatif applicable à Mayotte pour endiguer ce phénomène migratoire ? Quelle mesure supplémentaire, selon vous, pourrait être prise utilement pour améliorer l'efficacité de la lutte contre l'immigration clandestine ?

Dans le cadre de votre recommandation n° 2 sur le pilotage, dont le contenu est pertinent, faut-il clairement suggérer à l'État la nomination à nouveau d'un chargé de mission rattaché à Matignon pour piloter, entre autres, ce processus, et à la préfecture de Mayotte celle d'un alter ego ? La pratique que nous avons, depuis plusieurs années, localement, de confier cette tâche à un stagiaire de l'École nationale d'administration (ENA) n'est manifestement pas satisfaisante.

Toujours dans la recommandation n° 2, un point crucial doit être abordé, c'est la connaissance par les usagers de la norme applicable à Mayotte : vos observations, pages 41 à 44, et notamment à la page 42, décrivent de réelles difficultés. Comment remédier à cela, nul n'étant censé ignorer la loi ?

S'agissant du développement économique, je m'en tiendrai à votre recommandation n° 1 sur le port. Je m'inquiète doublement, à la lecture de toutes les irrégularités et imprécisions qui ont entouré la passation de cette délégation de service public (DSP), objet des remarques de la chambre régionale des comptes, et du dispositif exposant le risque pesant sur le département, tel que décrit à la page 36 du rapport. Cela me donne l'occasion de rappeler que le port de commerce de Mayotte est le seul à avoir un statut différent des autres ports de commerce des départements d'outre-mer.

J'en viens à la recommandation n° 3 et à la question foncière, qui est, comme vous l'avez dit, centrale. Au-delà de ce qui est écrit, il faut souligner une incompréhension très profonde entre l'État et les élus locaux. La création de l'Établissement public foncier (EPF), objet de votre recommandation, en gestation depuis six ans, est la manifestation de cette incompréhension que symbolise l'initiative de la Direction générale des outre-mer (DGOM), citée page 48 et consistant à interroger la validité des textes malgaches qui régissaient auparavant notre foncier. Je voudrais souligner la dangerosité de cette démarche, car un certain nombre d'actes de propriété aujourd'hui en oeuvre sont attachés à ces textes de 1926 et 1929.

Je ne comprends pas cette démarche consistant à s'interroger à ce propos, car il y a d'autres questions infiniment plus graves à se poser, s'agissant de ces textes malgaches et de la rupture de nos relations avec les Comores. Comment des centaines d'hectares sont-ils passés du statut de concession au statut de propriété privée, alors que, dans les ordonnances royales, ils étaient censés revenir au domaine public ?

Comment demander aujourd'hui à la population qui habite dans la zone des cinquante pas géométriques (ZPG) de payer une contribution, alors qu'on dit vouloir régulariser la situation en référence au droit des indigènes ? Lorsque Mayotte a été vendue à la France en 1841-1843, le roi avait reconnu explicitement, dans l'article 6 du traité, la propriété des indigènes qui y habitaient. J'appelle donc à faire preuve de prudence et à se garder de remuer par trop des dispositifs d'une autre époque qui ne feront que compliquer les choses.

Cette incompréhension nous a conduits à sortir le décret sur la zone des cinquante pas géométriques en 2009, alors que la régularisation foncière a été entamée en 2001. Le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) avait fini son relevé physique plusieurs années après, et le département a été incapable de poursuivre le travail.

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