Intervention de Myriam Benraad

Réunion du 12 janvier 2016 à 13h30
Mission d'information sur les moyens de daech

Myriam Benraad, chercheure associée à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, IREMAM et à la Fondation pour la recherche stratégique, FRS :

L'idéologie baathiste se voulait certes séculière, mais n'a jamais nié la place de l'islam. Il est faux de penser que l'Irak d'avant 2003 était laïc et qu'il serait devenu islamiste par la suite. L'Irak a toujours été un pays musulman, dont l'islam a été reconnu comme religion d'État par tous les régimes, y compris celui de Saddam Hussein. Dans les dernières années, une conjonction de facteurs a entraîné le repli de la population dans le registre du religieux en réaction à la naissance de la République islamique en Iran et à la guerre contre ce pays. Ensuite, les sanctions internationales consécutives à la guerre du Golfe ont créé une dévastation économique et sociale qui a alimenté la pratique religieuse et le désengagement envers l'identité nationale, l'État n'assumant plus ses fonctions et n'assurant plus la sécurité de la population. À cette époque, le régime de Saddam Hussein s'est recroquevillé à Bagdad, car il a perdu le contrôle des provinces kurdes et du sud chiite du pays qui s'est soulevé dès 1991 avec le soutien de certains déserteurs de l'armée et d'opposants aidés par l'Agence centrale de renseignement américaine (CIA). Retranché, Saddam Hussein s'est tourné vers l'islam pour relégitimer son gouvernement ; il a lancé une campagne de la foi pour se présenter comme un bon musulman et pour faire taire son opposition islamiste qui l'accusait d'être un nouveau Nasser échouant dans toutes ses guerres contre l'Occident. La transition de cet islamo-nationalisme au djihadisme actuel prit quelques années.

En 2003, l'État s'est effondré, l'armée a été démantelée, les membres du parti se retrouvent sans emploi, et tous ces gens organisent une résistance armée au sein de laquelle al-Qaïda devenu État islamique devient prédominante. Cette organisation s'avère en effet la plus déterminée, inflige les pertes les plus nombreuses aux Américains, puis s'impose face aux autres moudjahidin et à la tendance plus nationaliste et plus modérée car elle liquide tous ceux qui s'opposent à elle. L'EI a assis sa domination par la force, par ses ressources, par son zèle guerrier et par l'alternative qu'ils représentent. Ce phénomène se répète aujourd'hui en Syrie : les passages d'un groupe à l'autre s'effectuent en fonction de l'argent et des opportunités de victoire. Ces transferts étant très répandus, les classifications définitives entre les groupes s'avèrent superficielles.

Les Saoudiens furent les premiers, avec M. Jacques Chirac, à avertir M. George W. Bush du fait qu'envahir l'Irak revenait à ouvrir une boîte de Pandore et à déclencher une catastrophe ; l'Arabie saoudite a été l'État le plus actif sur ce plan. On peut pointer son rôle dans l'émergence de Daech, mais on doit étendre un tel constat aux États-Unis qui ont financé des groupes djihadistes ; on a assisté en quelque sorte au retournement de Frankenstein contre ses créateurs. Le jeu du Qatar et de la Turquie s'est également révélé trouble, car ces pays financent plusieurs groupes ; on accuse la Turquie et le Qatar de soutenir les Frères musulmans quand les Saoudiens défendraient une ligne favorable aux salafistes, mais ces analyses sont fausses. Ces États déploient des stratégies bien plus diversifiées que la caricature que l'on en dresse.

La sortie de crise ne passe pas par les pays de la région, mais par la reconstruction des États irakien et syrien et par la collaboration avec les élites d'Irak et avec les interlocuteurs que l'on pourra trouver en Syrie. Ce sont les Irakiens et les Syriens qui détiennent les clefs de la résolution du conflit, et non les apprentis sorciers régionaux qui n'ont cessé d'élaborer des calculs cyniques sur l'avenir de ces deux États et de tirer des bénéfices évidents de leur effondrement – c'était très clair pour l'Irak. Lorsque l'on m'a dit il y a un an que l'important résidait dans la coopération entre l'Arabie saoudite et l'Iran, j'ai éclaté de rire car je n'y ai jamais cru. J'ai toujours insisté sur la nécessité de miser sur l'Irak et la Syrie eux-mêmes et regretté que l'on n'empruntât pas suffisamment cette voie.

Le trafic de femmes, l'esclavagisme, voire la mise en place de réseaux pédophiles n'occupent pas une place secondaire pour Daech. Certains enfants sont vendus à de riches personnalités du Golfe et au-delà du Golfe. Ce commerce ne constitue pas la première source de financement du groupe, mais la marchandisation abjecte des êtres reste insuffisamment dénoncée. La presse ne publie qu'une infime partie de ce que l'on me raconte.

Le bombardement de la banque de liquidités de Daech affaiblira bien entendu le groupe.

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