Intervention de Myriam Benraad

Réunion du 12 janvier 2016 à 13h30
Mission d'information sur les moyens de daech

Myriam Benraad, chercheure associée à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, IREMAM et à la Fondation pour la recherche stratégique, FRS :

Plutôt que de collecter des impôts, Daech pratique des extorsions. Ainsi, l'EI n'a pas instauré la djizîa, impôt pesant sur les non-musulmans en échange de la protection du souverain, puisqu'ils se sont adonnés à une pratique presque génocidaire contre les minorités. Je récuse la notion de « fiscalité » car elle accrédite l'idée de l'existence d'un État : nous ne pouvons pas assimiler l'extorsion à la levée organisée d'impôts.

Les réquisitions ont cours depuis 2003 en Irak ; des réfugiés chrétiens m'ont ainsi expliqué que des combattants liés à al-Qaïda ou à d'autres groupes radicaux leur avaient fixé des ultimatums de 48 heures pour quitter les lieux et laisser leurs biens. Cette pratique s'est développée avec la fuite de centaines de milliers de personnes. Les petits Français ralliés à l'EI occupent les villas avec piscine quand les populations syriennes et irakiennes fuient leur pays. Ces dernières affirment que nous sommes aussi dangereux pour elles que ces pays pour nous, car ils accueillent le monde entier et le vivent comme un fait colonial. L'État islamique est un fait colonial : ce qui se présente sous les traits du califat ne se révèle en fait qu'une internationale de combattants qui colonisent l'Irak et la Syrie. Il convient de reconstruire ces États afin de permettre à leurs populations de retrouver leur dignité sur leurs terres. En effet, ces gens n'ont pas voulu quitter leur pays et souhaitent y retourner. Il ne faut pas avaliser la partition de l'Irak et de la Syrie et priver ces gens de l'espoir de retourner chez eux.

Coloniale, la politique de l'État islamique s'avère également impériale en se posant comme un contre-modèle de l'Occident. Son but ultime est de devenir la nouvelle Amérique. Il hérite autant de la violence moyen-orientale que de notre Histoire des vingt-cinq dernières années. C'est pour cela que j'appelle ses membres les « dégénérés » de la globalisation, au sens premier du terme, ce qui ne leur plaît pas du tout.

La promesse d'un califat venant expier les errements du Moyen-Orient et les maux de l'Occident représente une utopie ; les Occidentaux qui se rendent en Syrie aujourd'hui sont issus de milieux musulmans ou se convertissent à l'islam, ont pour principale motivation la volonté de servir la bonne cause, qui incarne un idéal s'opposant aux diverses et vastes insatisfactions ressenties dans leurs vies. Cette utopie repose sur la volonté de renverser le cours des événements des vingt-cinq dernières années, ce qui explique que ce mouvement ne pouvait naître qu'en Irak. À la fin de la guerre froide, on nous a présenté l'Histoire comme finie grâce à la globalisation vertueuse, mais dès les années 1990, l'Irak représentait une zone d'ombre dans ce tableau. Les horreurs de la guerre d'Irak de 2003 pèseront lourdement sur les trajectoires de radicalisation – que l'on pense à la filière des Buttes-Chaumont à Paris – et ce pays constitue la zone d'attraction des parias.

La Turquie et l'Arabie saoudite se trouvent aujourd'hui dans la ligne de mire directe de l'EI, si bien que leur comportement ne peut qu'évoluer : il y a clairement des logiques d'État. Cela ne signifie pas pour autant qu'ils coopéreront avec nous, car nos analyses et nos intérêts divergent.

Ce califat réinvente une tradition qui ne correspond absolument pas aux califats omeyyade ou abbasside, cette reconstruction s'avérant typique des mouvements totalitaires. Le califat mythifié devient le lieu d'expression d'un phénomène totalitaire assis sur l'idée de pureté et d'unification, c'est-à-dire de purification, et exterminant tous ceux qui s'y opposent.

L'ONU, très mobilisée sur cette question, a, comme de nombreux États, lancé des initiatives, et l'Union européenne (UE) a imposé des sanctions, mais l'angle mort de la lutte contre Daech reste Internet. Rien de significatif n'a été accompli dans ce domaine ; pire, lorsque je signale des profils de personnes postant des images atroces sur les réseaux sociaux ou y appelant à la levée de fonds, au recrutement et à la violence, Twitter refuse de supprimer les comptes au motif qu'ils n'enfreignent pas les conditions d'usage. L'impunité règne sur Internet et elle ne fera que s'étendre si aucune disposition sérieuse n'est prise.

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