Intervention de Myriam Benraad

Réunion du 12 janvier 2016 à 13h30
Mission d'information sur les moyens de daech

Myriam Benraad, chercheure associée à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, IREMAM et à la Fondation pour la recherche stratégique, FRS :

Le pillage des banques a rapporté un capital important à l'EI. L'estimation de 2 milliards de dollars date de la fin de l'année 2014, et les bombardements menés par la coalition internationale et par la Russie, ainsi que les combats sur le terrain, rendent difficile sa mise à jour. Daech conserve en tout cas suffisamment de fonds pour assurer sa subsistance et conduire des opérations locales ; les familles reçoivent 500 dollars pour un attentat-suicide et entre 300 et 500 dollars pour une voiture piégée. Cela existe depuis la période d'occupation américaine, et beaucoup de jeunes Irakiens ont rejoint l'État islamique d'Irak en raison de promesses financières plus attractives que celles d'autres groupes ; cette situation se répète aujourd'hui en Syrie.

Dans les territoires contrôlés par Daech, des voies de communication sont détruites et des infrastructures sont détruites, dont des banques, si bien que la circulation des flux s'avère plus ardue ; de même, l'évolution militaire en Syrie, impulsée notamment par les forces kurdes, compliquera la tâche de l'EI dans les six prochains mois, ces changements ne touchant pas le théâtre irakien.

La contrebande ne s'avère pas particulièrement sophistiquée, mais les bombardements ne parviendront pas à la démanteler en l'absence d'un État sur place capable d'assurer cette mission. Comme les combattants et les intermédiaires impliqués dans ces trafics sont très nombreux, les bombes peuvent détruire des infrastructures, mais non le tissu économique qui s'articule autour de ces transactions quotidiennes. Le passage des devises et des hydrocarbures sera plus complexe, mais le commerce ne connaîtra pas d'arrêt.

Où se trouvait la volonté politique de l'État irakien jusqu'à maintenant ? Cet État n'a même pas lutté contre ses propres dérives, et ses élites dirigeantes baignent dans la corruption, si bien qu'elles ne sont pas entendues lorsqu'elles demandent au peuple de combattre ce fléau. Les rapports émis par des organisations internationales comme l'ONU sur les réformes à mettre en place ne présentent aucun intérêt, car le quotidien des Irakiens, sans eau ni électricité, se résume à la survie.

Le processus multilatéral qui vient d'être engagé est important pour la suite, car il faut réunir les acteurs concernés et définir un cadre, mais le début de sortie de crise se jouera sur le terrain par le respect d'un cessez-le-feu. Ensuite, les solutions émergeront à une échelle très locale, car la Syrie est un pays totalement dévasté – ce qu'on a peine à percevoir réellement ici. Cette destruction a été beaucoup plus rapide et profonde qu'en Irak.

La ville de Ramadi, ravagée, n'a pas été complètement libérée du joug de l'EI, contrairement à ce qu'en ont dit les médias. L'État irakien souhaite-t-il la reconstruire ? Si tel est le cas, en a-t-il les moyens ? Là réside la condition du ralliement de la population au gouvernement. Au lieu de compter sur des intermédiaires régionaux réticents à soutenir l'Irak, la coalition désire-t-elle vraiment aider à cette tâche ? Jusqu'à présent, nous n'avons pas fait les bons choix de politique étrangère en Irak et en Syrie.

Des ONG, se présentant comme caritatives, ont soutenu l'EI, par exemple en détournant à son profit l'aide alimentaire. Ce sont en général de petites organisations dont le trafic en faveur de l'EI peut bénéficier de l'assentiment de certaines autorités. Au-delà de ces organisations, le sympathisant sait très bien dans quelle épicerie de quel village frontalier se rendre pour transmettre de l'argent à Daech. Ce système fluide s'avère difficilement saisissable.

L'enrôlement s'effectue localement en Irak, en Syrie et en Libye où l'EI est implanté, et le recrutement international passe par Internet. Un budget propre sert à rémunérer les combattants, et des aides sont allouées aux familles. C'est un véritable système, bien articulé.

Al-Jazeera est loin d'être le seul media à jouer un rôle trouble ; en effet, qui dit aujourd'hui la vérité sur le conflit syrien ?

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