Intervention de Michel Piron

Séance en hémicycle du 26 janvier 2016 à 15h00
Droit des étrangers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Piron :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi par nos deux assemblées a fait ressortir incontestablement deux conceptions fort différentes de notre politique d’immigration, jusqu’à changer l’intitulé même du texte, puisque le Sénat l’avait renommé projet de loi relatif à la « maîtrise de l’immigration ». La distinction sémantique n’est pas négligeable.

L’instauration, par le Sénat, d’un quota triennal d’étrangers autorisés à s’installer en France en est l’une des mesures les plus symboliques. C’est donc sans surprise que la commission mixte paritaire s’est trouvée dans l’incapacité d’élaborer un texte commun. À l’exception de quelques ajouts par le Sénat sur les étrangers placés en zone d’attente ou sur la répression de la fraude documentaire, nous examinons aujourd’hui un texte quasiment identique à celui qui a été adopté en juillet dernier par l’Assemblée nationale.

Nous vous le concédons, ce texte a le mérite de reposer avant tout sur la volonté de considérer l’immigration organisée comme une chance et non comme une contrainte à refuser. Sans nier les difficultés – elles sont grandes – qui entourent toute politique d’immigration, nous devons être pleinement conscients de la richesse que celle-ci peut représenter si, et seulement si, elle est menée de pair avec une politique d’intégration fondée sur l’apprentissage de la langue, l’éducation, donc l’appropriation des valeurs de la République, et les formations menant à l’emploi.

J’ai entendu plusieurs fois évoquer l’Allemagne. Je tiens à rappeler que ce pays a deux caractéristiques différentes essentielles à observer. La première, c’est que l’immigration n’y a rien à voir, en termes de chiffres, avec celle que nous connaissons : 1,080 million migrants sont entrés en Allemagne, dont 70 % de réfugiés. C’est dix fois plus que le flux que nous avons à gérer. Dans le même temps, toutefois, l’Allemagne, État fédéral, a su, dans un pacte passé avec tous les Länder, dégager des critères communs pour l’accueil des migrants, reposant sur le nombre d’habitants et la richesse de chaque Land. Ce consensus date d’août 2015. On ne peut pas dire que le système français, en dépit de, à moins que ce ne soit en raison de sa centralisation, ait eu la même efficacité. C’est ainsi que 24 000 personnes ont été recrutées afin d’assurer l’apprentissage prioritaire de la langue allemande pour 340 000 jeunes. Où en sommes-nous ? Je ne suis pas certain, après avoir entendu certains propos, que comparaison soit toujours raison.

Le projet de loi prévoit de rénover le contrat d’accueil et d’intégration, dispositif qui permet, depuis 2006, d’engager les étrangers ayant obtenu pour la première fois un titre de séjour dans un parcours et de s’assurer de leur volonté d’intégration. Ce contrat a été décrit comme un dispositif coûteux qui offre des formations parfois inadaptées au profil des migrants. Là encore, la comparaison avec l’Allemagne ne vaut pas : celle-ci consacre à cette politique 24 milliards, dont 8 milliards pour le seul État fédéral, le reste étant à la charge des Länder. Nous ne sommes pas dans un tel ordre de grandeur.

Nous souscrivons volontiers à votre désir de mettre en oeuvre une logique personnalisée, mais une simple information, dans le pays d’origine, sur la vie en France et les droits et devoirs qui y sont liés, est loin, bien loin, de garantir à elle seule la réussite de l’intégration des candidats à l’immigration. Dans cet esprit, le groupe UDI-UC avait permis, au Sénat, de poser le principe selon lequel l’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français doit, avant son entrée en France, apporter la preuve de sa capacité et de sa volonté d’intégration à la société française. Cette proposition n’a, hélas, pas été retenue.

En outre, alors que l’article 2 modifie les conditions de connaissance de la langue française pour la délivrance de la carte de résident, l’exigence d’un niveau suffisant ne figure plus dans le texte actuel. Je crains que nous n’ayons ainsi affaibli l’objectif initial.

La principale innovation du texte est la carte de séjour pluriannuelle. Cette mesure n’est pas anodine puisqu’elle met un terme au principe général, retenu par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, de l’annualité des cartes de séjour. Un grand nombre de ressortissants étrangers sont contraints d’effectuer des visites nombreuses et répétitives en préfecture. Si cette réforme permettra, assurément, d’améliorer l’adéquation entre la durée de validité des titres de séjour et la durée de présence de l’étranger sur le territoire, en revanche nous craignons l’aspect quasi automatique de délivrance que prévoit cet article. Les conditions de délivrance du titre de séjour pluriannuel n’ont pas, à notre sens, été suffisamment encadrées. Au contraire, le dispositif a été assoupli par notre assemblée qui permet notamment la délivrance de plein droit du visa de long séjour au conjoint de Français.

Un autre objectif affiché du texte est de « contribuer à l’attractivité de la France ». Bien évidemment, dans un contexte de mondialisation, nous devons nous attacher à attirer les meilleurs talents, étudiants et autres artistes prometteurs, qui sont de vrais atouts pour un pays. La France est, avec l’Allemagne – là, la comparaison vaut –, le pays non anglophone le plus attractif pour les étudiants internationaux. Nous avons besoin de consolider cette place. Mais, là encore, la navette parlementaire n’a pas permis d’encadrer davantage les dispositions en question. S’agissant, par exemple, du « passeport talents », la rédaction du texte nous semble demeurer assez floue.

En outre, certaines dispositions pourraient même avoir pour effet néfaste de favoriser la fraude. Nous pensons notamment à l’élargissement de l’accès à la procédure de séjour pour les étrangers malades et à l’autorisation de séjour de plein droit pour le parent d’enfant malade. Nous passons ainsi d’une appréciation in abstracto à une appréciation in concreto : la délivrance du titre de séjour étranger malade dépendra de l’accès effectif aux soins dans le pays d’origine et non plus de la seule absence de soins dans celui-ci.

Enfin, vous souhaitez privilégier l’assignation à résidence et faire du placement en rétention une exception. Il ne s’agit en rien d’une mesure permettant d’améliorer la lutte contre l’immigration irrégulière puisqu’elle vous oblige à créer une procédure de suivi par la force publique, dont les moyens et l’efficacité réelle restent à démontrer.

Notre constat est donc le même qu’en première lecture : ambitieux sur le plan de l’intégration – même si la question des moyens demeure –, de la clarification des procédures et de la simplification des parcours, ce projet de loi l’est beaucoup moins sur le plan de la maîtrise des flux et de la lutte contre l’immigration irrégulière. Or la politique migratoire implique aussi une application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine et de maîtrise des flux. Ce projet de loi ne répond pas suffisamment à cette exigence.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI votera, comme en première lecture, contre ce projet de loi.

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