Intervention de Françoise Descamps-Crosnier

Séance en hémicycle du 26 janvier 2016 à 15h00
Droit des étrangers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançoise Descamps-Crosnier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, à l’occasion de cette nouvelle lecture d’un projet de loi d’importance, notre débat doit être un débat de clarté. Il doit permettre de sortir des faux-semblants et des postures partisanes qui n’ont que trop tenté d’instrumentaliser, ces dernières années, un sujet qui doit relever du domaine de la raison, et non de celui de la passion. Pour emprunter les mots de Georg Simmel, que j’avais évoqué en première lecture, « c’est la prestation même de l’esprit, peut-on dire, que d’unifier le multiple dans les éléments du monde extérieur ». Rendons alors hommage à l’esprit en affrontant, au sens intellectuel, la complexité et la diversité du monde.

Je suis élue d’un territoire dont nombre de citoyens sont venus d’horizons lointains. Je sais la richesse – au sens large – que nous en avons retirée et que nous en retirons toujours. Je connais les apports de l’immigration à notre pays. Ces apports positifs ne peuvent se réaliser pleinement que dans un cadre législatif et réglementaire clair. Il faut que la règle soit connue, comprise et acceptée par chacun. Pour cela, il faut aussi qu’elle soit juste et équilibrée, comme l’a précisé encore tout à l’heure M. le ministre – c’est une nécessité –, et que cette règle respecte nos valeurs et s’inscrive dans un mouvement de progrès, tout en tenant compte du principe de réalité.

C’est dans cet esprit que nous avons mené un travail de qualité lors de la première lecture du projet de loi. C’est un texte marchant sur ses deux jambes que nous avons adopté le 23 juillet : d’un côté, sécurisation et meilleur accompagnement de l’immigration légale ; de l’autre, renforcement des outils de lutte contre l’immigration illégale. Il y a un aspect éminemment vertueux à favoriser ceux qui respectent nos règles – donc notre droit – tout en durcissant notre position à l’égard de ceux qui ne s’y plient pas.

Je tiens particulièrement à saluer le travail réalisé en première lecture par le rapporteur, notre collègue Erwann Binet, ainsi que par le groupe socialiste, républicain et citoyen à l’initiative de Marie-Anne Chapdelaine. Ce travail nous avait notamment permis d’intégrer plusieurs recommandations formulées ces dernières années dans le cadre de travaux parlementaires, comme celles de la mission d’information sur les immigrés âgés, dans le cadre de laquelle nous avions travaillé sur plusieurs propositions remises en juillet 2013 avec Alexis Bachelay, rapporteur de cette mission. Plusieurs de ces propositions avaient été reprises, notamment la proposition no 11, tendant à faciliter l’obtention de la carte de résident permanent pour les étrangers présents en France depuis plusieurs décennies. Nous avions été plusieurs à défendre cette avancée. Pour de nombreuses familles dont les enfants sont Français, cette disposition représente en effet une véritable sécurisation du parcours de vie et sera de nature à consolider le lien qu’elles entretiennent avec la République en leur évitant l’angoisse de la démarche administrative qui peut remettre en cause une vie familiale jusqu’alors paisible à cause d’un mauvais tampon ou d’un dossier perdu par l’administration – car nous en sommes parfois encore là !

Je salue à ce propos le travail réalisé la semaine dernière par la commission des lois, qui a permis de réintégrer, à l’initiative du groupe socialiste, que j’en remercie, une version améliorée de l’article 13 quater qui, sans rien chambouler pour nos administrations, change beaucoup de choses pour nombre de nos concitoyens. On pourrait citer de nombreux exemples.

Force est de constater que le Sénat n’a pas inscrit ses travaux dans le même esprit d’équilibre que celui qui avait prévalu dans notre assemblée. Il a rendu un travail beaucoup plus bancal, à tel point qu’à son arrivée pour la nouvelle lecture à l’Assemblé nationale, le texte était devenu porteur d’une position de défiance a priori vis-à-vis de l’étranger, quel qu’il soit et quel que soit son parcours. Les dispositions relatives au séjour et à l’éloignement l’indiquaient déjà suffisamment, mais il a fallu que le Sénat aille jusqu’à supprimer des voies d’accès à la nationalité française, comme celle introduite à l’initiative du Gouvernement pour les étrangers entrés très jeunes en France et dont au moins un frère ou une soeur est devenu Français par la résidence ou la naissance. C’est un exemple parmi d’autres de la marque que la majorité sénatoriale a souhaité imprimer au projet de loi.

L’immigration a moins été traitée comme un sujet de politique publique que comme un punching-ball utile à la propagande électorale, comme en témoignait l’article 1er A, heureusement supprimé en commission, au détriment d’objectifs d’intérêt général tels que l’attractivité, y compris économique, du pays – je pense en particulier à l’article 11, dont plusieurs dispositions ont, là encore, été heureusement rétablies par la commission des lois à l’initiative du rapporteur.

Oui, il importe à l’intérêt national que nous puissions nous réserver la possibilité de faire bénéficier d’une carte de séjour pluriannuelle « passeport talents » l’étranger dont la renommée nationale ou internationale est établie et qui vient exercer ses compétences ou une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, intellectuel, éducatif ou sportif. Cette disposition bienvenue est nécessaire à notre rayonnement international.

Vous l’aurez compris, je joindrai bien évidemment ma voix à celles de la majorité qui votera ce texte, rééquilibré par nos travaux conformément à l’esprit de la première lecture.

Plus largement, je souhaite que les différents acteurs publics ayant, à un moment à un autre, un rôle à jouer dans la politique migratoire française, soient capables de donner la priorité à l’intérêt public, au-delà des intérêts partisans.

L’État a certes un rôle primordial à jouer de ce point de vue, mais les collectivités territoriales aussi participent des moyens et des conditions de la politique migratoire par les dispositifs, généraux ou spécifiques, qu’elles peuvent mettre en oeuvre. Le triste exemple donné en la matière la semaine dernière par le conseil régional d’Île-de-France ne participe pas d’une politique publique plaçant l’intérêt général au-dessus des intérêts partisans et de la communication politique.

Gardant à l’esprit la nécessité qui s’impose à chacun de se montrer responsable dans les propos et dans les mesures adoptées, je vous appelle donc, à l’issue de nos travaux en séance, à voter ce texte relatif aux droits des étrangers en France, et je vous en remercie.

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