Intervention de Jean Leonetti

Séance en hémicycle du 27 janvier 2016 à 15h00
Nouveaux droits des personnes en fin de vie — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Leonetti :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a déjà dix ans, une proposition de loi émanant de l’ensemble des députés était votée à l’unanimité dans cet hémicycle, puis au Sénat.

Dix ans ont passé, mais les trois principes – non-abandon, non-souffrance, non-acharnement thérapeutique – demeurent. Le médecin peut promettre à son patient : « je ne t’abandonnerai pas, je ne te laisserai pas souffrir, je ne prolongerai pas ton existence de manière anormale ».

En dix ans, beaucoup a été fait. Dans la pratique, les ouvertures de lits en soins palliatifs se sont multipliées. Dans les esprits, la culture palliative s’est développée. Elle a envahi progressivement la pensée des médecins, imprégné leurs actes, aussi bien les plus anodins que les plus essentiels.

Suivant l’engagement du candidat Hollande de permettre à toute personne atteinte d’une maladie provoquant une souffrance insupportable et rebelle à tous les traitements de bénéficier d’une aide médicale pour terminer sa vie dans la dignité, deux rapports majeurs ont été publiés : le rapport Sicard et le rapport du Comité consultatif national d’éthique. Deux mesures fondamentales sont alors apparues consensuelles et indispensables.

Le mal-mourir est encore une réalité : 12 % des Français meurent dans nos hôpitaux, en ressentant, dans les dernières heures de leur vie, des douleurs physiques insupportables, et 80 % des sensations d’étouffement ne sont pas calmées ou mal prises en charge dans la dernière période de la vie. Il convenait de répondre à ce sentiment que la parole du malade est insuffisamment entendue en fin de vie et que la souffrance est mal prise en compte par l’ensemble du système de santé.

Le Président de la République a donc choisi de confier à Alain Claeys et à moi-même le soin d’élaborer une proposition de loi. La lettre de mission du Premier ministre évoquait trois objectifs : développer les soins palliatifs ; faire en sorte que la souffrance soit mieux prise en compte sur le plan médical ; faire en sorte que les directives anticipées aient un caractère contraignant plus net qu’aujourd’hui.

C’est dans cet esprit de rassemblement évoqué par le Premier ministre et le Président de la République que nous avons travaillé, non pas, comme l’a répété Alain Claeys, en vue de trouver un compromis, mais avec l’idée de dépasser les divergences. Nous étions convenus ensemble que nous ne tomberions peut-être pas d’accord à l’issue de ces travaux, mais que ce n’était pas notre but et que nous souhaitions plutôt essayer de trouver les mesures les plus concrètes et les plus efficaces possibles pour répondre aux objectifs qui nous étaient fixés.

Dans ce cadre, la proposition de loi a fait la classique navette entre l’Assemblée nationale et le Sénat, pour être finalement examinée par une commission mixte paritaire, composée, chacun le sait, de sept députés et de sept sénateurs. Il y a eu des débats, des interruptions de séance, nous avons pris notre temps et écouté chacun, et la proposition a été votée à l’unanimité, article par article puis dans son ensemble. J’en rappellerai les éléments majeurs.

Le premier est la sédation en phase terminale : dormir pour ne pas souffrir avant de mourir. Et il ne s’agit pas, comme on a pu l’interpréter, d’une sédation à but terminal. Ce texte ne vise pas à ouvrir un droit à la mort, à l’euthanasie ou à un suicide assisté. Certains le regretteront, mais proposer un texte qui autoriserait cette transgression, que certains pays démocratiques ont envisagée et mise en place, ne serait pas aller plus loin, mais aller ailleurs.

Cette sédation est mise en oeuvre à deux conditions : la mort est proche ; la souffrance est insupportable et rebelle à tout traitement. Cela veut bien dire que le dialogue entre le médecin et le malade n’est pas interrompu. Ce n’est pas un droit que les malades peuvent opposer de manière arbitraire à leur médecin. C’est un droit légitime, que le patient peut faire valoir aux deux conditions que je viens de rappeler.

En dehors de cette demande, il y a un autre cas de figure : celui de l’arrêt d’un traitement de survie, situation pour laquelle il est tout aussi légitime de faire en sorte qu’elle n’ait pas pour conséquence de faire souffrir le patient. La sédation est donc là aussi mise à oeuvre aux conditions déjà évoquées : la mort est proche, la souffrance ou l’inconfort sont majeurs. Et nous avons voulu inscrire dans le texte les termes « souffrance insupportable » pour que les choses soient claires.

Je voudrais aussi rappeler que les directives anticipées sont désormais contraignantes et non opposables : celui qui se suicide et qui laisse sur sa table de nuit une lettre dans laquelle il affirme vouloir mourir et ne pas vouloir être réanimé sera réanimé, contre sa volonté. On peut considérer que cela entrave la liberté du patient, mais l’éthique de vulnérabilité et l’éthique d’autonomie doivent s’équilibrer pour que cet homme, cette femme qui a voulu, à un moment donné de sa vie, mettre fin à ses jours, puisse être sauvé et reprendre goût à la vie. Nous savons en effet que, heureusement, quatre fois sur cinq, les gens qui ont attenté à leur vie et qui ont été sauvés ne récidivent jamais.

Ce texte est donc bien un texte d’équilibre, équilibre entre l’autonomie – en termes républicains nous dirions la liberté – et la vulnérabilité – nous dirions la fraternité. Cet équilibre entre la fraternité et la liberté est au coeur du texte : donner une autonomie totale au malade reviendrait en effet à abandonner un peu facilement les plus vulnérables, mais tenir compte de la vulnérabilité sans accorder aucune autonomie serait aussi une atteinte à la dignité de la personne.

C’est dans cet esprit-là que nous avons avancé en commission mixte paritaire, avec l’idée – et je m’adresse ici à mes collègues du groupe Les Républicains – de lever les ambiguïtés, d’apporter les précisions nécessaires, et de faire apparaître clairement que ce texte vise à lutter contre la souffrance, et qu’il n’ouvre pas la voie à autre chose qui ne serait pas la prolongation de la mission qui nous a été confiée.

De nouveaux droits sont reconnus : désormais, le malade est autonome, c’est lui qui formule la demande. Une collégialité médicale vérifie cependant de manière transparente que ces nouveaux droits sont non pas une atteinte à la vulnérabilité des patients mais, au contraire, une considération de leur fragilité.

C’est la raison pour laquelle j’ai la conviction, conviction que je partage avec vous tous ici présents, que ce texte apportera de manière pratique un remède à l’inégalité qui existe sur notre territoire. Je tiens à cet égard à saluer la rigueur juridique d’Alain Claeys, qui a travaillé avec moi sur ce texte, et qui a défendu avec force ses convictions tout en ayant la volonté d’agir dans le sens de la pratique et de l’intérêt général. Nous pourrons en effet désormais assurer à nos concitoyens que s’ils font face à des souffrances insupportables en fin de vie, ils auront le droit de s’endormir, apaisés et sereins, entourés de leur famille, sans que la violence de la douleur ou de la souffrance n’imprime dans la mémoire de leurs aimants et de leurs parents le souvenir altéré d’une fin de vie indigne.

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