Intervention de Jean-François Daguzan

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-François Daguzan, directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique :

Ce qui rend la situation plus compliquée encore au Proche et au Moyen-Orient, c'est l'émergence d'acteurs étatiques qui luttent pour la prééminence régionale. L'Irak de Saddam Hussein, éliminé au plan politique et stratégique par les États-Unis, l'Egypte de Moubarak, défaite par sa propre révolution, ayant perdu leur rôle de leaders, l'Iran et l'Arabie saoudite, même si cette dernière n'en a pas forcément les moyens, ambitionnent de leur succéder. À cela s'ajoute un troisième acteur, la Turquie, mue par une volonté de s'autonomiser par rapport à ses alliés de l'Otan pour exister de manière forte dans un Moyen-Orient dont les anciennes frontières sont remises en question, soit par Daech soit par l'effondrement de la Syrie, de l'Irak ou du Yémen.

En d'autres termes, l'objectif principal de l'Arabie saoudite consiste à empêcher l'Iran d'étendre son influence sur l'Irak devenu, avec le soutien des Américains, un pays pro-chiite, mais également en Syrie, où le Hezbollah soutient le régime alaouite d'Assad considéré comme proto-chiite, ou encore au Yémen en appuyant les Houthis. Elle le fait par des moyens contournés, en finançant notamment l'opposition sunnite à Bachar el-Assad, également concurrencée sur ce terrain par le Qatar, qui entend bien lui disputer le leadership sur le Moyen-Orient sunnite. L'Iran agissant de même, cette lutte d'influence interfère avec le combat mené contre Daech, qui, dans une certaine mesure, s'en trouve neutralisé. J'abonde de surcroît dans le sens de Myriam Benraad en ce qui concerne la Turquie, qui a fait preuve d'une véritable complaisance envers l'État islamique, par intérêt économique d'abord puisque l'essentiel du marché noir quitte la région par la frontière turque.

Madame Fioraso nous a interrogés sur la diffusion de l'information sur le web et dans les médias. Il est très difficile de lutter contre la propagande de Daech sur un web en perpétuelle évolution. On a beau fermer les sites, ils rouvrent sous d'autres formes, quels que soient les efforts entrepris par le Gouvernement. On peut ainsi trouver très aisément sur internet, via Twitter ou Facebook, la dernière livraison de Dar al-Islam, consacrée pour partie aux attentats du 13 novembre.

Quant à l'information diffusée par les médias, il est évident qu'avec la montée en puissance des chaînes d'information en continu, on échappe difficilement à un matraquage d'informations immédiates et factuelles qui saturent rapidement l'espace, et sont commentées par de soi-disant « experts », lesquels en vérité ne proposent aucune analyse mais répètent ad libitum des lieux communs quand il ne s'agit pas d'erreurs. Nous autres, chercheurs, tentons comme nous le pouvons de répondre aux sollicitations, si tant est qu'on nous offre le temps de nous exprimer et de réfléchir en plus de trente secondes. Par ailleurs, nos métiers nous obligent à travailler, ailleurs qu'à la radio ou à la télévision…

Un mot enfin pour confirmer une évidence : la violence dont font montre les Occidentaux nourrit la dialectique de Daech comme elle a pu nourrir celle d'Al-Qaïda. Elle alimente une rhétorique à l'oeuvre depuis les années quatre-vingt, qu'il s'agisse du conflit israélo-palestinien ou de l'invasion soviétique en Afghanistan. Elle a pris en Irak une dimension toute particulière car non seulement les Américains ont envahi l'Irak mais ils l'ont envahi sur des bases internationales illégales et à partir d'un mensonge, ce dont n'a pas manqué évidemment de s'emparer la vulgate islamique. Toute action mal ordonnée de notre part peut conduire à de mauvaises interprétations.

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