Intervention de Christophe Priou

Séance en hémicycle du 2 février 2016 à 15h00
Économie bleue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Priou :

M. le secrétaire d’État a parlé tout à l’heure d’amour et de preuve d’amour, mais nous pourrions aussi citer Georges Clemenceau pour qui « le plus beau moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier »… Nous aurions aimé gravir la passerelle du paquebot France, dans les prochaines semaines, à l’occasion de la discussion de ce texte, avec vous tous et surtout Arnaud Leroy, collègue compétent, courtois, et habité par la chose maritime, mais on ne peut guère changer les choses ni les réformer à un an d’une élection présidentielle…

Le titre de la proposition de loi, l’ « économie bleue », est ambitieux et fait suite au travail qui avait été réalisé sur la « croissance bleue ». Il est plutôt pompeux, au même titre que ceux d’autres textes récemment examinés, qu’il s’agisse du projet de loi « pour une République numérique » ou de la loi « portant nouvelle organisation territoriale de la République . Cette dernière a d’ailleurs suscité beaucoup de critiques, tant à gauche qu’à droite, eu égard, notamment, au refus d’accorder aux régions le droit d’expérimenter la gestion des grands ports maritimes.

Nous étions hier à Saint-Nazaire, aux chantiers navals STX, pour fêter, en compagnie du ministre de l’économie Emmanuel Macron, un bel événement : la confirmation par le croisiériste MSC de sa commande de deux nouveaux paquebots. Autour de la table du déjeuner républicain se trouvaient Johanna Rolland, maire de Nantes, Philippe Grosvalet, président socialiste du conseil départemental de Loire-Atlantique, David Samzun, maire socialiste de Saint-Nazaire, ainsi que de nombreux sénateurs et députés, dont Bruno Retailleau, président de la région Pays de la Loire et président du groupe Les Républicains au Sénat. Or tous ont unanimement dénoncé auprès du ministre le manque de vision stratégique dont l’État fait preuve vis-à-vis des grands ports maritimes.

À l’exception du Havre, me rétorquera-t-on… Pourtant, selon son député-maire, Édouard Philippe, qui figurait également parmi les invités, Le Havre n’est pas mieux traité que les autres ports en termes de stratégie de développement. Il existe certes le projet de canal Seine-Nord mais, outre que celui-ci n’est pas financé, on peut craindre qu’en définitive, les grands ports du Nord n’en profitent plus que Le Havre.

Au sujet de l’hinterland, je vous ai par ailleurs trouvé optimiste, monsieur le secrétaire d’État – mais peut-être est-ce parce que nous n’avons pas, aujourd’hui, posé de question d’actualité sur les grands projets structurants. Savez-vous qu’il est impossible, aujourd’hui, de réaliser un tel projet en France ? Prenons l’exemple de l’aéroport du Grand Ouest, auquel tous les participants au déjeuner d’hier se sont déclarés favorables. La semaine dernière, le Premier ministre a affirmé qu’il verrait le jour. Mais demandez à Jean-Paul Chanteguet, qui se trouvait hier dans l’Ille-et-Vilaine profonde, ce qu’en pensent les élus locaux, agacés par les revirements observés dans ce dossier, et que les derniers Mme Royal semblent confirmer.

Le projet de Sivens a été abandonné, tout comme celui de l’autoroute A 381. De même, la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ne sera certainement pas entamée avant la prochaine élection présidentielle. Je crois que même si nous voulons des infrastructures, et cette volonté existe, nous aurons du mal à les réaliser.

Mon propos se voulant polémique et politique, je voudrais vous citer quelques extraits d’un livre qui vient de paraître. Jean-Marie Biette, journaliste à Ouest-France, a écrit un livre au titre évocateur, « La mer est l’avenir de la France », sujet sur lequel il a interrogé notre rapporteur Arnaud Leroy. En voici quelques extraits.

« Cherchez l’erreur : quel est le pays détenteur du deuxième patrimoine maritime mondial, juste derrière les États-Unis, la seule Nation présente sur tous les océans du globe, à ne pas encore juger utile d’avoir une politique maritime digne de ce nom, sans parler d’un grand ministère dédié qui fut pourtant annoncé par le candidat Hollande ? La France, pardi ! »

« À force de nier sa géographie, à coups de reniement et de Trafalgar politiques, la France semble avoir, pour le moment, partiellement manqué son destin naturel de leader océanique de l’Europe. Gouvernée par des " terriens " qui oublient l’essentiel de leurs promesses maritimes de campagne, la France ne sait pas encore accompagner son secteur privé, pourtant très en pointe dans le domaine. Et ce, alors qu’avec un chiffre d’affaires de 69 milliards d’euros l’économie maritime représente plus de 300 000 emplois directs. Deux fois plus que le secteur aéronautique ! Pis encore, si l’on compare le budget du CNES – Centre national d’études spatiales – à celui de l’IFREMER – Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer –, on constate que la France consacre six fois d’argent à la recherche spatiale qu’à la recherche sur les océans. Et pourtant, le chiffre d’affaires du maritime est dix fois plus important que celui du spatial. »

« Et quand on étudie ce qui a été présenté par le Gouvernement sur les investissements d’avenir à partir du rapport de Louis Gallois, on constate qu’ont été prévus un volet santé, un volet économie numérique, un volet urbanisme… mais nulle trace de volet maritime clairement dédié ! »

« De même pour le rapport de l’économiste Jean Pisani-Ferry commandé par François Hollande, alors fraîchement élu à l’Élysée. Son objectif était pourtant de cerner les priorités pour relancer le pays. Mais, une fois encore, la mer n’en était pas une. »

« Pourtant, la mondialisation est d’évidence une « maritimisation », puisque près de 90 % des échanges de marchandises se font par la mer. Avant d’arriver dans notre pays, 50 % de ces mêmes biens sont débarqués dans un port étranger. »

« De nombreux acteurs économiques, nationaux ou locaux, refusent ce qui n’est pas pour eux une fatalité. Ils attendent désormais des décisions énergiques, un plan volontariste, afin de tirer durablement le meilleur profit, dans le respect de l’environnement, des atouts de la France et des immenses ressources dont regorge notre patrimoine maritime. »

« Manuel Valls n’en a pas soufflé mot durant sa déclaration de politique générale, avant de se rattraper aux Assises de l’économie de la mer, organisées à Nantes, en décembre 2014 en partenariat avec le Cluster maritime français. Pourtant, en dépit de l’absence d’une volonté gouvernementale avérée et durable, la France a des entreprises leaders mondiales dans la détection, la prospection, le sismique ou encore l’extraction d’hydrocarbures, de minerais, de terres rares, nichées au fond des océans, en haute mer, ou bordant ce que l’on appelle improprement – et avec une condescendance toute métropolitaine – les " confettis " de la République. »

« Pour assurer la sécurité de tous ces territoires maritimes français et de leurs richesses convoitées, nous avons besoin d’une marine encore plus puissante et présente. Mais cet arbitrage ne dépend-il pas de cette vision maritime que nos gouvernants ont tant de mal à avoir, même à l’aube de ce XXIème siècle qui sera sans doute le plus maritime de l’histoire de l’humanité ? »

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