Intervention de Stéphane Demilly

Séance en hémicycle du 2 février 2016 à 15h00
Économie bleue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Demilly :

« Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » écrivait Charles Baudelaire au début de son poème L’homme et la mer. Il y décrivait une lutte entre l’homme et la mer, tels deux êtres qui s’affrontent métaphoriquement : « Et cependant voilà des siècles innombrables Que vous vous combattez sans pitié ni remord, Tellement vous aimez le carnage et la mort, Ô lutteurs éternels, ô frères implacables ! »

Permettez-moi, mes chers collègues, d’adapter cette métaphore à la relation que l’humanité a nouée avec les océans. Une relation qui, au fil des siècles, a pris une dimension industrielle pour nourrir la planète et développer nos économies.

Cette dimension a déjà conduit les États à prendre certaines mesures spécifiques. Mais il faudra mettre en oeuvre des dispositions radicales si nous voulons préserver nos richesses naturelles, assurer la survie des espèces et ne pas faire de nos océans de vastes friches industrielles.

Or de telles dispositions, pour avoir du sens et une portée réellement efficace, ne peuvent être adoptées qu’à l’échelle internationale.

La France a, bien entendu, une responsabilité importante à prendre en la matière. C’est notamment dans cet état d’esprit que la question des océans a été ajoutée – tardivement et trop timidement – aux débats de la COP21. Il faudra très vite et très sérieusement réinscrire ce sujet à l’agenda environnemental international.

Les évolutions relatives à la qualité des eaux prévues à l’article 18, bien qu’assez minces, ont le mérite d’aller dans le bon sens, en prenant en compte la protection des ressources conchylicoles dans les programmes d’action pour les zones humides, mais aussi en renforçant les schémas régionaux de développement de l’aquaculture marine et en prévoyant une compatibilité entre les documents de planification, les projets de l’État et ceux des collectivités locales ou de leurs groupements.

Avec près de 11 millions de kilomètres carrés, soit quatre fois la mer Méditerranée, et vingt fois la superficie de notre territoire terrestre, la France est le second pays au monde en termes de surface maritime, ce qui représente une formidable force économique, que nous devons principalement à la diversité géographique de nos territoires d’outre-mer.

Le secteur maritime français représente ainsi près de 310 000 emplois directs, hors tourisme, un million d’emplois indirects, et 65 milliards d’euros de chiffre d’affaires, sans compter les activités littorales. C’est autant que l’automobile et deux fois plus que le secteur aéronautique, auquel je suis attaché. Les enjeux sont donc considérables. La France doit être au rendez-vous.

Malheureusement, depuis le début de la législature, peu de propositions, d’actions ou de décisions ont directement concerné le domaine maritime, alors que le Grenelle de la mer, de 2009 à 2012, avait réussi à dégager de nombreuses propositions, regroupées dans le Livre bleu des engagements du Grenelle de la Mer.

Nous relèverons simplement le Comité interministériel de la mer, qui s’est tenu le 22 octobre à Boulogne-sur-Mer, et qui devait aider à générer une véritable croissance bleue.

Aujourd’hui, la mer constitue certainement l’un des meilleurs potentiels d’activité économique et d’attractivité de notre territoire. L’émergence d’une véritable croissance bleue est donc absolument primordiale pour notre avenir. En effet, loin d’être anodine, cette notion recouvre de nombreux sujets : l’énergie bleue, le tourisme maritime, les ressources minérales marines, les biotechnologies bleues, l’aquaculture, le transport maritime, l’activité portuaire, la pêche ou encore la construction navale. C’est pourquoi le groupe UDI a toujours oeuvré en faveur d’une politique maritime ambitieuse.

En 2014, le port du Havre a obtenu le titre de « meilleur port européen », pour la quatrième année consécutive, devançant ainsi Hambourg, Rotterdam ou Anvers. Nous nous devons de conserver ce savoir-faire essentiel pour l’économie de notre pays.

Alors qu’ils constituent un atout formidable pour la France, nos ports décrochent progressivement au profit de ceux de l’Europe du nord, de Barcelone, de Gênes et d’autres encore, qui pénètrent nos territoires et deviennent les ports de références pour nos entreprises. Le renforcement de la compétitivité de nos grands ports maritimes doit faire l’objet d’une stratégie dont l’investissement est l’un des éléments clés.

Pour relancer la croissance des ports français, confrontés à la concurrence exacerbée des ports européens et étrangers, un travail collectif est à mener avec les nouveaux conseils régionaux, que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République a dotés de compétences renforcées.

Le groupe UDI a toujours rappelé la nécessité de connecter davantage nos territoires à un grand port maritime en assurant de nombreuses dessertes. À l’heure de la globalisation, les ports ont assurément un rôle à jouer dans le désenclavement de nos territoires, qui ont aussi le droit de profiter des transformations mondiales que connaissent les grandes métropoles.

Le très beau projet du canal Seine-Nord Europe, que je soutiens activement avec mon collègue Rémi Pauvros ici présent, s’inscrit dans cette logique et permettra de donner une impulsion majeure au transport fluvial.

La France, avec 73 millions de tonnes transportées en 2009, ne se trouve qu’au quatrième rang des pays européens en termes de trafic fluvial, loin derrière les Pays-Bas, avec 345 millions de tonnes, l’Allemagne, avec 246 millions de tonnes, ou la Belgique, avec 131 millions de tonnes.

Le Conseil d’analyse économique estime par ailleurs que le transport d’une tonne de marchandises sur un kilomètre par voie maritime n’émet que 19 grammes de CO2, soit cinquante fois moins que le transport par voie aérienne et douze fois moins que le transport par la route. Nos ports peuvent ainsi participer efficacement à la lutte contre le changement climatique, à condition de bénéficier de dessertes massifiées.

Les sept grands ports maritimes français définis par la réforme portuaire de 2008 – Marseille, Le Havre, Dunkerque, Nantes-Saint-Nazaire, Bordeaux, La Rochelle et Rouen – méritent la plus grande attention des services de l’État et doivent faire l’objet d’un véritable travail partenarial avec les nouveaux exécutifs régionaux.

La proposition de loi telle qu’amendée en commission du développement durable, apporte en ce sens des avancées intéressantes concernant la gouvernance des ports français.

Il en va ainsi du renforcement de la représentation et du rôle de la région au sein du conseil de surveillance et du conseil de développement des grands ports maritimes, mais aussi de la création d’une commission en charge des investissements au sein du conseil de développement pour chaque grand port maritime.

Nous sommes néanmoins loin du grand texte sur l’économie maritime que nous pouvions attendre. Alors qu’elle devrait réserver une place majeure aux ports, la proposition de loi se cantonne à des ajustements nécessaires, sans avoir l’ambition de faire de la France le premier pays en termes de transport maritime. Malgré cette réserve, d’autres mesures du texte nous paraissent aller dans le bon sens. Nous tenons à les saluer.

La disposition permettant aux navires battant pavillon français d’être affectés à une flotte stratégique en fait partie. La flotte stratégique dont dispose notre pays n’est pas à la hauteur des enjeux actuels. Il est donc primordial de renforcer le soutien à notre marine nationale, lors des opérations extérieures.

Nous nous satisfaisons également de voir qu’il est prévu d’étendre le recours aux sociétés privées de protection des navires, compte tenu de la menace terroriste.

La question de la sécurité maritime revêt plusieurs dimensions. Dans un contexte géopolitique tendu, et compte tenu de la multiplication des actes de piraterie, les armateurs ont besoin de protéger leurs navires, leurs chargements, leurs équipages et leurs passagers.

L’article 19 va également dans le bon sens en encourageant les projets d’énergie marine renouvelable. Alors que nous avons récemment adopté la loi sur la transition énergétique, il est primordial de renforcer ce type d’initiatives, notamment dans les territoires ultramarins.

Lors des débats, notre groupe avait d’ailleurs fait adopter un amendement visant à élaborer une véritable stratégie nationale de développement de la filière énergie thermique des mers en Polynésie française. Nous regrettons que l’outre-mer soit relativement absente de ce texte.

Notre groupe représentant les députés de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie, nous considérons que nos territoires ultramarins auraient mérité un volet plus conséquent sur la protection des eaux, notamment pour éviter le blanchissement des coraux, mais aussi sur le renforcement de l’énergie durable, comme l’énergie thermique des mers.

En janvier 2014, la Commission européenne avait également lancé un plan d’action spécifique au développement des énergies renouvelables marines. D’après plusieurs études, le secteur de l’éolien en mer dégagerait un potentiel d’emplois supplémentaires de 131 000 travailleurs d’ici à 2020.

Le groupe UDI restera néanmoins vigilant sur l’application de ces mesures, l’implantation d’éoliennes offshore devant être correctement encadrée, en concertation avec les populations associées.

Concernant la traçabilité géographique des produits issus de la mer, étendue à la restauration collective, nous ne pouvons que soutenir les dispositions prises à l’article 22. Si les débats sont souvent virulents concernant les produits carnés, il est rare que des dispositions concrètes soient prises pour les produits de la mer. Nous proposerons donc, par voie d’amendement, d’aller plus loin dans ce sens.

Enfin, l’article 23 qui propose la création d’un code de la mer, dans un souci de simplification et de clarification, est une mesure sur laquelle il est essentiel d’avancer, et ce, quel que soit le devenir de la proposition de loi.

Celle-ci a du moins le mérite d’aborder des sujets trop souvent oubliés dans les débats politiques. Aujourd’hui, on l’a dit, 80 % du commerce mondial s’opère par voie maritime. Pourtant, malgré de nombreux atouts, la performance et la productivité de nos ports sont désormais inférieures à celles qu’affichent nos principaux concurrents.

Face à ce constat, nous devons mener une politique maritime d’envergure, à la hauteur du potentiel inestimable dont nous disposons. Notre action doit aussi se construire autour d’une politique européenne plus ambitieuse.

Les secteurs de la pêche, des transports, du tourisme, de la biotechnologie et des énergies renouvelables en mer représentent 5 millions d’emplois dans l’Union européenne. Ils pourraient employer 7 millions de personnes en 2020.

C’est pour cette raison que nous appelons le Gouvernement à jouer un rôle moteur afin de bâtir, au sein de l’Union européenne, avec les autres pays côtiers, une politique maritime commune plus audacieuse, dans le prolongement de la politique maritime intégrée.

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe UDI apportera son soutien à la proposition de loi.

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