Intervention de François-Michel Lambert

Séance en hémicycle du 2 février 2016 à 15h00
Économie bleue — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer cette initiative parlementaire importante et très attendue.

Depuis 2013 et la remise d’un rapport sur la compétitivité de la flotte de commerce et des services maritimes en France, un long travail parlementaire de qualité a été réalisé – on ne l’a pas suffisamment dit, je le fais à présent –, où tous les acteurs du monde maritime, ont été consultés et écoutés. Cet immense travail se concrétise aujourd’hui avec la proposition de loi sur l’économie bleue. Il convient de féliciter Arnaud Leroy pour la réalisation de cette oeuvre de longue haleine.

En premier lieu, je salue la dimension transversale du texte. Il était important de réformer l’activité maritime au sens large, sans se cantonner à une simple réforme du transport maritime. À ce titre, la proposition de loi témoigne de la même audace que la loi Macron, qui s’intéressait aux opportunités économiques de la France de façon horizontale.

Je veux aussi souligner l’effort que représente ce texte en termes de compétitivité économique et d’attractivité pour notre pays. La France possède le deuxième domaine maritime mondial et de formidables opportunités économiques. Elle dispose de filières de formation des marins reconnues dans le monde entier et de puissantes entreprises d’armement. Pourtant, la complexité des textes et des procédures décourage parfois les opérateurs et les investisseurs potentiels. Elle nous laisse en proie à une concurrence fortement mondialisée par la singularité de l’activité maritime.

C’est donc un enjeu majeur que de conjuguer nos avantages naturels et industriels avec une législation adaptée, qui nous permette une exploitation économique optimale. En cas de succès dans cette démarche, nous pourrons raisonnablement espérer que la croissance bleue dynamise la croissance économique tout entière, dans le respect des critères du développement durable.

Le rapport d’Arnaud Leroy a souligné l’effacement maritime français. Des centaines d’emplois sont détruits chaque année, et le nombre de navires de commerce a drastiquement chuté ces dernières années. Comme dans bon nombre de secteurs, il est temps de procéder à un choc de simplification.

À cet égard, le groupe écologiste salue les dispositions du texte qui visent à simplifier le jaugeage et à regrouper sous un document unique l’acte de francisation et d’immatriculation des navires. Ces mesures fortes, significatives, largement défendues par les professionnels concernés, auront très prochainement un impact économique certain.

Dans le même esprit, il semble primordial d’oeuvrer à l’attractivité du pavillon français. La série de mesures proposées, afin de permettre l’ouverture du registre international français à un plus grand nombre d’acteurs, nous paraît aller dans le bon sens.

Je veux également évoquer la gouvernance portuaire. C’est une question épineuse, tant la concurrence des grands ports de la mer du Nord ou de ceux de la Méditerranée est forte. Nos grands ports maritimes éprouvent toutes les difficultés à attirer les entreprises malgré leur position géographique très enviable.

Nous souhaitons que la compétitivité de ces grands ports maritimes fasse l’objet d’avancées législatives et réglementaires structurelles dans les meilleurs délais. Toutefois, les mesures visant à réformer leur gouvernance, notamment en y associant plus étroitement les conseils régionaux comme le prévoit l’article 3 B, vont dans le bon sens et nous semblent nécessaires pour une gestion plus adaptée aux enjeux actuels.

Je salue l’initiative du Gouvernement qui a créé trois missions sur les axes portuaires de Dunkerque, du Havre et de Marseille. Je le remercie de la confiance qu’il m’a témoignée en me proposant d’animer la mission sur l’avenir du port de Marseille, en lien avec l’axe Rhône-Saône.

Néanmoins, il y a des points sur lesquels le groupe écologiste et moi-même appelons chacun d’entre vous à la vigilance.

Le texte ne s’intéresse pas assez à la protection des milieux marins, ce qui appelle certaines critiques. Il est illusoire de vouloir promouvoir l’exploitation des espaces marins sans s’intéresser à la préservation des océans, de la mer et des littoraux. Comme l’a indiqué le Président de la République, notre espace maritime est « une force considérable, si nous savons l’utiliser, si nous savons la mettre au service de l’emploi, de l’activité, du développement durable, du respect de l’environnement, de ces énergies nouvelles que nous pouvons trouver dans la mer, des ressources qui peuvent également y être puisées sans prélèvement excessif. »

Il paraît donc nécessaire de trouver un équilibre entre compétitivité économique et protection de l’environnement, comme l’illustrent la question brûlante des boues rouges de Gardanne et, plus généralement, les problèmes de pollution aux interfaces entre mer et terre.

Par ailleurs, le titre de proposition ne nous semble pas des plus adaptés. Tel qu’il émerge du texte, le concept d’« économie bleue », ne correspond pas exactement à la notion développée par Gunter Pauli, qui s’apparentait plutôt à un modèle économique de régénération. Nous préconiserons de nommer les choses clairement, en parlant de « mer » et d’ « océan ».

Par ailleurs, ce texte aurait pu être l’occasion d’aborder la question des subventions allouées aux pêcheurs. Rappelons que la Cour des comptes évoquait, dans son rapport annuel de 2010, un secteur « sous perfusion financière ». Si personne ne nie la nécessité de soutenir la pêche, une plus grande transparence paraît nécessaire, à plusieurs égards, s’agissant des conditions de versement des subventions. Cela permettrait une rationalisation des dépenses publiques.

Il n’est en effet pas concevable que l’argent public favorise la surpêche et d’autres comportements antienvironnementaux, comme c’est trop souvent le cas actuellement, ni que soit ignorée la préservation des écosystèmes marins. En outre, il est temps de mettre en lumière le fait que les pêcheurs industriels sont beaucoup « mieux aidés » que les artisans pêcheurs, notamment en ce qui concerne l’achat de carburant. Aussi puissant que paraît le milieu marin, il doit être abordé avec retenue. Le groupe écologiste a donc déposé un amendement destiné à remédier à cette opacité des subventions, afin que notre politique d’aide au secteur soit repensée.

Il est également indispensable de s’intéresser aux hydrocarbures car, sur cet enjeu avant tout environnemental, le texte ne prévoit rien. Le groupe écologiste a donc déposé un amendement visant à interdire l’exploration et l’exploitation en mer des mines d’hydrocarbures. Je vous invite à soutenir cette initiative, alors que Mme la ministre de l’écologie a clairement affirmé que nous devions tourner le dos à cette source d’énergie. Il s’agit là de nous protéger d’expériences maladroites, voire dangereuses, dont les nuisances ont été révélées au grand jour, notamment en Guyane.

Dans une logique similaire, le chalutage en eau profonde nous semble un non-sens, et nous déplorons que le texte n’en prévoie pas l’interdiction. Le groupe écologiste a donc déposé un amendement en ce sens.

Malgré les quelques critiques et les pistes d’améliorations que je viens d’évoquer, le groupe écologiste et moi-même saluons l’avancée majeure pour l’efficience que constitue le texte en discussion.

Permettez-moi, en ce jour de visite d’État du Président de la République de Cuba, de nous rappeler à la modestie face à la mer, en citant Ernest Hemingway qui, dans Le vieil homme et la mer – récit mettant en scène un modeste pêcheur cubain – écrivait : « Il embrassa la mer d’un regard et se rendit compte de l’infinie solitude où il se trouvait. »

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