Intervention de Pierre-Jean Luizard

Réunion du 26 janvier 2016 à 16h15
Mission d'information sur les moyens de daech

Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS, responsable du programme « Islam, politiques, sociétés » au sein du groupe « Sociétés, religions et laïcités » :

L'État islamique a remplacé l'État islamique en Irak et au Levant ; il s'agit d'un État doté d'un territoire mais qui ne se fixe pas de frontières. Daech peut reculer à Tikrit et céder Ramadi ou Mossoul, mais il ne sera pas en danger si l'on ne traite pas les facteurs qui ont permis son essor. Les régions où il perd du terrain ne sont pas pacifiées, comme le montre l'exemple de Ramadi ; en effet, on a déclaré cette ville reconquise mais elle se trouve divisée, comme celle de Deir ez-Zor où des quartiers demeurent sous le contrôle de l'EI.

L'EI n'a pas les moyens militaires de conserver ses principaux bastions, mais reculant dans une région, il peut renaître dans une autre ou dans un autre pays. Il s'implante ainsi en Afrique, en Afghanistan, en Malaisie en suivant une stratégie d'internationalisation et de sortie vers le haut. Les dirigeants de l'EI savent qu'ils se trouvent enfermés dans des logiques communautaires étroites au Moyen-Orient et qu'ils doivent attaquer d'autres États pour sortir de cette impasse. Ils s'inscrivent dans une démarche messianique et millénariste, et souhaitent apparaître comme l'ennemi de tous ; l'EI n'hésite pas à attaquer l'Arabie saoudite, pourtant la source de son inspiration idéologique. Dans la mosaïque des mouvements djihadistes et insurgés en Syrie et en Irak, il reste le seul à ne dépendre d'aucun État et à disposer d'une véritable autonomie.

Les campagnes aériennes peuvent amputer une partie des ressources de l'EI, mais les combattants étrangers disposés à sacrifier leur vie pour l'EI ne sont pas mus par un intérêt financier.

À la différence des États en place, l'EI a bien compris que les tribus souhaitaient être maîtresses chez elles, si bien qu'il a délégué le pouvoir à des acteurs locaux. Il n'intervient que pour rétablir la concorde entre différents groupes, rendre raison à une tribu s'opposant à sa domination ou lutter contre la corruption. En effet, l'EI a fait du combat contre la corruption l'un des piliers de sa notoriété dans les sociétés irakienne et syrienne, qui ont été soumises à des États particulièrement corrompus. En Irak, il n'y a même jamais eu d'État de droit depuis 2003, car les communautés, les régions et les hommes politiques ont procédé à des répartitions de pouvoir à leur convenance. Les habitants de Mossoul ont voulu échapper à cette situation ; leur situation s'est améliorée lors de l'arrivée de l'EI dans leur ville, mais ils sont maintenant gagnés par la peur.

Si l'on recherche les acteurs pouvant apporter des solutions, il convient d'éliminer les armées syrienne et irakienne, les peshmergas, les pays voisins impliqués dans le conflit comme la Turquie, l'Iran et les pays arabes ; il ne reste donc plus qu'une coalition internationale, placée sous l'égide de l'Organisation des nations unies (ONU) et composée de soldats éloignés des parties prenantes au conflit.

Des sources fiables m'ont confirmé que la population de Mossoul n'accepterait pas le retour de l'armée irakienne, mais qu'elle ne serait pas hostile au retour d'une armée internationale, même si celle-ci était dominée par les Américains. Lorsque les Américains ont quitté l'Irak, les sunnites leur ont reproché de les laisser seuls face aux chiites. Ce capital de confiance n'est pas utilisé, puisque ni les Américains ni les Européens ne semblent vouloir déployer une telle armée internationale sur le terrain.

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