Intervention de Frédéric Cuvillier

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 15h00
Protection de la nation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Cuvillier :

Monsieur le Premier ministre, vous avez évoqué, devant la commission des lois, le nouveau monde, un monde confronté au terrorisme et à ses actes de guerre et de barbarie.

La France a été, est et sera malheureusement et vraisemblablement encore atteinte pour ce qu’elle représente dans le monde, c’est-à-dire en raison de ses valeurs et de ses principes. Or notre pays sait aussi répondre à ses ennemis d’aujourd’hui par l’admirable force de l’unité de son peuple. Celle-ci s’exprime dans de remarquables mobilisations populaires et nationales : ce fut notamment le cas le 11 janvier 2015.

Cette unité, mes chers collègues, nous oblige, bien sûr dans la façon d’aborder nos débats, mais également dans le nécessaire rassemblement dont la représentation nationale doit faire montre.

Dans la situation à la fois grave et inédite que nous connaissons, aucun de nos compatriotes ne saurait ni comprendre ni accepter, au moment où nous abordons la discussion de l’un des textes qui marqueront notre législature, que nous répondions au défi terroriste qui nous est lancé autrement que par l’unité.

Aujourd’hui, nos compatriotes attendent de nous des actes forts, en réponse à deux questions simples : comment mieux protéger la France du risque terroriste sans mettre en place un état d’exception permanent ? Ceux qui ont abandonné la communauté nationale, prêté allégeance à une idéologie radicale et pris les armes contre leurs compatriotes méritent-ils d’être considérés comme ayant leur place dans la communauté nationale ?

L’une des réponses à ces questions consiste à donner, par le droit, de la force à notre pays contre ceux qui usent de la force contre le droit. La force par le droit, c’est d’adapter nos règles et notre cadre juridique à notre stratégie antiterroriste. Je pense à la loi sur le renseignement validée par le Conseil Constitutionnel – que vous avez, monsieur le Premier ministre, rappelée –, à la modernisation de la loi de 1955 voulue par le Gouvernement, ou encore au projet de réforme pénale présenté lors du dernier Conseil des ministres.

La force du droit, c’est aussi ce que propose ce texte, au travers de l’inscription dans la Constitution du régime civil de crise qu’est l’état d’urgence, afin de lui donner une meilleure garantie d’application au regard du respect des droits fondamentaux. Certains amendements – vous y faisiez référence, monsieur le Premier ministre – viendront les conforter.

La force donnée au droit, c’est aussi de hisser au niveau de notre loi fondamentale, de notre Constitution, la sanction à l’encontre de ceux qui prennent les armes contre la République, terroristes ou auteurs d’actes graves portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. C’est à tort qu’André Chassaigne a qualifié cette inscription de banalisation : non, il n’y a pas de banalisation lorsqu’on inscrit dans la Constitution ce qui permet une meilleure protection de la société de droit.

La constitutionnalisation de cette sanction, la déchéance de nationalité ou de tout ou partie des droits qui lui sont attachés, fut annoncée à la Nation, avec solennité et détermination, par le Président de la République lors du Congrès. Elle gravera dans notre norme supérieure ce que doit être la réponse de la République à ceux qui lui manquent et qui l’agressent : une réponse fidèle à son histoire juridique et politique.

Je suis de ceux, mes chers collègues, qui pensent que cet engagement nous oblige tous et toutes, et que tout renoncement apparaîtrait à nos compatriotes comme un reniement de leur Assemblée nationale, un reniement qui porterait durablement et durement atteinte à la crédibilité du mandat qui nous a été confié.

La force du droit, c’est de donner au principe d’égalité une portée supplémentaire en unifiant les régimes de déchéance applicables aux personnes condamnées, quelles que soient les conditions de leur appartenance à la Nation. Ce n’est pas aujourd’hui le cas dans le droit applicable.

La déchéance de nationalité doit s’appliquer à tous les terroristes. Il ne s’agit ici de viser qu’une seule catégorie de personnes : ceux qui, consciemment et gratuitement, assassinent nos concitoyens.

La force du droit, c’est, enfin, de rendre opposables nos engagements internationaux. C’est la volonté que vous exprimée vous-même, monsieur le Premier ministre, en soumettant à la ratification la convention du 30 août 1961. Celle-ci précise d’ailleurs, en son article 8, que l’interdiction faite aux États parties de créer des apatrides ne s’applique pas aux individus ayant eu un « comportement de nature à porter un préjudice grave aux intérêts essentiels de l’État ».

Mes chers collègues, nous vivons un moment qui nous engage et qui doit nous permettre de démontrer la force du droit. Si nous acceptons que, dans notre pays, ceux qui prennent les armes et risquent leur vie au nom de la France puissent acquérir la nationalité française, alors rien ne s’oppose à ce que ceux qui décident de se battre contre notre pays puissent être déchus de cette même nationalité.

Je conclurai, ironie de l’histoire, en empruntant à Chateaubriand les mots suivants, ramassés en une formule qui doit incarner notre action républicaine et qui prend aujourd’hui tout son relief : « c’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion