Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 11 février 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Monsieur le président, je commence par vous adresser mes plus sincères félicitations pour votre élection à la tête de cette commission.

Depuis le 13 novembre 2015, notre pays est confronté à une menace terroriste d'une gravité sans précédent. Voici maintenant trois mois, 130 victimes innocentes ont en effet perdu la vie en plein coeur de Paris et aux abords du Stade de France, tandis que des centaines d'autres resteront longtemps marquées dans leur chair, parfois pour le restant de leurs jours. Jamais jusqu'alors nous n'avions été confrontés à des attentats d'une telle ampleur sur le sol national.

Comme vous le savez, le Président de la République et le Premier ministre ont pris alors toutes les mesures qui s'imposaient, décrétant notamment l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire national, afin de donner aux autorités de l'État les moyens, dans ces circonstances, de préserver l'ordre public et de prévenir la commission de nouveaux attentats.

Le 20 novembre, le Parlement a adopté à la quasi-unanimité la loi modernisant la loi de 1955 et prorogeant l'état d'urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015.

Aujourd'hui, la persistance de menaces susceptibles de nous frapper à tout moment conduit le Gouvernement à vous soumettre une nouvelle loi de prorogation de l'état d'urgence pour une durée supplémentaire de trois mois.

Durant trois mois, votre Commission a contrôlé de façon extrêmement méticuleuse la mise en oeuvre de l'état d'urgence. Aucun courrier n'est resté sans réponse ; Jean-Jacques Urvoas, Jean-Frédéric Poisson et depuis quelques jours Dominique Raimbourg ont reçu quotidiennement du ministère de l'Intérieur — une équipe spéciale ayant été mise en place — des éléments statistiques sur l'état d'urgence. Je souhaitais que le Parlement puisse, en temps réel, contrôler les actions de l'exécutif. Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à leur travail. Il vous appartiendra de juger de la qualité de ce contrôle, mais je considère que le vote d'un amendement dans la réforme constitutionnelle le consacrant est une démonstration nette de la reconnaissance faite par le pouvoir constituant des dispositifs inédits que nous avons mis en place.

Je crois utile de commencer par rappeler l'état d'esprit dans lequel nous proposons au Parlement d'adopter cette nouvelle loi de prorogation.

L'exception au droit commun fait, contrairement à ce que j'ai pu parfois entendre, partie intégrante de l'histoire républicaine française. Tout État démocratique a en effet le devoir de prévoir un dispositif d'exception susceptible de lui donner les moyens de faire face à une situation d'une extrême gravité. Mais il doit bien évidemment le faire dans le respect scrupuleux des principes démocratiques et en prévoyant toutes les garanties permettant de s'assurer qu'il n'en sera fait usage qu'en cas de stricte nécessité.

La loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence vise ainsi à nous permettre de lutter contre tout « péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre public » ou contre des « événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Nul ne conteste que les attentats du 13 novembre répondaient à cette définition.

Mais, si nous devons faire preuve de fermeté et de détermination, nous devons également agir dans la pleine conscience de notre responsabilité. L'état d'urgence n'est pas, je le redis très solennellement devant vous, le contraire de l'État de droit : il en est au contraire, dès lors que la situation l'exige, le bouclier.

Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là de façon très approximative, l'état d'urgence n'est pas non plus synonyme d'arbitraire. Les raisons justifiant d'y avoir recours, sa déclaration comme sa prorogation, ainsi que les actes et les décisions pris sur son fondement, sont tous prévus et strictement encadrés par la loi.

Par principe, l'état d'urgence n'a pas vocation à durer plus longtemps qu'il n'est nécessaire. Sa légitimité réside précisément dans ce caractère provisoire, déterminé par la persistance du péril imminent qui a justifié sa déclaration. Je vous présenterai dans quelques instants les données factuelles qui amènent le Gouvernement à juger que ce péril demeure bien réel.

J'ajoute enfin que, avec la loi du 20 novembre 2015 et cette nouvelle loi de prorogation, nous demeurons fidèles à l'ambition républicaine et progressiste qui animait les rédacteurs de la loi de 1955, Pierre Mendès France et Edgar Faure : ils considéraient en effet que l'état d'urgence constituait une alternative « libérale » à l'état de siège.

C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité prévoir des garanties supplémentaires, telles que l'interdiction de procéder à des perquisitions administratives « dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes », la nécessité d'informer le procureur de la République avant et après la perquisition, ou le contrôle du juge administratif, y compris dans l'urgence. J'ajoute que le contrôle parlementaire a permis de démontrer que l'ensemble de ces dispositions ont été très scrupuleusement mises en oeuvre par mes services.

Je veux maintenant vous présenter un bilan précis des mesures que nous avons mises en oeuvre dans le cadre de l'état d'urgence et des résultats qu'elles ont d'ores et déjà permis d'obtenir.

Depuis le 13 novembre dernier, 3 340 perquisitions administratives ont été réalisées. Elles ont notamment permis la saisie de 578 armes, qui se répartissent de la manière suivante : 220 armes longues ; 169 armes de poing ; 42 armes de guerre ; 147 autres armes, qui pour la plupart présentent un caractère de dangerosité élevé. De plus, 395 interpellations ont eu lieu, entraînant 344 gardes à vue.

Au lendemain des attentats du 13 novembre, l'État a fait le choix de créer un effet de surprise pour éviter toute réplique éventuelle et déstabiliser les filières liées à des activités terroristes. Nous y sommes d'ores et déjà parvenus.

J'entends ici et là des raccourcis, dont je vois bien le but qu'ils servent, mais qui ne correspondent pas à la réalité. J'ai ainsi lu que toutes nos actions depuis la mise en place de l'état d'urgence n'avaient conduit qu'à cinq mises en cause pour terrorisme. Certains souhaitent, en relayant ce chiffre, apporter la démonstration que le risque, ce n'est pas le terrorisme, mais l'état d'urgence. Je veux être très clair. On ne peut pas savoir aujourd'hui combien de personnes seront, in fine, mises en cause pour des infractions terroristes : une grande partie des éléments récupérés lors des perquisitions n'ont pas encore été exploités, notamment les données informatiques. C'est au terme des investigations que nous pourrons connaître le nombre de réseaux démantelés, le nombre de personnes concernées, et les résultats pour la lutte antiterroriste des perquisitions menées.

Les enquêtes récentes devraient également montrer à tous qu'il existe une grande porosité entre la petite délinquance, la grande délinquance et le terrorisme. Souvent, nous avons procédé à des perquisitions chez des personnes qui appartiennent à des réseaux de trafiquants dont nous pensons qu'ils contribuent aussi à financer des activités à caractère terroriste : les investigations en cours établiront la nature précise de ces connexions.

Enfin, considérer qu'une mesure de police administrative, ou une perquisition administrative, n'est pas pertinente, sous prétexte qu'elle n'a pas permis de trouver ce que nous attendions, c'est un raisonnement absurde : si nous étions sûrs de ce que nous allons trouver, s'il était établi que des infractions ont été commises, alors nous procéderions à des perquisitions judiciaires. La perquisition administrative a, je le rappelle, vocation à prévenir des troubles à l'ordre public. Mesurer son efficacité à l'aune de celle d'une perquisition judiciaire, c'est manquer de rigueur intellectuelle.

Le débat public sur ces sujets est pollué par de nombreuses considérations dont je comprends la logique politique, mais dont je conteste absolument la rigueur intellectuelle. Pour ma part, je considère que politique et rigueur intellectuelle doivent aller de pair, et je profite de ce moment devant vous pour apporter ces précisions — dont je sais bien qu'elles ne convaincront pas ceux qui raisonnent de cette façon, mais il est bon parfois d'expliquer quels sont les considérants qui guident notre action. Ces considérants sont républicains. Il peut y avoir eu des manquements. Cela ne doit appeler qu'un surcroît de rigueur, et je dois vous dire ma tristesse de la voir si peu présente ces jours-ci.

J'ai pour ma part identifié certains de ces manquements. Je pense notamment à une perquisition dans une ferme biologique du Périgord — on a alors dit que je faisais un mea culpa... Je pense également aux conditions d'une autre perquisition, le 17 novembre, cette fois dans une mosquée à Aubervilliers, où les choses ne se sont pas passées comme je l'aurais souhaité. Le contrôle, cela commence par le contrôle du ministre sur ses services. En la matière, j'ai une grande exigence et une ferme détermination. J'ai donc adressé à l'ensemble de mes services, le 25 novembre dernier, une circulaire reprenant mes instructions précises : tous doivent agir de façon irréprochable. J'ai transmis l'ensemble de ces documents aux rapporteurs de votre commission, qui ont pu ainsi mesurer le décalage qui peut exister entre cette circulaire et le déroulement concret de nos actions. Vous conduisez votre contrôle parfois sur pièces et sur place, et je ne peux que m'en réjouir : non seulement ce n'est pas un problème pour mon administration, mais c'est un aiguillon, une sécurité, à laquelle nous tenons beaucoup. Nous sommes heureux de travailler en étroite liaison avec le Parlement.

Je souhaite également informer la Commission des suites judiciaires qui ont été pour l'heure réservées à ces mesures, et tout particulièrement aux perquisitions.

Au total, 576 procédures judiciaires ont été ouvertes. Sur les 344 gardes à vue, 67 condamnations ont d'ores et déjà été prononcées et 54 décisions d'écrou ont été prises, soit respectivement 19,5 % et 16 % des gardes à vue. Ce sont là, comme on le sait dans cette commission, des chiffres très élevés.

Si l'on s'en tenait au seul chiffre des procédures ouvertes sous la qualification terroriste — 29 procédures, dont 23 pour apologie du terrorisme —, le bilan pourrait sembler modeste. Mais ce serait, je l'ai souligné tout à l'heure, une erreur de méthode. Les perquisitions ont pour effet, je l'ai déjà souligné, de désorganiser les réseaux qui arment et financent le terrorisme, en particulier à travers les trafics d'armes et de stupéfiants. C'est donc tout un environnement logistique que nous avons frappé.

Les saisies d'espèces, qui s'élèvent à plus de 1 million d'euros, permettent également aux services du ministère de l'économie et des finances d'ouvrir des enquêtes particulièrement utiles. Les données numériques qui ont été saisies et qui sont, je le redis, en cours d'exploitation, déboucheront certainement aussi, j'en suis convaincu, sur de nouvelles mises en cause.

La mise en oeuvre de l'état d'urgence a d'ores et déjà permis aux forces de sécurité d'accomplir un travail considérable. La lutte contre le terrorisme se poursuit avec une absolue détermination. À ce jour et depuis 2013, le travail minutieux de nos services de renseignement a ainsi permis de déjouer onze attentats, outre les deux tentatives qui ont échoué à Villejuif et à bord du Thalys reliant Amsterdam à Paris. Je veux, par conséquent, saluer le travail réalisé par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dont je veux rappeler qu'elle est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 216 dossiers judiciaires concernant 1 038 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste. Parmi eux, 320 ont d'ores et déjà été interpellés et 13 font l'objet d'un mandat d'arrêt international ; 199 ont été mis en examen, 153 ont été écroués et 46 font l'objet d'un contrôle judiciaire. Ces chiffres montrent bien à quel point l'action quotidienne des services, sous l'autorité de la justice, porte ses fruits, permettant d'empêcher que des actions violentes, voire des attentats, ne soient commis sur notre sol.

Je voudrais également indiquer — comme je l'ai fait au Sénat — que, depuis le début de l'année 2016, ce sont 40 individus qui ont été interpellés, soit parce qu'ils s'apprêtaient à commettre des actes violents sur le territoire national, soit parce qu'ils alimentaient des filières terroristes conduisant des ressortissants de notre pays à s'engager sur le théâtre des opérations en Irak et en Syrie, soit parce qu'ils faisaient l'apologie du terrorisme et diffusaient une propagande destinée à favoriser le départ de nos concitoyens vers l'Irak et la Syrie. La moitié de ces individus ont été placés sous contrôle judiciaire ou sous écrou. C'est un chiffre considérable, qui montre l'importance de la menace à laquelle nous sommes confrontés.

Je voudrais à présent vous rappeler les garanties qui ont été prises afin de nous assurer que les mesures mises en oeuvre au titre de l'état d'urgence respectent scrupuleusement, comme je le disais en introduction, les exigences de l'État de droit.

En premier lieu, afin de préserver les garanties dont doivent bénéficier les personnes mises en cause et la sécurité juridique des procédures, des directives extrêmement précises ont été données, dès le lendemain des attentats, en vue d'associer pleinement l'autorité judiciaire, en l'occurrence les procureurs de la République, aux opérations de perquisition administrative, et ce en parfait accord avec la Chancellerie. Lors de contrôles sur pièces et sur place, dans les préfectures, vous avez certainement pu vous rendre compte de cette coopération.

En deuxième lieu, le législateur a veillé à ce que les mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence fassent l'objet d'un contrôle juridictionnel, qui n'était pourtant pas systématiquement prévu par la loi de 1955.

Ce contrôle est exercé à titre principal par le juge administratif. Certains ont pu déplorer l'absence, dans ce dispositif, du juge judiciaire, y voyant une mise à l'écart plus ou moins délibérée. Pourtant, il ne s'agit là que de l'application de principes de droit extrêmement anciens, et en aucun cas attentatoires aux principes généraux du droit français et de la démocratie. Depuis 1790, c'est-à-dire un an après la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le législateur a prévu que le juge judiciaire n'a pas à connaître des actes du pouvoir exécutif. L'arrêt Blanco de 1873 a confirmé cette séparation, et le Conseil constitutionnel a encore, en 1987, confirmé que le juge administratif avait toute légitimité pour contrôler les actes pris par le Gouvernement dans le cadre des mesures de police administrative, dès lors qu'ils n'entraient pas dans le champ de l'article 66 de la Constitution.

Il est donc faux de dire qu'il n'y a pas de juge, puisqu'il y a un juge administratif ; que le contrôle du juge administratif est une incongruité juridique, puisque c'est au contraire un principe du droit français depuis la Révolution ; que l'ensemble de cette architecture est juridiquement incongru et ne résulte que de l'état d'urgence. Il est encore faux de prétendre que ce dispositif n'est pas efficace : le juge administratif a remis en cause certaines décisions du Gouvernement, ce qui est le signe qu'un contrôle rigoureux existe, que le juge est bien présent, et qu'il n'est en rien complaisant.

Ce sont là des faits qui ne sont pas contestables, et qui témoignent de la bonne foi de ceux qui souhaitent renforcer la sécurité des Français dans un contexte de menace plus élevée que jamais, sans remettre en cause ni les principes du droit ni les libertés.

S'agissant des assignations à résidence, 400 ont été prononcées depuis le début de l'état d'urgence. Parmi elles, 27 concernaient des personnes susceptibles de constituer une menace pour l'ordre et la sécurité publics dans le contexte de la conférence internationale sur le climat ; elles se sont tout naturellement éteintes à l'issue de la COP21, c'est-à-dire dès le 12 décembre. Par ailleurs, 46 autres assignations ont été spontanément abrogées lorsque des éléments nous ont permis de lever les doutes sur la dangerosité des personnes concernées.

Enfin, s'agissant des contentieux administratifs, 160 référés — dont 125 référés-liberté et 35 référés-suspension — ont été soumis à la juridiction administrative ; 12 suspensions seulement ont été prononcées, ce qui traduit tout à la fois le sérieux des procédures engagées par le ministère de l'Intérieur et la parfaite indépendance de la juridiction administrative qui n'hésite pas à prononcer des annulations quand la situation l'exige.

Par ailleurs, si 110 recours au fond ont été introduits, une seule annulation a été prononcée jusqu'à présent. Je précise qu'aucune de ces annulations n'a concerné des personnes assignées à l'occasion de la COP21 alors que 90 % des personnes assignées à ce titre ont déposé un recours — 9 référés sur 10 assignations notifiées. Il a en effet été jugé que ces assignations ne méconnaissaient pas le principe de proportionnalité, s'agissant d'individus présentant un risque pour l'ordre public dans le contexte que vous connaissez.

Aujourd'hui, 285 assignations à résidence sont toujours en vigueur, dont 83 % concernent des individus surveillés par nos services de renseignement — contrairement à ce que j'ai pu lire, ce sont bien ceux qui sont suivis parce qu'ils sont des islamistes radicaux qui sont notre cible. À la fin de l'état d'urgence, leur assignation à résidence cessera de plein droit, même si, bien sûr, il y aura des suites judiciaires et administratives de droit commun lorsque les conditions seront réunies.

De même, je tiens à souligner que les interdictions de manifester qui ont été décidées par les préfets jusqu'au 12 décembre 2015 étaient pleinement justifiées par l'impossibilité dans laquelle se trouvait alors le Gouvernement de garantir le maintien de l'ordre public dans ces circonstances particulières, alors que nos forces étaient déjà mobilisées pour protéger les Français et assurer le bon déroulement de la COP21. Ces interdictions ont par ailleurs été circonscrites dans le temps et dans l'espace : elles n'ont été effectives que pendant la durée de la COP21 à Paris et en banlieue, sur des aires territoriales bien définies, et pendant trois jours seulement, du 28 au 30 novembre, en province. Voilà ce que l'on a appelé « la remise en cause des libertés publiques » !

La liberté de manifester, à laquelle je suis comme vous particulièrement attaché, demeure bien évidemment la règle dans notre pays, comme chacun a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines à l'occasion de plusieurs mouvements sociaux. Le 30 janvier, on a même vu défiler, sous la protection des forces de l'ordre — j'avais donné toutes les instructions nécessaires —, des manifestants qui dénonçaient l'état d'urgence.

Concernant les mosquées et salles de prière, 45 d'entre elles ont fait l'objet d'une perquisition administrative, et 10 ont été fermées. Ces lieux, dont certains étaient des établissements recevant du public totalement clandestins, constituaient en effet autant de bases arrière pour la propagande d'un islam incompatible avec les valeurs de la République, encourageant ou légitimant la commission d'actes mettant en péril l'ordre et la sécurité publics.

Ainsi, la mosquée de Lagny, en Seine-et-Marne, abritait une école coranique totalement dissimulée et parfaitement illégale et nous étions donc absolument fondés à invoquer cette disposition de la loi sur l'état d'urgence. Mais au-delà de ce motif, nous avons recueilli des éléments, au cours de perquisitions administratives, qui nous permettent clairement d'indiquer que cette mosquée était un élément structurant d'une filière de recrutement de djihadistes, parmi lesquels Hayat Boumeddiene, compagne d'Amedy Coulibaly, qui a rejoint la Syrie en décembre 2014, quelques jours avant l'attentat de l'Hyper Casher.

Enfin, je n'ai pas besoin de rappeler à nouveau que l'état d'urgence est soumis à un contrôle parlementaire d'une portée inédite.

J'en viens à la prorogation de l'état d'urgence et aux raisons pour lesquelles nous la croyons absolument nécessaire. Votre rapporteur Pascal Popelin, qui a été présent à toutes les réunions que j'ai programmées place Beauvau avec les représentants des autres groupes parlementaires pour traiter de ce sujet, vous le confirmera : force est de constater que, plusieurs mois après les actes terroristes du 13 novembre, ce péril qui menace la France n'a pas disparu.

Je pourrais ici dresser une liste de tous les attentats perpétrés récemment, en France, ou contre nos ressortissants à l'étranger. Ainsi, une personne a été interpellée à Tours, et d'autres à Orléans ; toutes s'apprêtaient à commettre des attentats. Un couple demeurant à Montpellier a été mis en examen et écroué pour avoir préparé tout un arsenal destiné là encore à commettre un attentat. J'ai fait état des quarante personnes interpellées depuis le début de l'année 2016, ce qui montre l'intensité du travail des services, mais surtout du haut niveau de risque. Je pourrais encore rappeler l'agression qui a eu lieu devant le commissariat du 18e arrondissement de Paris, ainsi que l'agression à l'arme blanche, par un jeune lycéen qui s'était radicalisé sur internet, d'un professeur d'une école juive de Marseille.

Mon devoir est de dire à la représentation nationale la vérité sur le risque terroriste : il est plus important que jamais. Les chiffres précis que je viens de vous donner en témoignent. Dès lors, il faut maintenir un dispositif qui nous permette de continuer à agir — nous agirons toujours, quoi qu'il en soit, en respectant les mêmes principes : un principe de très stricte nécessité, un principe d'absolue proportionnalité.

Nous avons aussi la volonté de préparer les mesures de sortie de l'état d'urgence, qui n'a pas vocation à durer indéfiniment. Grâce à un ensemble d'outils et de mesures de police administrative de droit commun et à des dispositions législatives en cours de discussion au Parlement, notre pays pourra, hors le cadre de l'état d'urgence, continuer à agir, y compris dans le suivi de ceux qui ont fait l'objet de mesures de police administrative prises sur le fondement de l'état d'urgence.

Ainsi, lorsqu'une assignation à résidence, parfois doublée d'une perquisition, a permis d'aboutir à des éléments suffisamment probants, les magistrats auront la possibilité de procéder à sa judiciarisation, qui contribuera à la protection de la société face à ceux qui peuvent commettre un acte illicite de nature à troubler l'ordre public. Au moment où nous entrerons dans cette phase, nous aurons apporté la démonstration que ce que nous avons fait en matière de police administrative a été efficacement relayé par l'autorité judiciaire. Il est donc absurde d'opposer prévention et judiciarisation, alors que la première étape justifie parfois la seconde, et que notre seul souci est de protéger les Français dans le respect rigoureux des libertés publiques.

D'autre part, par-delà la judiciarisation, nous serons en situation de mobiliser diverses mesures de police administrative destinées à éviter que ceux qui ont été assignés à résidence ne puissent commettre des actes. Lorsque les personnes assignées à résidence sont des étrangers se livrant à des actes à caractère terroriste ou diffusant une propagande, leur expulsion est tout à fait possible. J'ai d'ailleurs, depuis le début de l'année 2016, proposé cinquante expulsions pour ces raisons. C'est très significatif par rapport à ce qui a pu être fait auparavant.

De la même manière, l'interdiction de sortie du territoire votée dans le cadre de la loi du 13 novembre 2014 peut être mobilisée, comme l'interdiction du territoire pour ceux dont il aura été révélé qu'ils sont en dehors du territoire national en lien avec les réseaux que nous aurons contribué à neutraliser. La loi pénale défendue par le garde des sceaux prévoit également le renforcement de diverses mesures de police administrative. Elles seront exercées sous la vigilance du juge, puisque le procureur de la République en sera informé et qu'il pourra y mettre fin s'il estime qu'elles ne sont pas proportionnées. Ces mesures pourront prendre le relais de l'état d'urgence.

Pour conclure, je voudrais rappeler que le niveau de menace reste extrêmement élevé et que l'état d'urgence nous a permis de traiter de nombreuses questions avec efficacité, mais que nous n'avons pas l'intention d'y rester toujours. Le maintenir pendant trois mois, alors même que nous sommes en train d'engager des dispositions législatives nouvelles et que les éléments récupérés permettent de mobiliser, dans le cadre du droit commun, des mesures de police administrative efficaces, nous garantit la sécurité, la sortie à terme de l'état d'urgence, la prise de relais par des mesures de droit commun, d'ores et déjà prévues par notre législation ou susceptibles de l'être dans le cadre des discussions à venir.

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