Intervention de Pascal Popelin

Réunion du 11 février 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Popelin, rapporteur :

Nous voici saisis, pour la deuxième fois, d'une demande de prorogation de l'état d'urgence, décrété par le Président de la République à la suite des attentats meurtriers qui ont frappé Saint-Denis et Paris le 13 novembre dernier.

Je mesure pleinement la responsabilité de rapporter ce projet de loi. C'est en effet au Parlement, et à lui seul, qu'il appartient de décider de prolonger, ou non, cette légalité d'exception. Nous avons donc pour rôle de vérifier que les conditions de l'état d'urgence sont toujours réunies, de calibrer la durée de la prorogation et de fixer l'étendue des mesures dérogatoires. Mais nous devons aussi demeurer vigilants sur les conséquences de ces décisions pour les libertés publiques.

La première question qu'il nous faut trancher est celle de la permanence de la menace. Notre pays demeure l'une des cibles privilégiées de la nébuleuse terroriste. Dar al-Islam, le journal francophone de propagande de Daech, s'en prend, numéro après numéro, à nos institutions, à notre modèle de société et à notre manière de vivre. L'engagement de nos armées sur le théâtre syro-irakien et au Sahel frappe durement les groupes islamistes. La présence de plus de 600 de nos ressortissants dans les rangs de Daech et d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) fait aussi de la France le pays d'Europe le plus directement concerné par ces phénomènes.

Ces groupes terroristes n'ont d'ailleurs pas désarmé dans le monde depuis les attentats qui ont frappé notre pays en janvier et en novembre 2015. Le 20 novembre, deux terroristes ont attaqué l'hôtel Radisson Blu de Bamako, au Mali, essentiellement fréquenté par des Occidentaux. Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul a causé la mort de dix touristes allemands. Plusieurs attentats ont été déjoués en Belgique et en Allemagne, à la fin de l'année dernière.

Au regard du risque de récidive sur le sol national, tel que vous venez de la détailler, monsieur le ministre, la condition de « péril imminent » posée par la loi du 3 avril 1955 pour la mise en oeuvre de l'état d'urgence me paraît, malheureusement, satisfaite. C'est aussi l'avis que le Conseil d'État a exprimé, lorsqu'il a statué en référé, le 27 janvier 2016, sur la décision implicite de ne pas mettre fin à l'état d'urgence de manière anticipée, ou lorsqu'il a été consulté, le 2 février, sur ce projet de loi de prorogation.

La nécessité de la prorogation étant à mes yeux établie, j'en viens à la question de sa durée. Il nous est proposé de prolonger cette légalité d'exception jusqu'au 26 mai 2016. Comme toute législation de salut public, l'état d'urgence doit être limité dans le temps et strictement interprété. Il « ne peut être que temporaire », comme l'a rappelé le Conseil d'État.

Cette prorogation permettra à l'autorité administrative de continuer à recourir aux mesures de la loi du 3 avril 1955, telle que nous l'avons fait évoluer par la loi du 20 novembre 2015 : perquisitions administratives, assignations à résidence, mais aussi possibilité de fermetures administratives ou d'interdictions de manifester.

Vous venez de détailler, monsieur le ministre, l'efficacité de ces perquisitions pour saisir des armes et — c'est à mon avis capital — pour collecter du renseignement. Les assignations à résidence ont également contribué à déstabiliser des réseaux terroristes. Le contrôle parlementaire a toutefois montré que les perquisitions ou assignations nouvelles ont été de moins en moins nombreuses à compter du mois de décembre.

Nous serons donc attentifs, comme le président de la Commission l'a rappelé, à l'usage des prérogatives prévues par la loi de 1955, telle que modifiée en novembre dernier. La contrepartie à ces mesures dérogatoires, qui limitent par nature des libertés publiques, est en effet l'existence de garanties solides.

Le contrôle parlementaire, introduit dans la loi et qu'il est proposé d'introduire sur ce point dans la Constitution, fut mis en place de manière dynamique à l'initiative de Jean-Jacques Urvoas lorsqu'il présidait notre commission. Il joue un rôle de garde-fou. Je salue, à cet égard, le souhait de notre nouveau président Dominique Raimbourg de poursuivre personnellement ce travail dans le même esprit, avec notre collègue Jean-Frédéric Poisson et l'ensemble des membres de la commission des Lois.

Grâce aux déplacements ou aux auditions qui sont conduites, notre contrôle a permis de mieux comprendre l'usage concret qui a été fait de l'état d'urgence. Les investigations ont dissipé certaines accusations proférées à l'encontre des forces de l'ordre et parfois reprises trop hâtivement par la presse. Elles ont aussi mis en lumière quelques décisions inappropriées — vous en avez cité quelques-unes — qui ont conduit le Gouvernement et les services du ministère de l'Intérieur à un pilotage rigoureux des mesures mises en oeuvre dans les départements.

Le Défenseur des droits et ses correspondants locaux jouent également un rôle important pour identifier d'éventuelles erreurs. Sur les 3 720 perquisitions et assignations ordonnées, 42 avaient été signalées au début de ce mois. C'est peu, même si c'est toujours trop.

Au-delà de ce nécessaire travail qui entre pleinement dans le champ des prérogatives du Parlement, c'est le contrôle juridictionnel qui constitue la principale garantie de chaque citoyen ou de chaque habitant de notre pays. En choisissant, au mois de novembre, de remplacer les commissions départementales ad hoc, qui avaient été prévues en 1955, par des voies de recours de droit commun, nous avons témoigné de notre confiance aux juridictions administratives, et singulièrement à l'office du juge des référés.

Les mesures prises au titre de l'état d'urgence ont suscité un contentieux limité en nombre, mais significatif. Pour 87 référés-liberté devant les tribunaux administratifs et 33 procédures devant le juge des référés du Conseil d'État, ce sont 6 injonctions et 12 suspensions, dont l'une avant-hier encore, qui ont été prononcées. Pour 17 référés-suspension en première instance et un en appel, 3 suspensions totales ou partielles ont été prononcées. Enfin, 7 recours au fond ont conduit à une seule annulation.

Ces décisions — en particulier celles du 11 décembre et du 6 janvier —, ont permis au Conseil d'État de faire évoluer sa jurisprudence et de l'adapter aux enjeux du contrôle pendant l'état d'urgence. Elles ont encouragé les tribunaux administratifs à mettre en oeuvre un « entier contrôle », encore renforcé par la convocation systématique d'audiences et l'utilisation inédite de mesures d'instruction pour compléter l'information des magistrats.

Dans ce contexte, la commission des Lois du Sénat, saisie en premier, a accepté la prorogation pour trois mois de l'état d'urgence, en n'opérant qu'une modification purement rédactionnelle du texte proposé par le Gouvernement. Avant-hier soir, le Sénat a confirmé cette autorisation à une très large majorité.

Afin de permettre l'entrée en vigueur, sans rupture, de cette nouvelle loi de prorogation, et compte tenu de tout ce qui précède, je vous propose de voter conforme le texte, tel qu'il vient de nous être transmis par nos collègues sénateurs.

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