Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 11 février 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Vous évoquez des questions de nature diverse, qui renvoient, pour certaines d'entre elles, à des problèmes assez complexes.

Qu'advient-il des assignations à résidence au terme de la première période de l'état d'urgence ? Elles seront caduques le 26 février et il faudra renouveler et motiver celles dont nous souhaiterons qu'elles continuent à produire leurs effets.

En raison des éléments qu'auront pu recueillir les forces de sécurité intérieure sous l'autorité des juges, certaines de ces assignations conduiront à une judiciarisation. Rappelons que le taux de judiciarisation des assignations et des procédures ouvertes s'établit à 17,3 %, ce qui, au regard des perquisitions et mesures de même nature prises dans le cadre judiciaire, est très élevé : il témoigne de l'efficacité des mesures prises. Nous aurons donc la possibilité de donner des suites judiciaires à ce qui relevait des mesures de police administrative.

D'autre part, à travers la loi du 13 novembre 2014, comme à travers celle sur le renseignement – dont les décrets d'application ont quasiment tous été adoptés, à l'exception de ceux qui devaient faire l'objet d'un avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), récemment constituée –, nous avons la possibilité de mobiliser les moyens qui prendront le relais de ce que nous avons fait en régime d'état d'urgence. Il sera par exemple possible d'interdire la sortie du territoire à des individus précédemment assignés à résidence, si nous estimons que le risque existe qu'ils se rendent sur des théâtres d'opérations terroristes. Si leurs agissements ne peuvent faire l'objet d'une judiciarisation, une mesure d'interdiction de sortie du territoire restera possible pour eux.

S'il apparaît, au terme des procédures en cours, que des individus assignés à résidence sont en contact avec des personnes résidant sur le théâtre des opérations terroristes après avoir résidé dans notre pays, elles pourront faire l'objet soit de mesures d'expulsion, soit de mesures d'interdiction du territoire. Nous aurons aussi la possibilité de mobiliser l'activité de renseignement pour prendre le relais.

Ainsi, les dispositions existantes et celles qui figureront dans la loi présentée par le garde des Sceaux offriront un ensemble de dispositifs, relevant du droit commun, qui permettront la sortie de l'état d'urgence.

Vous demandez par ailleurs si nous aurons besoin d'autres mesures. Nous en avons déjà pris beaucoup avant et après les attentats du mois de janvier. Une loi avait été adoptée en 2012, tandis que la loi du 13 novembre 2014 offre un ensemble de moyens de police administrative, qui vont du blocage administratif des sites internet à l'interdiction de sortie du territoire, et qui donnent à nos services la possibilité d'intervenir sous pseudonyme sur internet, pour participer à des forums de discussion sur lesquels la commission d'attentats peut être envisagée ou le départ vers les zones de combat évoqué. La loi relative au renseignement adoptée en juillet dernier a été promulguée, et ses textes d'application sont mis en oeuvre. Elle permet essentiellement — pour ne pas dire presque exclusivement, pour les techniques les plus intrusives — de mobiliser des moyens dont nous ne disposions pas encore récemment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Lorsque l'on voit, par exemple, qu'une grande partie de ceux qui ont commis des actes les ont préparés en utilisant des moyens de communication cryptés et qu'ils ont mobilisé les moyens numériques pour échanger entre eux en vue de la commission de ces attentats, on comprend que la loi relative au renseignement était indispensable. Nous disposons par conséquent déjà de tout un ensemble de dispositions législatives qui nous permettent d'être aujourd'hui beaucoup plus efficaces que nous ne l'étions hier face à des individus qui se sont adaptés.

Une grande partie des mesures nécessaires supplémentaires relève du cadre européen. Vous savez que la France a présenté un agenda au Conseil « Justice et affaires intérieures » qui s'est tenu le 25 janvier à Amsterdam. Il contient des mesures extrêmement précises : mise en place de la réforme de l'article 7-2 du code Schengen ; consultation systématique du Système d'information Schengen (SIS) ; alimentation du SIS en des termes identiques par l'ensemble des services de renseignement ; possibilité de mettre en place une force opérationnelle (task-force), destinée à lutter contre les faux documents, dans les centres d'enregistrement (hotspots) comme sur le territoire de l'Union européenne, parce que ces équipes doivent être projetables ; modification du règlement Eurodac en vue de pouvoir l'utiliser à des fins de sécurité ; possibilité de connexion du SIS aux fichiers criminels européens. Ainsi, il sera possible d'atteindre un niveau d'efficacité de la lutte contre le terrorisme tel que nous ne le connaissons pas encore, ce qui explique une grande partie des « trous dans la raquette » dont on parle parfois.

Si nous ne pouvons pas recroiser toutes ces informations, la lutte antiterroriste connaîtra des problèmes lorsque des individus, qui ne sont pas des ressortissants français et qui ne sont pas suivis par nos services, projetteront en Syrie et prépareront dans d'autres pays que le nôtre des attentats qu'ils voudront perpétrer sur notre territoire.

Oui, nous avons besoin de mesures complémentaires, européennes et nationales, car les terroristes s'adaptent à nos ripostes et, si nous voulons être efficaces, nous devons être continuellement, nous aussi, dans un processus d'adaptation de nos dispositifs réglementaires à la guerre qu'on nous livre. Quant à moi, je suis déterminé à faire en sorte qu'aucun interstice ne subsiste, même si cela appelle un combat considérable de tous les instants, car cette guerre est totale.

Nous exploitons tous les renseignements que nous recueillons, dans la perspective de la prévention d'actes terroristes sur le territoire national ou dans d'autres pays de l'Union européenne. Il serait inconséquent de ma part d'entrer dans le détail, mais je peux dire que nous intensifions les relations avec les services de renseignement d'autres pays de l'Union.

Quant à l'Euro 2016, je tiens plusieurs fois par mois des réunions du comité de pilotage de la sécurité de cet événement. J'en ai encore tenu une avant-hier avec le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports et le secrétaire d'État aux sports. Ces réunions, extrêmement importantes, permettent de balayer la totalité des sujets relatifs à la sécurité de cette grande manifestation. Pour les mêmes raisons que celles que j'évoquais tout à l'heure, je ne tiens pas à détailler publiquement les mesures que nous prenons, mais je puis vous dire que ces mesures sont prises avec une grande méticulosité, qu'il y a mise en adéquation des moyens aux risques et que nous serons bien entendu d'une vigilance totale.

En ce qui concerne les manifestations, si certaines d'entre elles sont susceptibles d'occasionner des troubles graves à l'ordre public et que, en raison de la tenue de l'Euro 2016, les forces de sécurité ne peuvent être mobilisées pour le garantir, le droit dans son état actuel, tel que le reflète l'arrêt Benjamin du Conseil d'État de 1933, nous donne tous les outils qui nous permettent de faire le travail correctement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion