Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 11 février 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé :

Le groupe Les Républicains votera le projet de loi prorogeant l'application de l'état d'urgence. Sans doute serons-nous d'ailleurs appelés à le faire en des termes conformes à ceux qu'a adoptés le Sénat, afin d'en permettre l'application effective dans les délais qui nous sont proposés.

Permettez-moi cependant de faire quatre séries de remarques. La première est une remarque de principe. La menace, ce sont les islamistes terroristes ; la menace, ce n'est pas l'état d'urgence. Cela va de soi, mais disons-le tout de même. Nos ennemis sont des islamistes qui veulent détruire notre société par les moyens de la terreur la plus barbare et face auxquels nous avons le devoir de mobiliser tous les moyens de l'état de droit, dont l'état d'urgence, démocratiquement décidé par le Parlement, sérieusement mis en oeuvre par le Gouvernement et contrôlé, au plan juridictionnel, par la juridiction administrative. Celle-ci exerce un contrôle entier, et son indépendance n'est contestée par personne, en tout cas par aucune personne qui ait un minimum de connaissances et de pratique du droit — faut-il, à ce sujet, rappeler la décision du Conseil constitutionnel de 1980 jugeant que cette indépendance est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Vous avez donc notre accord de principe quant à l'état d'urgence. Nous l'avions dit en novembre et le redisons aujourd'hui.

S'agissant de l'application de l'état d'urgence, nous avons bien sûr un devoir d'efficacité. La même exigence incombe au Gouvernement et au Parlement, le Parlement ayant le devoir de vérifier l'efficacité des mesures prises par le Gouvernement. C'est pourquoi la commission d'enquête relative aux moyens alloués à la lutte antiterroriste depuis le 7 janvier 2015, présidée par Georges Fenech, fera son office dans les semaines et dans les mois qui viennent. Quant à l'application de la loi sur l'état d'urgence, vous en avez, monsieur le ministre, rendu compte de manière précise au fil des semaines, de manière formelle ici, ou de manière plus informelle au ministère, place Beauvau.

Cependant, un élément suscite diverses interrogations : le rapport entre le nombre d'assignations à résidence et le nombre d'individus connus de vos services parce qu'ils figurent dans le fichier des personnes recherchées et des atteintes à la sûreté de l'État, qu'il est convenu d'appeler les fichés S, ou dans le fichier de traitement des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Je ne dis pas que tous les individus en question doivent être assignés à résidence, mais je m'interroge : ils sont plusieurs milliers et nous ne comptons qu'un peu plus de 400 assignations à résidence ! À l'heure où nous parlons, plusieurs milliers d'individus connus de nos services sont donc parfaitement libres de leurs mouvements. J'entends bien que tous ne sont pas sur le territoire national, mais, tout de même, cette disproportion apparente pose question, et j'aimerais que vous puissiez nous fournir quelques éléments d'analyse.

Ma troisième remarque porte sur le projet de loi lui-même. Je le répète : nous serons sans doute amenés à le voter conforme, compte tenu des délais, mais une question technique ne se pose pas moins. Nous avons été saisis d'un avant-projet de loi portant modification de la loi de 1955 relative à l'état d'urgence. Transmis dans le cadre de l'examen du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, dont la première lecture à l'Assemblée nationale s'est achevée hier, cet avant-projet très intéressant comporte cinq articles, dont l'un conforterait le régime des saisies sous l'empire des perquisitions administratives. J'ai donc cru comprendre que le Gouvernement estime qu'il ne peut être adopté à droit constitutionnel constant. Si tel est le raisonnement, dont acte, mais je regrette un peu que l'on ne tente pas d'ores et déjà de modifier les paramètres, à droit constitutionnel constant, à la faveur de l'examen de ce projet de loi. Il s'agirait de se doter de ces instruments dès maintenant, sans attendre l'hypothétique adoption de la révision constitutionnelle. Naturellement, les dispositions votées pourraient être soumises au contrôle du Conseil constitutionnel. Nous aurions donc pu essayer d'aller un peu plus loin que vous ne le proposez en adoptant dès à présent tout ou partie des mesures figurant dans cet avant-projet de loi.

Quatrième et dernière remarque, à laquelle vous avez déjà partiellement répondu, il ne faut pas préjuger, aujourd'hui, en février, de ce que nous aurons à faire au mois de mai. Compte tenu de la perspective de l'Euro 2016, entre le 10 juin et le 10 juillet, et, bien au-delà, de la permanence de cette menace extrêmement élevée, nous ne devons pas nous interdire, de manière presque abstraite, d'envisager toutes les options. Ce combat contre le terrorisme islamiste est celui d'une génération. Je ne plaide évidemment pas pour un état d'urgence permanent, mais ne nous payons de mots : peut-être serons-nous amenés, au mois de mai, à considérer que l'état d'urgence doit à nouveau être prolongé. Je ne veux, en tout cas, préjuger de rien. Parce que nous sommes le Parlement, parce que vous êtes le Gouvernement, nous devons garder toutes les possibilités ouvertes, nous devons juger en opportunité, avec discernement, des adaptations juridiques requises pour faire face à la menace.

En réalité, vous avez lancé trois exercices juridiques et législatifs différents. Il y a le chantier constitutionnel, dont nous connaissons les aléas. Le projet de loi constitutionnel comporte deux articles, et nous savons à quel point l'adoption de l'article 2 fut difficile. Cet article 2 pourrait même compromettre, finalement, l'adoption de l'article 1er, pourtant plus consensuel. Il y a l'état d'urgence, que nous prorogeons ici. Il y a, enfin, le projet de loi dit « Urvoas », si j'ose l'appeler ainsi, que nous a présenté hier le nouveau Garde des Sceaux. Je ne voudrais pas qu'un hiatus entre les différents calendriers aboutisse à ce que nous soyons insuffisamment armés au mois de mai. Prorogeons donc l'état d'urgence jusqu'à la fin du mois de mai, mais ne nous interdisons pas de réfléchir à une éventuelle nouvelle prorogation, au-delà de cette date, de tout ou partie des instruments qu'il offre.

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