Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 11 février 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Monsieur Larrivé, vous m'interrogez sur le décalage qui existe entre le nombre d'assignations à résidence et celui des personnes portées au FSPRT. Vous aurez remarqué que certains me reprochent d'en faire trop, et d'autres de ne pas en faire assez : nous devons donc faire juste ce qu'il faut, de manière proportionnée. Mais cette question mérite une réponse extrêmement précise.

L'ensemble des personnes portées au FSPRT n'a pas vocation à faire l'objet d'assignations à résidence. Certaines d'entre elles relèvent du suivi et d'enquêtes de la sécurité intérieure : les assigner à résidence leur signalerait que nous sommes informés de leurs activités et nous priverait de la possibilité d'aller au terme d'enquêtes permettant de démanteler des réseaux que nous avons besoin d'identifier dans leur plénitude. C'est extrêmement important : il ne faut pas que ce que nous faisons au titre de l'état d'urgence obère le travail de nos services de renseignement au titre de la lutte antiterroriste. Cela signifie aussi que la mobilisation de tous les moyens de nos services, dans le cadre du droit, permet le suivi attentif des personnes que nous n'assignons pas à résidence. Par ailleurs, un nombre non négligeable de personnes inscrites au FSPRT ne se trouve pas sur le territoire national. D'autres sont déjà judiciarisées : nous n'allons donc pas prendre de mesures de police administrative à leur endroit.

Lorsque l'on fait le décompte de ceux qui restent, rapportés aux quelque 1 700 personnes qui pouvaient faire l'objet d'une attention dans le cadre des mesures de police administrative, il apparaît que 40 % d'entre elles ont fait l'objet de perquisitions administratives, ce qui est considérable, tandis que d'autres font l'objet d'assignations à résidence.

Votre question me permet donc de faire le point sur un sujet à propos duquel on ne m'a jamais interrogé : si l'on exclut du FSPRT toutes les personnes que je viens d'indiquer, l'état d'urgence a permis d'appliquer des mesures de police administrative à près de 40 % de celles qui pouvaient faire l'objet de telles mesures au titre du FSPRT.

Les autres relevaient de signaux extrêmement faibles. Au vu de la rigueur du contrôle exercé par le juge, et notamment des conditions dans lesquelles il apprécie la pertinence des mesures de police administrative, nous ne pouvions pas décider de telles mesures sans prendre le risque de les voir cassées. C'est ce qui explique que ces mesures administratives aient été appliquées à 40 %, et non à 90 %, des personnes figurant au FSPRT. Je pourrai donner plus de détails à la commission parlementaire, mais je remercie M. Larrivé de cette question qui m'a permis d'apporter ces précisions.

Vous me demandez ensuite pourquoi nous n'avons pas inscrit au titre de la prolongation de l'état d'urgence les dispositions relatives aux saisies des perquisitions administratives prévues dans la loi d'application de la réforme constitutionnelle. C'est peut-être un point de divergence entre nous, mais je ne veux absolument rien faire, dans le cadre des mesures de police administrative, dont la conformité à la Constitution ne soit pas certaine. C'est la raison pour laquelle, conformément à l'avis rendu par le Conseil d'État, nous engageons une réforme constitutionnelle. Nous aurions pu faire ce que vous proposez, mais cela présentait un risque constitutionnel. Si nous voulons pouvoir procéder à des saisies sans déroger aux principes du droit constitutionnel, il faut impérativement que nous constitutionnalisions l'état d'urgence.

Je ne comprends d'ailleurs pas que ceux qui considèrent que l'état d'urgence pose un problème de libertés publiques refusent de les voir garanties dans la Constitution elle-même. La position du Gouvernement est cohérente : nous considérons que la constitutionnalisation donne des garanties, et c'est la raison pour laquelle, conformément à la position du Conseil d'État, nous prenons des dispositions constitutionnelles. En conséquence, nous ne prenons pas de risque constitutionnel en inscrivant dans un texte de prorogation des dispositions que nous souhaitons voir confortées par des mesures de nature constitutionnelle.

Vous dites qu'il ne faut pas préjuger de ce que nous aurons à faire en mai. Bien sûr, il n'est pas possible de le faire, mais la définition de l'état d'urgence n'est pas dictée par des considérations de confort politique. Dans la présentation que j'ai faite des raisons de la prorogation, j'ai insisté sur le caractère imminent du péril, en essayant de l'étayer par des informations concrètes. Ce n'est pas pour des considérations de confort, parce que nous pensons que nous en avons besoin pour des considérations politiques, que nous devrions proroger l'état d'urgence alors que les conditions de droit ne sont pas réunies.

De la même manière, ce n'est pas la menace terroriste qui fait l'état d'urgence, c'est le péril imminent qui le justifie. La menace peut donc perdurer sans que le péril imminent demeure, et ce sont ces considérations de droit qu'il nous faudra examiner au moment où nous aurons à traiter de ce sujet.

Bien entendu, je souhaite que nous puissions, dans le cadre du droit commun, prendre des mesures de lutte antiterroriste permettant de sortir de l'état d'urgence. Je constate que ceux qui sont contre l'état d'urgence considèrent que l'on ne peut pas inscrire dans le droit commun des mesures efficaces de lutte contre le terrorisme, Noël Mamère l'a très clairement dit.

D'ailleurs, M. Mamère comme Mme Attard, dont je respecte parfaitement la position, ont voté contre la loi du 13 novembre 2014 ; contre le blocage administratif des sites internet alors que 90 % de ceux qui se radicalisent le font par internet ; contre l'interdiction de sortie du territoire alors que ceux qui partent sur le théâtre des opérations terroristes et y ont vécu toutes les atrocités que l'on sait en reviennent avec une dangerosité qu'ils n'avaient pas lorsqu'ils sont partis ; contre l'intervention des services sous pseudonyme ; et ont participé du discours — que je respecte bien qu'il ne me paraisse pas refléter la réalité — selon lequel les moyens prévus par la loi relative au renseignement relevaient de la surveillance de masse. Ils se disent favorables à des mesures efficaces, mais se sont pour l'instant opposés à toutes celles que nous avons prises sans jamais expliquer celles qu'ils préconisent. Je serai très heureux, madame Attard, que vous puissiez me dire quelle est la politique antiterroriste que vous préconisez. Vous m'avez expliqué qu'il fallait faire de la prévention dans les quartiers, ce que nous faisons par ailleurs, mais, compte tenu de la nature actuelle du risque, je me permets de vous dire avec beaucoup d'humilité que je ne suis pas sûr que cela suffise. Il est un moment où le péril doit être regardé avec lucidité, et non en se conformant à des postures ou à des convictions que je partage par ailleurs, mais que je préfère essayer de mettre en oeuvre avec réalisme.

Je veux condamner très fermement les propos que M. Mamère a tenus sur le Premier ministre. On peut être en désaccord avec le Premier ministre tout en respectant sa personne. Je regrette que M. Mamère, qui s'inquiète de la dimension liberticide des mesures que nous prenons, n'ait pas pu rester pour entendre la réponse à la question qu'il m'a posée. Sans doute a-t-il des contraintes d'emploi du temps que je n'ai pas. En l'entendant qualifier le Premier ministre comme il l'a fait, je songeais aux propos qu'il a tenus après l'accident de Puisseguin qui avait causé la mort de quarante-trois personnes : c'était, disait-il, la faute de la « loi Macron » et du conseil départemental de la Gironde. Quand on tient des propos de ce type, on est en droit de donner des leçons de rigueur intellectuelle à tout le monde !

M. Mamère a dit par ailleurs que nous faisions primer la sécurité sur la liberté. Pas du tout : nous considérons qu'il n'y a pas de liberté là où la sécurité des Français n'est pas garantie. La liberté serait-elle encore assurée dans un pays où nos enfants auraient peur de se rendre dans une salle de concert et à une terrasse de café ? Tout mettre tout en oeuvre, en tant que ministre de l'Intérieur, pour que la sécurité de notre jeunesse soit garantie et lui permettre de vivre pleinement sa liberté, ce n'est pas subordonner la liberté à la sécurité.

Au cas où cela aurait échappé à M. Mamère, j'aurais voulu lui dire dans les yeux que depuis Alain Peyrefitte, il s'est passé bien des choses en France. Et lorsque Alain Peyrefitte était ministre de la justice, je ne me souviens pas qu'il ait eu affaire à la masse de violence et d'attentats à laquelle je suis confronté. Mais sans doute cela a-t-il échappé à la sagacité de M. Mamère.

Celui-ci a affirmé que, dans le cadre d'une affaire récente, les forces de sécurité avaient produit un procès-verbal truqué devant le Conseil d'État. Ce propos est honteux et je tiens à le corriger avec la plus grande fermeté. Le fonctionnaire qui a effectué la perquisition n'a pas mentionné dans son procès-verbal que des données avaient été saisies au domicile de l'intéressé, ce qui a joué plutôt en défaveur du ministère de l'Intérieur, puisque l'intéressé a pu nier que ces données provenaient de son ordinateur et même qu'il en possédait un. Du fait de cette erreur, l'implication de l'intéressé dans la mouvance islamiste, que nous considérions comme avérée, n'a pu être démontrée — tout comme une erreur de procédure peut entraîner la fin des poursuites dans le cadre judiciaire. Ces éléments relèvent d'une décision du Conseil d'État qui date d'avant-hier.

Parler de procès-verbal truqué, en mettant en cause l'honneur des forces de sécurité devant une commission parlementaire, en disant des choses fausses et en convoquant la rigueur intellectuelle à tout propos n'est pas convenable. J'invite tous ceux qui connaissent ces sujets à mesurer le décalage entre ce qu'a dit M. Mamère et la réalité.

Je dis cela très calmement, mais non sans colère. En tant que ministre de l'Intérieur, j'en ai un peu assez de voir des policiers et des gendarmes mis en cause de cette manière, alors qu'ils risquent leur vie tous les jours pour sauver la vie des Français.

Enfin, pour terminer sur ce sujet-là, j'indique à M. Mamère — et j'aurais aimé qu'il soit encore présent pour que je puisse le lui dire les yeux dans les yeux — qu'affirmer qu'il n'y a pas de juge pour contrôler la mise en oeuvre des mesures de police administrative prises par le Gouvernement, alors qu'un juge administratif casse des décisions gouvernementales, ce n'est pas de la rigueur intellectuelle. De la même manière, affirmer que le juge judiciaire est écarté de la lutte antiterroriste alors que le juge judiciaire prend le relais de ce que nous faisons en matière de police administrative pour procéder à la judiciarisation de la situation de ceux qui ont fait l'objet d'une perquisition ou d'une assignation à résidence, ce n'est pas de la rigueur intellectuelle. Affirmer que le fait que nous ayons cessé de prendre des mesures de police administrative très vite après que l'état d'urgence a été déclenché est la preuve qu'elles ne servent à rien, ce n'est pas de la rigueur intellectuelle. En effet, l'efficacité de ces mesures était d'autant plus grande les premiers jours en raison d'un effet de sidération ; nous y avons eu recours ensuite avec proportionnalité. On ne peut à la fois prétendre que l'état d'urgence, c'est l'arbitraire et qu'il y a un excès de mesures administratives, et affirmer que celles-ci ne servent à rien lorsque nous en faisons un usage proportionné. Tout cela relève d'une posture : je comprends l'intérêt politique de celui qui l'adopte et je ne suis d'ailleurs pas choqué que, dans un espace démocratique, des postures politiques s'affrontent. Je dis simplement — et regrette — que les faits montrent que certaines de ces affirmations ne relèvent pas d'une démarche de rigueur intellectuelle.

Madame Attard, vous avez indiqué que vous étiez particulièrement rigoureuse et que la preuve en était que vous aviez un doctorat en sciences, mais un doctorat en sciences n'a jamais donné des compétences en droit. Vous avez affirmé des choses fausses, qui appellent des rectifications.

Vous avez indiqué que seules cinq procédures liées au terrorisme étaient ouvertes à la suite de mesures de police administrative prises dans le cadre de l'état d'urgence, ce qui est vrai, mais vous en avez déduit que ces mesures étaient inefficaces dans la lutte contre le terrorisme, ce qui est faux. Pourquoi ? Parce que, comme je l'ai indiqué tout à l'heure — et je pense que mon raisonnement sera accessible à votre entendement, vous qui êtes comme nous soucieuse de l'indépendance du juge judiciaire et du secret de l'instruction —, il y a des procédures judiciaires en cours sur la base d'éléments rassemblés grâce à des mesures de police administrative. Ces procédures peuvent permettre dans les semaines qui viennent — et permettront vraisemblablement — de déclencher des incriminations pénales pour des faits à caractère terroriste. Nous avons arrêté cinquante-trois personnes, qui ont fait l'objet d'une judiciarisation et d'une mise sous écrou. Vous ne pouvez pas vous contenter de la comptabilité que vous venez d'afficher alors que tous ces éléments judiciarisés, couverts par le secret de l'instruction, ne sont pas encore exploités. Vous ne pouvez pas juger des résultats des perquisitions et assignations à résidence en matière de lutte antiterroriste pour la bonne et simple raison que les enquêtes judiciaires auxquelles ces mesures administratives ont donné lieu n'ont pas encore abouti

Quand vous dites qu'il y a en moyenne 0,4 procédure par semaine, c'est tout à fait faux. Je vous redonne des chiffres précis. Depuis l'année 2016, nous avons procédé à 50 interpellations pour des motifs à caractère terroriste : 23 sont suivies par les services de la sécurité intérieure, 17 par la police judiciaire, 10 par la préfecture de police. Il y a eu 18 mises sous écrou : 11 relevant des services de la sécurité intérieure, 6 de la police judiciaire et une de la préfecture de police de Paris. Je ne sais d'ailleurs pas comment vous pourriez avoir connaissance de ces éléments que je suis seul en mesure de rendre publics. J'ignore d'où vous sortez les chiffres que vous avancez et à quoi ils correspondent. Toujours est-il qu'il est faux de dire que l'état d'urgence a conduit à une moindre activité des services dépendant de ma responsabilité. Je viens de donner des chiffres précis qui montrent la réalité des choses.

Bien entendu, il y a un débat démocratique avec des organisations non gouvernementales, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l'homme. Je suis allé devant la CNCDH la semaine dernière et j'ai eu, pendant deux heures et demie, un dialogue de grande qualité avec Mme Lazerges et l'ensemble des personnes présentes autour de la table. De la même manière, je répondrai à toutes les questions que me posera le Défenseur des droits. Et, si Amnesty International demande à me rencontrer, je fournirai à cette organisation l'ensemble des éléments à ma disposition. Dans l'exercice des responsabilités qui sont les miennes, et plus précisément dans la lutte contre le terrorisme, je n'ai peur ni des commissions d'enquête parlementaires, ni des organisations non gouvernementales, ni des articles de presse, car j'estime que, compte tenu des menaces qui pèsent sur notre pays et des mesures que nous mettons en oeuvre pour y faire face, il est de mon devoir de rendre compte de tout à chaque instant. Mais j'estime aussi qu'il est de mon droit de protéger mes services de procès récurrents qui mettent en cause de manière systématique et injuste des fonctionnaires extrêmement valeureux qui prennent chaque jour des risques : ils méritent la considération de la République davantage qu'un dénigrement de chaque instant. C'est mon honneur de ministre de l'Intérieur que de rétablir à ce sujet un certain nombre de vérités.

Ce que M. de Rugy a dit sur les assignations à résidence et les mesures de perquisition administrative dont ont fait l'objet des militants écologistes est exact. Il y a eu un cas qui n'était pas pertinent. Contrairement à ce qu'a dit M. Mamère, je n'ai pas du tout fait mon mea culpa, ce sont des journalistes qui ont ainsi qualifié les propos par lesquels j'ai reconnu une faute. Oui, je reconnais des fautes lorsqu'elles existent, car cela relève de l'exercice de transparence auquel j'entends m'astreindre. J'invite tous ceux qui portent des accusations à en apporter la preuve.

M. Warsmann a posé une question de fond : les services de renseignement français ont-ils les capacités nécessaires pour faire leur travail ? Je prendrai le temps qu'il faudra pour y répondre, car c'est une question récurrente. Vous observerez d'ailleurs que ce sont souvent ceux-là mêmes qui refusent aux services de renseignement les moyens de faire leur travail à mesure que nous votons des lois, qui se précipitent pour dénoncer les failles avant même d'avoir analysé les conditions dans lesquelles les attentats se sont déroulés. Je ne veux pas anticiper sur le travail de la commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, présidée par M. Fenech et dont le rapporteur est M. Pietrasanta, mais, comme il y a sur ces sujets des interrogations légitimes, autant commencer à y répondre.

Les services de renseignement ont vu leurs moyens considérablement augmenter depuis 2012. Nous avons décidé de créer 432 emplois au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et d'augmenter de 12 millions d'euros les crédits hors titre 2 dont elle bénéficie. Après les attentats des mois de janvier et novembre 2015, nous avons consenti des efforts supplémentaires. À la suite des attentats du mois de janvier, il a été décidé d'augmenter de 1 500 postes les effectifs dans nos services de police, principalement dans les services de renseignement intérieur, selon la ventilation suivante : 500 dans la sécurité intérieure, 100 au sein de la préfecture de police de Paris, 136 au sein de la direction centrale de la police judiciaire — principalement affectés à des actions relevant de la lutte antiterroriste puisqu'il s'agit de la plateforme PHAROS, de la lutte contre la cybercriminalité et le trafic d'armes —, le reste étant réparti entre le service de protection des personnalités, la police de l'air et des frontières ainsi que la direction des systèmes d'information et de communication (DSIC) à laquelle ont été attribués 33 emplois et une augmentation de 95 millions d'euros des crédits budgétaires hors titre 2 afin de permettre la remise à niveau de nos applications informatiques — je pense, par exemple, au système de circulation hiérarchisée des enregistrements opérationnels de la police sécurisés (CHEOPS).

Dans le cadre de la loi de finances pour 2016, nous avons décidé par un amendement gouvernemental de créer 900 emplois supplémentaires pour faire face à la crise migratoire. Et nous consentirons, après le Congrès, un effort supplémentaire de 5 000 emplois qui bénéficiera aux services de renseignement.

Avant même les attentats du mois de novembre, nous avons voté la loi relative au renseignement qui, à travers la détection sur données anonymes et le suivi en continu des terroristes, permettra de doter les services de renseignement de moyens puissants dont ils ne disposaient pas encore pour faire face à l'utilisation des outils numériques et aux risques que représente la cryptologie. Cela représente un progrès considérable.

Dire que rien n'a été fait depuis les attentats du mois de janvier est donc totalement faux. Beaucoup a été fait avant ; beaucoup a été fait après. Et nous allons poursuivre ce travail de façon extrêmement volontariste.

Avons-nous pu traiter la totalité des sujets ? Non. Je prendrai l'exemple des attentats du mois de novembre qui appellent une analyse fine, que je m'emploie à approfondir chaque jour de manière que nous soyons en mesure de corriger tout ce qui peut l'être.

Qu'ont-ils montré ? L'individu qui a commandité ces attentats, Abdelhamid Abaaoud, qui était belgo-marocain et non pas français, ne se trouvait pas sur le territoire national, mais en Syrie. Une grande partie de ceux qui les ont commis, ressortissants belgo-marocains ou belges, sont revenus de Syrie ou résidaient en Belgique. Ils n'étaient pas connus de nos services de renseignement et n'étaient pas inscrits au fichier SIS comme terroristes. Les deux Français qui ont participé à ces opérations, Samy Amimour et Ismaël Mostefaï, après avoir été placés sous contrôle judiciaire, étaient partis sur le théâtre des opérations d'où ils sont vraisemblablement revenus en même temps que les autres.

Que s'est-il passé ? Pour leur retour en Europe, une partie des terroristes a utilisé de fausses identités grâce à de faux papiers fabriqués par Daech, qui a une véritable usine de faux documents forgés à partir de passeports vierges récupérés en Irak et en Syrie. Ils ont franchi les frontières extérieures de l'Union européenne et certains ont fait l'objet de prises d'empreintes sur la banque Eurodac sous de faux noms. Ils ont traversé plusieurs pays européens, séjourné à Molenbeek où des appartements conspiratifs ont par la suite été identifiés et perquisitionnés, et ils ont ensuite frappé en France. Autrement dit, une grande partie de ce qui s'est passé a eu lieu à l'extérieur de nos frontières. Avant le 13 novembre, les services de renseignement français n'ont eu aucune information provenant des services des pays traversés par les terroristes nous indiquant leur présence. C'est après les attentats qu'un service étranger nous a informés de leur passage sur l'île de Leros.

Et la conclusion de tout cela serait la seule mise en cause des services de renseignement intérieur français ! Cette vision des choses suscite chez moi un étonnement incommensurable. Faut-il rappeler que les services de renseignement intérieur français ont pour tâche de suivre ce qui se passe à l'intérieur du territoire national ?

En dehors des considérations récurrentes sur les failles, s'ajoute toute une série d'autres refrains : les services de renseignement français n'auraient pas changé de logiciel depuis la Guerre froide ; ils auraient misé sur la technologie et pas sur les hommes ; ils ne travailleraient pas suffisamment ensemble.

Quelle est la réalité ? Nous avons beaucoup investi en moyens humains, particulièrement en matière de formation et d'analyse, mais aussi en moyens technologiques. Penser que nous pourrions, face à l'internationalisation et la numérisation de l'activité terroriste, ne pas miser sur la technologie est absurde. Penser que nous pourrions miser sur la technologie sans avoir des personnels qui se consacrent à l'analyse des informations récoltées l'est tout autant. Depuis très longtemps, nous avons connecté les différents services du ministère de l'Intérieur pour faire en sorte que les regards croisés accroissent le niveau d'analyse des informations collectées. Depuis longtemps, nous avons renforcé — mais ce n'est pas suffisant — les échanges avec les services de renseignement extérieur.

Quelles sont les priorités ? Les vraies questions qui se posent aujourd'hui, les voici : Comment exercer des contrôles aux frontières extérieures ? Comment interroger systématiquement le fichier SIS ? Comment connecter ce fichier aux autres fichiers de police ? Comment permettre à la base de données Eurodac d'être utilisée à des fins de sécurité, ce qui suppose une modification de son règlement ? Comment mettre en place une véritable task force européenne mobilisant les meilleurs de nos spécialistes et de nos policiers dans la lutte contre la fraude documentaire au moment du franchissement des frontières extérieures de l'Union européenne, quelles qu'en soient les modalités ? Comment projeter des équipes là où des individus sont susceptibles d'être en possession de faux documents ? Comment faire en sorte d'échanger en permanence des informations entre pays de l'Union européenne en alimentant le fichier SIS qui n'est pas actuellement alimenté comme il devrait l'être ?

Vous me demandez, monsieur Warsmann, si nous sommes suffisamment armés en matière de renseignements. Je vous réponds que nous avons beaucoup progressé, mais qu'il reste beaucoup à faire. Ces mesures qui sont devant nous, je les ai développées dans l'agenda que j'ai proposé au conseil européen « Justice et Affaires intérieures », un agenda que j'ai souhaité franco-allemand. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu au conseil des ministres allemand pour présenter l'ensemble de ces éléments afin que mon homologue et moi nous ayons une démarche conjointe. Cela nous a conduits à nous rendre ensemble en Grèce pour proposer la mise en place de ce dispositif.

Je tenais à apporter cette réponse précise à M. Warsmann. Ces débats sont centraux. Je pense que nous aurons à les traiter de nouveau dans le cadre de la commission d'enquête présidée par M. Fenech. Je souhaite pouvoir donner tous les éléments d'information. La question de la lutte contre le terrorisme est trop grave et la menace trop importante pour que nous n'essayions pas ensemble d'avancer vers les dispositifs les meilleurs.

Pour ce qui concerne la plateforme nationale des interceptions judiciaires, dont la création a été décidée en 2006, il s'agit d'inscrire dans la loi une pratique découlant d'une circulaire du ministère de la justice de 2015. Il est logique que les services de police judiciaire aient recours à une plateforme entièrement financée par l'État, qui est à présent opérationnelle. Son monopole constitue une garantie. Il est légitime d'inciter les enquêteurs à faire usage d'un outil qui garantit un standard élevé de sécurité dans la conservation et l'exploitation de données extrêmement sensibles.

Madame Mazetier, vous m'avez posé une question sur une interdiction de manifestation à Calais. Je vous précise que celle-ci a été fondée non sur les mesures liées à l'état d'urgence, mais sur le droit commun. Je ne vois pas pourquoi nous n'y aurions pas recours lorsque ces fondements permettent de faire les choses en droit. Une manifestation de migrants actionnée par les No Borders, avec un cynisme que j'ai déjà eu l'occasion de dénoncer, est entrée dans les infrastructures portuaires. Démonstration a été faite qu'il y avait des risques de trouble à l'ordre public et de violences du fait d'oppositions entre groupes. C'est après ce qui s'est passé dans le port que j'ai pris la décision d'interdiction sur les fondements du droit commun – si je l'avais prise avant que des troubles ne surviennent, elle aurait été cassée par le juge administratif. Quand cette interdiction a été bravée, c'est encore sur les fondements du droit commun que mes services ont procédé à des interpellations, ce qui a immédiatement donné lieu à une judiciarisation.

Je répète ce que j'ai dit devant le Sénat l'autre jour : lorsque l'on est soucieux de l'ordre républicain, on veille à ce que les principes de droit soient respectés par tout le monde. Nul ne peut s'opposer à l'application par l'administration des principes de droit votés par le souverain que vous constituez, mesdames, messieurs les députés. Lorsque l'on commence à considérer que ce que l'on pense justifie que l'on aille contre le droit, alors c'en est fini de la République. Cela doit être dit très fermement, quels que soient les interlocuteurs auxquels cela s'adresse. L'autorité de l'État commence par l'affirmation très forte de ces principes républicains.

Pour ce qui concerne les interdictions de manifestations qui donnent lieu à des incohérences statistiques, je vous propose, madame Mazetier, sur la base d'éléments que vous pourriez m'adresser, de vous faire parvenir, ainsi qu'à M. le président Raimbourg, l'ensemble des informations qui permettent d'expliquer ces décalages. Je souhaite que, sur ces sujets, la transparence soit totale.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion