Intervention de Louis Schweitzer

Réunion du 10 février 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement :

Pour vous répondre, madame Rabault, les décaissements interviennent selon deux rythmes différents : pour les actions conformes à l'esprit du PIA, les décaissements croissent régulièrement ; les décaissements liés à des redéploiements ou à des votes en loi de finances portant sur des objets étrangers au PIA connaissent un rythme plus erratique – par exemple, les décaissements de dépenses de recherche militaire, à la suite du vote du PIA 2 en loi de finances initiale pour 2014, expliquent l'envolée des décaissements en 2014. Les décaissements « normaux » du PIA, quant à eux, augmentent régulièrement d'année en année : cela a été le cas entre 2014 et 2015.

S'agissant de l'impact des investissements de l'État, je ferai plusieurs remarques pour nuancer votre constat, qui a également été porté par la Cour des comptes.

Tout d'abord, toutes les dépenses du PIA ne sont pas juridiquement des investissements – le financement de la recherche ou d'instituts rapprochant université et entreprise, par exemple, n'en sont pas ; ensuite, certains investissements réalisés en tant qu'investisseur avisé ne sont pas considérés comme des investissements publics au regard de la comptabilité nationale ; en outre, les investissements sont comptabilisés au moment du décaissement et non de l'engagement. Les décaissements augmentent progressivement ; en 2011, ils étaient inférieurs à un milliard d'euros, ce qui, rapporté à la masse des investissements publics, paraît relativement faible ; enfin, la France est le pays d'Europe dans lequel l'investissement public est le plus important – en proportion du PIB, il est supérieur de deux points à celui de l'Allemagne. La question est autant celle de l'orientation de l'investissement public que de son montant en valeur absolue.

Quant aux redéploiements, 28 % d'entre eux sont inscrits en loi de finances rectificative avant d'être mis en oeuvre. Les redéploiements sont soumis à l'accord du Parlement dès lors que l'objectif de l'action, l'opérateur ou la nature de la dépense change. Si un redéploiement modifie substantiellement ce qui a été voté par le Parlement, il doit être approuvé par ce dernier. Le contrôle du Parlement est donc exercé dans sa plénitude.

Les redéploiements les plus nombreux sont les redéploiements de second ordre au sein d'actions gérées par un opérateur afin de tirer les conséquences du succès, plus ou moins important que prévu, des actions mises en place. Ils sont soigneusement contrôlés. Nous donnons notre avis, parfois sans entrain lorsque les redéploiements profitent à des actions qui ne correspondent pas à l'esprit du PIA. En tout état de cause, aucun de ces redéploiements n'a jusqu'à présent eu pour effet de limiter une action du PIA. Ils ont toujours consisté à prélever de l'argent sur l'enveloppe que nous n'arrivions pas à consommer.

Plusieurs raisons expliquent que la transition énergétique ait été pénalisée dans l'affectation des crédits. Premier point, nous avons probablement surestimé la part de l'innovation par rapport à la part de la diffusion de la transition énergétique. À cet égard, le plan Juncker est heureusement venu compléter l'action du PIA en matière de diffusion. Certaines de nos actions relèvent de la diffusion : je pense notamment aux bornes électriques, qui ne sont pas une technologie de rupture.

Deuxième point, les délais de mise en oeuvre à l'ADEME, un temps trop élevés, ont découragé les candidats. L'ADEME a réalisé des efforts remarquables pour effacer ces délais excessifs. Notre coopération est maintenant parfaite. Je l'ai dit, les délais ont été divisés par trois, ceux-ci sont même inférieurs pour les actions orientées vers les start-up.

Nous mettons en oeuvre l'écoconditionnalité pour 50 % de nos actions industrielles, de façon efficace et contrôlable. Bien sûr, certains industriels protestent contre ce qu'ils vivent comme une contrainte supplémentaire. Mais nous tenons bon et cela se passe de façon correcte.

Dans le PIA 2, 50 millions d'euros de crédits ont été décentralisés ; pour le PIA 3, nous proposons de porter les crédits décentralisés à 500 millions d'euros. Cela constitue un changement d'échelle incontestable. Cette décentralisation peut notamment porter sur des investissements dans le domaine énergétique. Remettre en cause le rôle de l'ADEME, dont nous utilisons pleinement l'expertise, serait désolant. Cela ferait prendre du retard et des risques.

La commission Juppé-Rocard a écarté les infrastructures de transport du champ des PIA ; les infrastructures en milieu urbain en ont néanmoins bénéficié pour des montants limités. Monsieur le président Carrez, vous avez souligné le problème du financement des très grandes infrastructures. J'ai la conviction, tirée de la contre-expertise que nous effectuons pour un certain nombre d'entre elles, que ces infrastructures ont souvent une rentabilité socio-économique mais n'ont pas de rentabilité financière, voire une rentabilité négative. Elles impliquent un financement budgétaire. Compte tenu des masses d'investissement nécessaires pour ces grandes infrastructures, ce n'est pas dans le PIA 3 que l'on trouvera le financement.

Dans le secteur de l'aéronautique, nous intervenons par des avances à Airbus qui ne sont pas exactement dans l'esprit du PIA. Nous apportons également notre soutien aux technologies nouvelles. Sur le mécanisme américain un peu dissimulé de subventionnement de fait de l'aviation civile, j'ai une opinion qui n'est pas autorisée.

Quant au contrôle du Parlement, nous nous attachons dans nos comptes rendus et nos documents à présenter une image aussi complète et détaillée que possible. S'il y a un PIA 3, nous serons amenés à l'expliciter de façon très détaillée.

Nous ne pensons pas recourir aux dotations non consommables dans le PIA 3 car les taux d'intérêt actuels nous conduiraient à verser des sommes très faibles. Nous proposons un autre système de dotation décennale en vertu duquel serait versé chaque année pendant dix ans 10 % de la dotation afin d'accompagner des institutions de recherche ou de formation et des universités.

Le fait de ne pas faire entrer certaines dépenses dans le déficit maastrichtien n'est pas une invention du PIA. Les règles de la comptabilité publique définissent le déficit budgétaire d'une certaine façon. Celles de la comptabilité nationale fixent d'autres critères. Nous nous bornons à ouvrir tous les crédits dans le cadre de loi de finances, qui entrent dans le déficit budgétaire, qu'il soit maastrichtien ou non, au sens de la comptabilité publique. Pour ce qui est du traité de Maastricht, nous appliquons les règles de comptabilité nationale. Ceci n'est pas propre aux PIA, c'est une règle commune à tous les investissements publics.

Je ne connais pas encore les conclusions de l'évaluation confiée à M. Maystadt, mais elles seront rendues publiques en mars, avant qu'un PIA 3 ne soit soumis au Parlement. Je les attends avec intérêt et inquiétude tout à la fois.

Nous ne communiquons pas sur les créations d'emplois car notre mission est plus axée sur la croissance potentielle que sur la création d'emplois immédiate.

Quand vous sauvez ou aidez une entreprise en difficulté, l'impact est immédiat et mesurable, il se chiffre souvent en centaines d'emplois. En revanche, l'impact d'un effort de recherche et développement se mesure à l'aune du nombre d'emplois créés à terme et de la compétitivité à moyen terme. Quand nous aidons une start-up, l'impact immédiat sur la création d'emplois est nul. Or, la création d'emplois aux États-Unis, au rythme de 100 000 à 250 000 emplois par mois, repose très largement sur la vitalité de la création d'entreprises dans les domaines innovants, comme le numérique ou la transition énergétique, dans une moindre mesure. Nous considérons que la création d'emplois n'est pas un critère à court terme ; elle le sera à moyen terme, à cinq ou dix ans.

Nous sommes parvenus à un délai de trois mois. Je souhaiterais encore réduire ce délai pour qu'il corresponde au temps entre le dépôt du projet et la contractualisation, et pas seulement l'annonce de l'affectation des crédits. Nous y travaillons. En décembre, le délai était de 2,9 mois, ce qui nous place en très bonne position par rapport aux autres pays du monde.

Le calendrier du PIA 3 ne dépend pas de moi. L'objectif du CGI, qui a engagé une concertation avec les ministères – ils président les comités de pilotage qui précèdent toutes les décisions – est d'être prêt d'ici la fin du mois de mars. Le calendrier dépend de décisions politiques, du Parlement comme du Gouvernement.

L'indépendance des experts est évaluée. Nous vérifions l'absence de conflit d'intérêts ; l'intéressé doit d'ailleurs en attester sur l'honneur. Les porteurs de projets peuvent toujours récuser un expert. Nous n'avons pas de contestation sur ce point.

Nous avons fait de très beaux centres d'apprentissage dont le taux de remplissage est très inférieur à ce que nous voudrions. Ce sujet nous dépasse un peu.

Nous nous efforçons d'améliorer la couverture numérique du territoire aussi rapidement que possible. Le PIA a bénéficié de complément de crédits à cet effet.

Je ne crois pas qu'on puisse parler de baisse du plan Juncker alors qu'il est encore en plein développement. Son potentiel n'a pas encore été entièrement exploité. Nous veillons à accélérer le rythme des demandes de financement.

Les pratiques d'obsolescence programmée qu'on peut déplorer sont de plus en plus sévèrement sanctionnées par les consommateurs. Je le vois dans une industrie que je connais bien : la durabilité devient pour les consommateurs une qualité essentielle des objets.

La réflexion prospective et la planification générale ne relèvent pas de notre compétence. Ils sont plutôt du ressort de France Stratégie avec lequel nous collaborons activement. Je travaille de façon étroite avec Jean Pisani-Ferry, son commissaire général, qui accueille d'ailleurs la commission d'évaluation du PIA.

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