Intervention de Pascal Popelin

Séance en hémicycle du 16 février 2016 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Popelin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’année 2015 a été marquée par plusieurs attentats et attaques terroristes perpétrés sur notre sol, d’une ampleur sans précédent dans l’histoire de notre pays. La réaction des pouvoirs publics, en janvier comme en novembre, a été rapide, forte, et de l’avis de beaucoup, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, à la hauteur des événements.

Dès le soir des attentats du 13 novembre, le Président de la République a décrété l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire national, après avoir réuni le conseil des ministres. Nos forces de sécurité, soutenues par nos armées, ont été immédiatement mobilisées. Je veux ici, de nouveau, saluer leur engagement exemplaire, comme celui de tous les agents des services publics qui ont eu à apporter leur concours aux victimes. Les habitants de notre pays se sont eux-mêmes levés en nombre pour dire leur détermination à faire face.

Par la loi du 20 novembre 2015, le Parlement a renforcé le cadre juridique de l’état d’urgence et autorisé, une première fois, sa prorogation pour trois mois, période qui prend fin le 25 février prochain à minuit. Nous sommes aujourd’hui saisis d’une nouvelle demande de prorogation de l’état d’urgence, pour trois mois supplémentaires.

Il revient au Parlement, et à lui seul, de décider de prolonger cette légalité d’exception. Pour en décider, il nous appartient de vérifier que les conditions légales de mise en oeuvre de l’état d’urgence sont toujours réunies, de calibrer la durée de la prorogation et de fixer l’étendue des mesures dérogatoires. Nous avons aussi le devoir, en toutes circonstances, de demeurer vigilants quant aux conséquences d’une telle décision sur les libertés publiques.

La première question qu’il nous revient de trancher est celle de la permanence de la menace. Elle ne fait malheureusement mystère pour personne. Notre pays demeure bien l’une des cibles privilégiées de la nébuleuse terroriste. Ceux qui ont revendiqué d’avoir frappé la France et qui projettent de le faire de nouveau mènent un combat contre la liberté, contre la démocratie, contre notre modèle de société et contre notre façon de vivre. L’engagement de nos armées sur les théâtres d’opérations syro-irakiens, comme au Sahel, les frappe durement. La présence, hélas, de plus de 600 ressortissants dans les rangs de Daech et d’Aqmi fait aussi de la France le pays d’Europe le plus directement concerné.

Ces groupes terroristes n’ont pas désarmé, depuis les attentats qui ont frappé notre pays en janvier et en novembre 2015. Le 20 novembre, ils ont attaqué un hôtel à Bamako, au Mali, majoritairement fréquenté par des Occidentaux. Le 12 janvier 2016, un attentat suicide perpétré à Istanbul, en Turquie, a causé la mort de dix touristes allemands. Plusieurs attentats ont été déjoués en Belgique et en Allemagne, à la fin de l’année dernière.

Considérant le risque élevé de récidive sur notre sol et m’appuyant sur les informations que M. le ministre de l’intérieur a portées de manière circonstanciée à la connaissance de la commission des lois et qu’il vient de rappeler à l’instant, la condition de péril imminent posée par la loi du 3 avril 1955 pour la mise en oeuvre de l’état d’urgence me semble pleinement remplie. Le Conseil d’État n’a pas dit autre chose lorsqu’il a statué en référé, le 27 janvier 2016, sur la décision implicite de ne pas mettre fin à l’état d’urgence de manière anticipée. Il a réitéré cette appréciation lorsqu’il a été consulté par le Gouvernement, le 2 février dernier, sur l’avant-projet de loi de prorogation.

S’agissant de la durée de la prorogation, il nous est demandé de décider de prolonger cette légalité d’exception jusqu’au 26 mai 2016. Comme toute législation de salut public, l’état d’urgence doit être limité dans le temps et strictement interprété. Il ne peut être que temporaire, selon l’avis du Conseil d’État. En décidant de cette prorogation, nous permettons à l’autorité administrative de continuer à recourir aux mesures temporaires prévues par la loi du 3 avril 1955 durant encore trois mois. Il s’agit principalement des possibilités de perquisitions administratives, d’assignations à résidence, mais aussi, si nécessaire, de fermetures administratives ou d’interdictions de manifester.

Vous avez exposé de nouveau à l’instant, monsieur le ministre, l’efficacité de ces perquisitions pour saisir des armes et, c’est à mon avis capital et parfois perdu de vue, pour collecter du renseignement. Les assignations à résidence ont également contribué à déstabiliser les réseaux terroristes. Même si elles sont naturellement de moins en moins nombreuses depuis le mois de décembre, elles continuent de contribuer à déjouer des tentatives de projets terroristes.

La contrepartie de ces mesures dérogatoires, qui limitent par nature les libertés publiques, c’est l’existence de garanties solides. Pour ce que nous avons à en connaître, il y a bien sûr le contrôle parlementaire. Notre commission des lois avait chargé son président d’alors, Jean-Jacques Urvoas, auquel je souhaite ici rendre hommage, ainsi que notre collègue Jean-Frédéric Poisson d’une mission permanente de suivi des mesures prises au titre de l’état d’urgence. Je salue le souhait du président Dominique Raimbourg de poursuivre personnellement ce travail.

Le Sénat, pour sa part, a créé un comité de suivi de l’état d’urgence. Les commissions des lois des deux chambres se sont dotées pour ce faire des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête.

Grâce aux déplacements et aux auditions auxquels il a été procédé, le contrôle parlementaire nous a permis de mesurer l’usage concret qui a été fait de l’état d’urgence. Ces investigations ont permis de dissiper certaines accusations parfois portées contre les forces de l’ordre et souvent reprises trop hâtivement dans le débat public. Elles ont aussi mis en lumière quelques débordements, corrigés par le ministre de l’intérieur, qui a veillé personnellement à un pilotage rigoureux, sans faiblesse mais sans concession avec le droit, des mesures mises en oeuvre dans notre territoire.

Le Défenseur des droits et ses correspondants locaux jouent aussi un rôle important pour identifier d’éventuelles erreurs. Afin que chacun dispose des bons ordres de grandeur, je rappelle que sur 3 720 perquisitions et assignations ordonnées au début de ce mois, 42 lui avaient été signalées.

Au-delà de ce travail de contrôle nécessaire et consubstantiel du rôle du Parlement, c’est bien sûr le contrôle juridictionnel qui constitue la principale garantie offerte aux habitants de notre pays. Par la loi du 20 novembre dernier, nous l’avons considérablement modernisé – la loi de 1955 confiait l’examen des recours à une commission consultative ad hoc ! – renforcé et adapté aux évolutions de notre droit et aux différentes jurisprudences, dont celles de la Cour européenne des droits de l’homme, en accordant notamment une place importante au juge des référés.

Je précise de nouveau que les mesures prises au titre de l’état d’urgence ont suscité un contentieux limité en nombre. Pour 97 référés-liberté portés devant les tribunaux administratifs et 33 procédures devant le juge des référés du Conseil d’État, 6 injonctions et 12 suspensions ont été prononcées ; 17 référés-suspension en première instance et 1 en appel ont conduit à 3 suspensions totales ou partielles. Enfin, 7 recours au fond ont conduit à une seule annulation, étant entendu naturellement que d’autres décisions demeurent en instance.

Des décisions, en particulier celles du 11 décembre et du 6 janvier, ont permis au Conseil d’État de faire évoluer sa jurisprudence et de l’adapter aux enjeux du contrôle durant l’état d’urgence. Elles ont encouragé les tribunaux administratifs à mettre en oeuvre un « entier contrôle », encore renforcé par la convocation systématique d’audiences et l’utilisation inédite des mesures d’instruction pour compléter l’information des magistrats.

Mardi dernier, le Sénat, saisi en premier du projet de loi, a suivi l’avis de sa commission des lois et voté à une très large majorité la prorogation pour trois mois de l’état d’urgence. Il n’a opéré qu’une modification purement rédactionnelle du projet de loi initial du Gouvernement.

Jeudi, notre commission des lois a confirmé cette appréciation en adoptant sans modification, à l’unanimité des votants, la version du texte issue des travaux des sénateurs, comme eux-mêmes l’avaient fait en novembre pour celle issue de notre assemblée, lors de la première demande de prorogation.

Compte tenu de tout ce qui vient d’être exposé et afin de permettre la continuité de l’état d’urgence pour une nouvelle période de trois mois à compter du 26 février prochain, je vous invite, mes chers collègues, à faire de même que le Sénat et votre commission des lois, en votant conforme ce projet de loi.

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