Intervention de Noël Mamère

Séance en hémicycle du 16 février 2016 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Bien que les mesures autorisées par l’état d’urgence ne visent certes pas explicitement un groupe, nous voyons bien, disais-je, qui elles visent en priorité. Pas étonnant par conséquent que se développent un sentiment d’injustice et une vraie défiance envers les pouvoirs publics. De fait, la grande majorité des personnes ayant fait l’objet de perquisitions et d’assignation à résidence sont musulmanes ou d’origine maghrébine. Toutes les mesures que Human Rights Watch a documentées visaient des musulmans, des établissements musulmans ou des restaurants halal. Un grand nombre de ces personnes ont déclaré avoir été prises pour cible en raison de leur religion.

Les effets des assignations à résidence sont catastrophiques puisque les personnes perdent leurs moyens de subsistance, leur réputation... enfin tout, comme par exemple Kamel, assigné à résidence dans une ville de la banlieue de Paris le 26 novembre, accusé d’être « fortement impliqué dans la mouvance islamiste radicale » sur de simples notes blanches, non signées et non datées, alors qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’on lui reprochait. Il a confié qu’il n’avait pas déposé de recours contre l’assignation à résidence parce qu’il n’avait pas confiance dans la justice. Il a ajouté qu’il n’avait déjà pas confiance avant, et maintenant encore moins !

Ces pratiques discriminatoires marginalisent les musulmans français et rendent plus difficile la coopération entre les communautés musulmanes et les efforts de mise en oeuvre de la loi qui pourraient aider à identifier les menaces terroristes locales basées sur l’islam radical.

Elles sont aussi détestables pour l’image de la France à l’étranger. Nils Muižnieks, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, n’a-t-il pas exprimé récemment des inquiétudes relatives à un possible profilage ethnique ? L’état d’urgence a été, est et sera dangereux pour la démocratie, car on sait quand on y entre, mais jamais quand on en sort.

Le 22 janvier 2016, le Premier ministre a déclaré : « Nous ne pouvons pas vivre tout le temps avec l’état d’urgence, mais tant que la menace est là, nous devons utiliser tous les moyens […] jusqu’à ce qu’on puisse, évidemment, en finir avec Daech ». Si je comprends bien, il faudrait prolonger l’état d’urgence jusqu’à la disparition finale de l’État islamique, alors que celui-ci se répand aux quatre coins de la planète en organisant une guerre asymétrique. Cela veut dire que l’état d’urgence devient une règle générale pour tout l’Occident et pour un temps indéterminé.

Une telle approche politique porte un nom, chers collègues, c’est l’état de mobilisation et de militarisation permanent. Voilà le choix de société qui nous est proposé. Devons-nous l’accepter sans nous interroger sur ce qu’il signifie comme rupture avec les fondements même de la République ? Quid de la séparation des pouvoirs, avec la primauté quasi définitive de l’exécutif non seulement sur le législatif – avérée depuis 1958 – mais encore sur l’ordre judiciaire, le tout dans un agenda et une mise en scène organisés par un pouvoir non défini, celui des médias et de l’audimat ?

Ces médias, loin d’être impersonnels, sont bien identifiés. Ils ont pour nom Dassault, Bolloré, Drahi ou Bouygues. Des marchands de canons, des managers de la Françafrique, des magnats du BTP et des télécoms…

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