Intervention de Philippe Louis

Réunion du 4 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Philippe Louis, président confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens, CFTC :

J'ai souvent employé le mot « salariés », mais à tort : j'aurais dû parler de « travailleurs ». L'enjeu, c'est le statut du travailleur, on le voit aussi à travers le CPA (compte personnel d'activité). Dès lors que tous les travailleurs bénéficient d'un socle commun de droits, le terme de « travailleurs » peut recouvrir différentes formes d'activités. Nous avons tort de vouloir tout catégoriser.

En France, il n'y a que quatre activités possibles : vous pouvez être fonctionnaire, salarié, indépendant ou demandeur d'emploi. Aujourd'hui, vient s'ajouter une cinquième catégorie qui n'entre dans aucune case. Il y a deux solutions : créer une cinquième case, qu'on ne sait pas comment traiter, ou supprimer toutes les cases, c'est-à-dire qu'on en reste au travailleur, ce qui est l'esprit du CPA. On donne alors les mêmes droits à tout le monde en matière de formation, de droit social, de chômage, et l'on passe d'une catégorie à l'autre sans se poser de questions. Je pense que c'est ce à quoi aspirent les Français.

Aujourd'hui, nous laissons passer des opportunités. Il y a des fonctionnaires qui rêvent de créer leur entreprise, mais qui n'osent pas passer le cap, craignant de remettre en cause leur carrière. Comment rendre légitime ce changement de cap, sans que cela n'obère une carrière ?

C'est à cela que nous réfléchissons : au moyen de mettre tous les travailleurs au même niveau afin qu'ils puissent passer d'une catégorie à une autre sans être obligés de recalculer leurs droits à la retraite, en fonction des quatre ou cinq régimes dont ils peuvent dépendre.

Aux volets formation et compte pénibilité, on a ajouté dans le CPA un portail des droits sociaux, qui permettra à chacun de voir où il en est en matière de retraite et de savoir quelle incidence un changement de situation professionnelle peut avoir. Dès lors que le dispositif sera mis en place, on ne se posera plus vraiment la question de savoir dans quelle catégorie on est : nous serons tous des travailleurs, nous devrons tous travailler quarante-trois ans et nous aurons tous une activité à mener, sous un statut ou sous un autre. La question du statut aura dès lors peu d'importance.

C'est le fait de vouloir rester dans une catégorie qui pose problème. Nous ne souhaitons pas créer un contrat de travail a minima : j'ai parlé d'un socle, avec la possibilité de fixer, en cas de contrainte, des minima et, en l'absence de contraintes, de donner plus de liberté, ce qui oblige à enlever une partie du socle du contrat de travail actuel et, du coup, à redéfinir le lien de subordination ou de dépendance à l'employeur concernant le volume de travail, ainsi que d'autres critères. Le système doit permettre cette adaptation suivant l'activité qu'on mène, mais toujours, j'y insiste, en tant que travailleur. Nous ne devrions avoir qu'une sorte de travailleurs et les droits devraient être les mêmes pour tous en matière de sécurité sociale et de formation. Ensuite, chacun serait libre de choisir la protection, plus ou moins contraignante, qu'il souhaite.

Le monde change tellement que nous devons, nous aussi, organisations syndicales, abandonner nos clichés et nous adapter. Vouloir donner les mêmes droits aux personnes qui passent par les plateformes collaboratives sera plus un frein pour eux qu'une protection. Sachons admettre que la liberté consiste aussi à laisser les gens libres de leur choix. Aujourd'hui, ceux qui passent par une plateforme sont plus ou moins contraints de le faire, parce qu'ils sont demandeurs d'emploi et qu'ils n'ont pas le choix. Mais beaucoup de jeunes, et de moins jeunes, qui ont besoin de cette autonomie, se retrouvent salariés, alors qu'ils ne demanderaient pas mieux que de passer dans une autre catégorie. Pourquoi ne pas faire le pari que le problème pourrait se résoudre de cette façon ?

Ceux qui se sentent trop vulnérables aimeraient être salariés et certains de ceux qui occupent un poste salarié se sentent étriqués dans ce statut… Combien de jeunes rêvent de créer leur start-up, mais ne le font pas parce qu'ils ont un CDI, autrement dit, qu'ils sont dans la norme, ne serait-ce que pour contracter un emprunt ? Les gens ne sont pas dans les catégories qui leur correspondent et, du coup, chacun se sent frustré.

Il faut créer un système permettant à ceux qui ont envie d'entreprendre de le faire, de se prendre en main, et à ceux qui se sentent plus vulnérables d'être salariés, avec un système permettant de conserver ses droits quand on quitte une entreprise, un système donnant plus de droits pour se former et rebondir.

Aujourd'hui, si vous voulez créer une entreprise, la meilleure méthode consiste à aller voir votre patron pour conclure une rupture conventionnelle du contrat de travail, à vous inscrire à Pôle emploi et à demander l'Aide à la reprise ou à la création d'entreprise (ARCE) afin d'obtenir 20 000 ou 30 000 euros pour financer votre entreprise. Mais s'il vous arrive quelque chose, comme vous avez utilisé vos droits pour financer votre entreprise, tant pis pour vous…

Ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder. Si l'on veut favoriser la création d'entreprise, il faut, certes, des aides de l'État, mais les allocations-chômage doivent pouvoir ensuite, en cas de problème, vous aider à rebondir.

Notre objectif est qu'il n'y ait plus d'interruption dans un parcours professionnel, comme c'est le cas aujourd'hui. Nous avons mis au point un système de chômage formidable en période de plein-emploi : avec 5 ou 6 % de chômeurs, on peut faire ce qu'on veut. On peut, par exemple, introduire de la dégressivité dans les allocations parce qu'on peut donner un « boulot » à chaque demandeur d'emploi. Le seul problème qui puisse se poser, c'est que le demandeur d'emploi ne veuille pas accepter ce « boulot ».

Mais aujourd'hui, nous avons 10 % de demandeurs d'emploi et 24 millions de salariés. Sur ces 24 millions, 12 millions ne connaîtront jamais le chômage parce qu'ils sont fonctionnaires ou salariés dans de grandes entreprises. Sur les 12 millions restants, 6 millions travaillent dans des entreprises où, même si ce ne sont pas de grandes entreprises, les CDI sont relativement solides. Ce sont des PME qui marchent bien et qui investissent. Si ces salariés connaissent un jour le chômage, ils retrouveront facilement du travail au bout de six mois, un an maximum, parce qu'ils auront été formés tout au long de leur carrière.

Restent 6 millions de personnes pour lesquelles il n'existe plus d'emplois, et qui se retrouvent à supporter les 10 % de chômage que nous connaissons aujourd'hui, ou les 5 % en période de plein-emploi. Quel espoir peut-on donner à ces gens-là ? Si l'on part du principe que l'on doit travailler quarante-trois ans, qu'il y a 10 % de chômeurs et 24 millions de salariés, cela veut dire que, sur une carrière de quarante-trois ans, chacun va passer 10 % de son temps au chômage, soit quatre ans. Quatre ans, cela pourrait être une période permettant de se former, garder ses enfants ou travailler pour une association, mais il faudrait que ce soit réparti sur les 24 millions de salariés. Or ce n'est pas le cas puisque 12 millions d'entre eux ne seront jamais au chômage – ce qui veut dire qu'il ne s'agit plus pour ces 6 millions de personnes de passer 10 %, mais 20 % de son temps au chômage, soit huit années. Mais en fait, ce sont les 6 millions les plus défavorisés, c'est-à-dire les « mal formés », les « mal accompagnés », qui supportent à eux seuls le volume correspondant à un taux global de 10 % du chômage, soit pratiquement douze années de leur carrière. Douze ans sur quarante-trois ! Je vous laisse imaginer la perspective pour ces 6 millions de personnes… Cela n'est plus admissible.

Dans le même temps, Pôle emploi connaît seulement 20 % des postes à pourvoir sur le marché du travail : le reste est aux mains des entreprises ou sur le marché parallèle. Il y a, en outre, de la surenchère patronale sur la qualité de l'embauche : pour un emploi requérant un niveau bac, on embauche souvent un bac + 5 : avec lui, on perdra moins de temps à le former… Alors le « niveau bac » se rabat sur les emplois de niveau BEP. Or ce sont ces emplois de niveau BEP qui devaient bénéficier aux 6 millions de personnes dont je viens de parler. Du coup, on ne sait plus que leur proposer… Qui plus est, ces bacs + 5 ont des emplois dans lesquels ils ne s'accomplissent pas parce qu'ils ne correspondent pas à leur niveau d'études. Donnons-leur la possibilité de retrouver le type de travail qui leur revient ! Faisons « monter » tout le monde ! Cela permettra de libérer tous ces emplois, comme ceux de caissière qui sont souvent occupés par des bac + 2, alors que nombre de demandeurs d'emploi pourraient y prétendre, sans grand besoin de formation.

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