Intervention de Arthur De Grave

Réunion du 4 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Arthur De Grave :

En fait, l'économie collaborative, en tant que secteur, n'existe pas. Cela a été durant très longtemps un concept un peu « fourre-tout », qui nous a permis de mettre « dans le même bain », des Uber et des mouvements sociaux comme Occupy. Le fait qu'il s'agissait toujours d'organisations en réseau, assez éclatées, distribuées, donnait l'impression qu'il y avait un rapport, une espèce d'affinité profonde entre Occupy et Uber, même si ce rapprochement est en réalité assez héroïque.

Aujourd'hui, je pense que ce concept d'économie collaborative est travaillé par des tensions, il est en miettes. En fait, ce n'est pas un secteur, c'est juste une façon différente d'organiser le travail. En regardant les choses avec un peu de cynisme, on pourrait le définir comme un mode de production de valeur qui ne passe pas par l'organisation du travail salariée ; ce qui peut être bien ou mal.

Ce qui m'intéresse, quand j'envisage ce phénomène, c'est de segmenter un peu ces nouvelles formes de travail. Comment se structure le travail – je ne sais comment le qualifier – post-salarial, méta-salarial – à côté du travail salarial ? Il y a différents étages sur cette fusée, qui méritent d'être décryptés et qui n'auront pas forcément les mêmes impacts sociaux anticipables.

Je pense en premier lieu à toute la théorie du digital labor, relativement récente, formulée par des chercheurs plutôt proches de la gauche américaine, qui essaient de repenser l'exploitation à l'âge du numérique dans des termes très marxistes. Le digital labor, c'est vous, c'est moi, lorsque nous sommes actifs sur Facebook ou Instagram. En gros, nous travaillons, nous créons de la valeur pour la plateforme ; quand nous faisons une recherche sur Google, nous alimentons les uns et les autres des algorithmes, des machines. Ces formes de travail qu'on ne vit pas comme telles sont un petit peu le premier niveau. Nous sommes tous des prolétaires du numérique, ou en passe de le devenir…

Vient ensuite, dans le prolongement, le phénomène de « freelancisation » de l'économie. Il peut susciter des débats infinis, mais il est bien réel : selon certaines études, les États-Unis compteraient 54 millions de travailleurs indépendants, selon d'autres, ils représenteraient le tiers de la main-d'oeuvre. Des études affirment qu'à l'horizon 2020, 47 % de la main-d'oeuvre seront free-lance aux États-Unis. Nous n'en sommes pas là en France, des interlocuteurs plus qualifiés pourront vous donner des chiffres ; reste que 85 % des créations d'emploi chez les jeunes sont des CDD (contrats à durée déterminée). Cela ne veut pas dire que nous sommes dans le post-salariat, mais qu'est-ce qu'un salariat aussi court-termiste ?

Deux appréciations sont possibles. Des économistes classiques soutiendront que le phénomène n'est que conjoncturel : quand la croissance reviendra, l'emploi redeviendra salarié comme il l'était auparavant. Ce n'est pas forcément mon avis. Je pense qu'il y a des raisons structurelles : le travail et l'organisation de la production évoluent dans le sens sinon d'une destruction, en tout cas d'un détricotage progressif du salariat. Ensuite, on peut juger que c'est bien ou que c'est mal, y voir une précarisation généralisée ou quelque chose de plus émancipateur, mais cela dépend notamment de la réinvention de la protection sociale, de la réinvention de filets de sécurité. Certains éléments de la protection sociale doivent être décorrélés du statut de salarié.

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