Intervention de Arthur De Grave

Réunion du 4 février 2016 à 9h00
Mission d'information relative au paritarisme

Arthur De Grave :

Faut-il prendre ce phénomène de mutation du travail au sérieux ? Je pense que oui. Nous n'avons pas encore évoqué l'automatisation, qui est à l'arrière-plan. Autrefois, c'étaient les cols bleus qui étaient mis sur la paille par l'automatisation ; aujourd'hui, via tout un ensemble de services, via le machine learning, via les algorithmes, ce sont les emplois des classes moyennes, des cols blancs, qui sont en train d'être détruits à vitesse grand V, et il n'y a pas de réserves d'emplois qualifiés dans le tertiaire. On voit de plus de plus en plus de gamins à vélo, qui livrent des burgers dans Paris : j'ai l'impression que c'est le principal gisement d'emplois dans la capitale en ce moment… Croire que l'emploi est protégé dans le tertiaire me semble totalement illusoire.

Cette « freelancisation » du travail a aussi des raisons structurelles. Qu'est-ce qu'une entreprise ? En gros, sa taille résulte directement d'un arbitrage entre les coûts de transaction internes et les coûts de transaction externes. À une époque lointaine, les contremaîtres négociaient tous les jours la paie avec les ouvriers. C'étaient des coûts de transaction trop élevés, cela s'est arrêté avec l'entreprise fordienne. En fait, l'entreprise elle-même n'est pas un marché : en interne, elle en est tout le contraire, c'est une organisation de la production dont le fonctionnement ne repose pas sur le jeu quotidien de l'offre et de la demande.

Le problème, c'est qu'à mesure que les coûts de transaction externes baissent, grâce aux révolutions des technologies de l'information, le périmètre de l'entreprise elle-même évolue. Les entreprises plateformes n'ont pas besoin de beaucoup de personnels – ils sont peut-être 400 chez BlaBlaCar, pour 25 millions d'utilisateurs et 2 millions de personnes transportées par mois. Et ce ne sont pas des salariés qui réalisent ces prestations de transport : le coût de transaction externe a suffisamment baissé pour que l'arbitrage se fasse en faveur des non-salariés. Je ne pense pas que l'on puisse revenir sur cette évolution ; c'est quelque chose de plus profond qu'un problème de partage de la valeur entre le capital et le travail.

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