Intervention de Thierry Mandon

Séance en hémicycle du 17 février 2016 à 15h00
Débat de contrôle sur la politique nationale en matière d'enseignement supérieur

Thierry Mandon, secrétaire d’état chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, à mon tour, à la suite de Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, je souhaiterais vous faire part du plaisir que ce débat me procure, et je tiens à remercier ceux qui ont proposé qu’il se tienne ; il était prévu par la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, il a enfin lieu aujourd’hui.

Je veux féliciter et remercier celles et ceux qui ont élaboré la StraNES, un travail collectif d’une très grande ampleur pour lequel se sont associés des étudiants, des enseignants-chercheurs, des présidents d’université, des partenaires sociaux, des représentants des écoles, afin de proposer une stratégie de long terme pour notre enseignement supérieur.

Je me réjouis en outre qu’un tel débat se tienne ici, dans cette assemblée, sous la tapisserie reproduisant l’École d’Athènes, la fresque de Raphaël qui illustre à elle seule les valeurs de l’université que la StraNES prétend nourrir, revitaliser, celles d’une université ouverte sur le monde. Cette représentation réunit des visions différentes, à l’image de celles qu’ont exposées les orateurs des divers bancs de l’hémicycle qui se sont exprimés voilà quelques instants : la vision parfois pessimiste incarnée par Héraclite, que vous reconnaîtrez facilement, isolé, seul et sombre, et la vision de ceux qui croient dans les vertus du rationalisme, de l’empirisme, du progrès, toutes valeurs portées par l’université, et figurées principalement sous les traits d’Aristote et de Platon.

Ce défi que pose la StraNES et auquel nous avons décidé de répondre à l’instigation du Président de la République, qui a demandé que cette stratégie constitue la feuille de route du Gouvernement pour le quinquennat et au-delà, est un défi formidable. Sandrine Doucet rappelait à juste titre que, avant même le lancement de la StraNES, le Gouvernement avait posé des jalons pour une démocratisation exigeante de notre enseignement supérieur et de notre système de recherche. Les avancées accomplies grâce aux assises de l’enseignement supérieur et de la recherche en 2012, puis à la loi Fioraso en 2013 constituent le socle sur lequel nous pouvons bâtir d’autres actions et relever de nouveaux défis : une meilleure orientation des étudiants, la modernisation de la gouvernance des universités, la structuration du paysage de l’enseignement supérieur au travers des regroupements d’établissements, qui sont essentiels tant pour maintenir une très grande diversité sur le territoire que pour améliorer l’efficacité collective de notre système d’enseignement supérieur.

Aujourd’hui, très concrètement, la StraNES nous adresse deux défis formidables : celui de l’innovation, et celui d’une interrogation en profondeur de notre vision de l’État, de son rôle et de la modernisation de ses outils. C’est sur ces deux points que je concentrerai mon propos.

Parce qu’elles sont des lieux de liberté de pensée, parce qu’elles sont des lieux où l’on fertilise l’esprit critique, les universités sont par nature des lieux ouverts à l’innovation.

Aujourd’hui, plusieurs facteurs contraignent les établissements d’enseignement supérieur à innover : les innovations technologiques, avec la généralisation du numérique, qui en est à ses débuts mais qui montera en puissance très rapidement dans les années à venir ; les innovations pédagogiques, avec les nouveaux modes d’apprentissage que permettent de déployer les technologies et les avancées de la recherche en sciences cognitives ; les innovations organisationnelles, avec le mouvement de structuration de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour remplir les objectifs fixés par la StraNES, démocratiser et mener les étudiants à la réussite, nous devons consacrer de nouvelles énergies à ces innovations.

Il s’agit d’abord de mettre la révolution numérique au service de formations de qualité pour tous, au service, surtout, de l’égalité des chances.

Les étudiants d’aujourd’hui n’apprennent déjà plus comme ceux d’il y a vingt ou quarante ans. Les besoins des étudiants changent, leurs usages aussi. Il suffit d’aller dans une université pour s’en rendre compte. Face à un parterre d’étudiants tous connectés – les amphithéâtres sont remplis d’étudiants qui disposent d’un ordinateur personnel –, le rôle des enseignants, la conception des formations ne peuvent qu’évoluer, et doivent évoluer. Il serait vain d’opposer ces nouveaux usages aux anciens. Il faut au contraire conjuguer la tradition et les nécessités induites par la modernité, mesurer les opportunités que cette nouvelle donne crée.

Nous engageons aujourd’hui un travail systématique et méthodique sur plusieurs opportunités. D’abord, la possibilité de personnaliser davantage les formations et de flexibiliser les parcours est essentielle. La démocratisation s’accompagne en effet de l’hétérogénéisation des publics, ce qui rend nécessaire de personnaliser davantage les enseignements. Face à des étudiants plus nombreux et dont les parcours sont de plus en plus différents, la meilleure prise en compte des besoins de chaque étudiant est un élément essentiel de la réussite de chacun et de celle de notre système d’enseignement supérieur.

Les nouvelles opportunités numériques rendent également possible le développement de formations hybrides associant formation à distance et formation en présentiel, y compris pour les diplômes nationaux. C’est un enjeu essentiel pour la mobilité sociale ; je pense ici en particulier aux étudiants qui travaillent ou à ceux qui, ayant déjà effectué un début de carrière professionnelle, souhaiteraient reprendre leurs études.

Le numérique, c’est encore la facilitation de nouveaux modes de travail plus collaboratifs, en réseau, qui rapprochent et associent les différents types d’acteurs et favorisent l’innovation et l’entrepreneuriat. Nous allons lancer dans les prochains mois, notamment au travers du programme d’investissements d’avenir, une mobilisation d’une puissance sans précédent pour développer ces potentialités offertes par le numérique, qui peuvent nous aider à remplir un certain nombre d’objectifs fixés par la StraNES.

Autre innovation, l’innovation pédagogique ne se réduit pas à la seule dimension numérique. Nous mobilisons désormais pleinement la recherche sur la pédagogie. Nous le faisons au travers du premier institut Carnot de l’éducation, actuellement en expérimentation en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous le faisons également au travers des ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, dont l’activité vient de démarrer mais qui monteront en régime dans les années qui viennent. Ces lieux de formation des enseignants devront à terme marier beaucoup plus qu’aujourd’hui la formation et les avancées en matière de recherche pédagogique.

Nous le faisons aussi au travers d’initiatives visant à mieux diffuser les résultats de la recherche, telles que les premières journées nationales de l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur organisées les 31 mars et 1er avril 2016 prochains. À cet égard, je tiens à remercier l’administration d’avoir pleinement saisi la nécessité de valoriser ces innovations pédagogiques, d’y travailler et de les scénariser. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons créé un prix de l’innovation pédagogique du supérieur, autre moyen pour parvenir à cette fin.

L’innovation ne concerne pas uniquement le numérique et la pédagogie ; elle doit également toucher la structuration de nos établissements d’enseignement supérieur et leurs relations avec les organismes de recherche. Cela a été évoqué voilà quelques instants au cours des interventions des orateurs inscrits, ces dernières années ont été marquées par des transformations d’une grande ampleur, qui ont demandé beaucoup d’énergie aux équipes des universités, des écoles et des organismes. Ces rapprochements, ces nouvelles façons de travailler ensemble sont un des grands atouts pour réussir demain les défis que nous pose la StraNES.

La mutualisation est en effet une évidence : parce que le doctorat a été mutualisé par les universités dans le cadre des COMUE, les communautés d’universités et d’établissements, de plus en plus d’étudiants des écoles poursuivent leurs études jusqu’au doctorat. Émeric Bréhier avait raison de nous interpeller sur la nécessité de faire plus encore pour aider ces docteurs à trouver un emploi, soit dans la recherche – c’est toute la question de l’emploi scientifique –, soit, s’ils le souhaitent, dans les entreprises. Simultanément, on peut observer que les passerelles entre universités et écoles n’ont jamais été aussi nombreuses : la faille séculaire dans notre système d’enseignement supérieur entre les universités d’un côté et les grandes écoles de l’autre est en train d’être comblée. La fusion de grandes écoles avec des universités est même en projet. C’est une révolution silencieuse qui se produit sous nos yeux ; il faut le souligner, il faut s’en satisfaire et l’encourager. Enfin, les organismes de recherche sont devenus désormais inséparables de l’activité des laboratoires qui fonctionnent au sein des universités.

J’ai évoqué l’innovation numérique, l’innovation pédagogique et l’innovation organisationnelle. Je tiens à présent à dire un mot tout particulier sur les acteurs du système : les présidents d’université, les personnels BIATSS – bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé –, les enseignants-chercheurs, les étudiants qui s’investissent et sans lesquels la puissance des transformations de ces dernières années n’aurait pas pu s’exprimer.

J’en viens au deuxième point de mon propos : à côté des innovations, le changement de paradigme nous oblige à repenser le rôle de l’État.

Nos actions s’inscrivent dans une vision de l’enseignement supérieur où l’État stratège et les établissements, désormais autonomes – il faudra consolider cette autonomie sur un certain nombre de points –, agissent main dans la main. Nous ne pouvons donc plus piloter l’État et notre administration de manière pyramidale en envoyant moult directives, circulaires, consignes qui brident l’action d’acteurs autonomes. Il faut au contraire faire confiance à ces acteurs, leur permettre de développer leurs initiatives tout en les contrôlant a posteriori, bien sûr. Tenir le pari de la confiance nécessite de définir des objectifs très précis qui permettent à ces acteurs de s’inscrire dans le cadre d’une politique qui demeure et doit demeurer une politique nationale.

La ministre et moi-même avons décidé d’engager un chantier absolument majeur en ce sens : la réforme, la modernisation de l’administration du ministère, qui s’appuie sur une réflexion sur l’évolution de ses missions et de ses outils d’intervention. Cette réflexion est collective et pilotée par la DGESIP, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, que je remercie très chaleureusement. Elle montre que nous devons bâtir une administration capable de piloter un système d’acteurs autonomes, une administration qui s’appuie beaucoup plus qu’auparavant sur la collecte et le traitement des données, sur les ressources que constituent les données, sur le pilotage par objectif, sur la contractualisation, et qui place au coeur de ses procédures la « débureaucratisation » et la simplification.

Le travail que nous faisons sur l’expérimentation est un autre aspect de cette vision nouvelle du rôle de l’État. Mme la ministre évoquait tout à l’heure le soutien que nous avons apporté à douze universités pour montrer qu’il est possible de faire rapidement des progrès considérables en matière de formation professionnelle et de ressources, et d’intensifier ainsi les relations entre les universités et les entreprises.

Les expérimentations se développent dans de très nombreux champs : les horaires d’ouverture des bibliothèques universitaires, l’évaluation en continu, les interfaces à bâtir entre l’université et l’entreprise, l’immobilier universitaire. Il y a certes des retards en matière d’immobilier, et un important effort budgétaire doit encore être fourni, mais nous travaillons à un nouveau modèle d’évolution du patrimoine de nos universités qui nous permettra de répondre à ces défis.

Faire évoluer le rôle de l’État, c’est également se préoccuper davantage des conditions de vie des personnes au quotidien. C’est la raison d’être du chantier de la simplification que nous avons lancé et qui fait l’objet d’une grande consultation nationale. C’est également la visée du plan national de vie étudiante, qui se traduit par des actions très concrètes en matière de bourses, de lieux de vie étudiante, de santé des étudiants, d’encouragement à l’entrepreneuriat, qui sont autant de chantiers extrêmement importants.

En écoutant certaines interventions tout à l’heure, j’ai estimé que justice n’était pas rendue aux acteurs du système de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il y a, bien sûr, des difficultés, notamment budgétaires, et Mme Buffet avait raison de les évoquer. Il est très probable que quand la nation décide d’augmenter de plus de dix points son taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur, elle s’apprête à donner plus de moyens à son système d’enseignement supérieur. On ne peut pas se fixer l’objectif de 60 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur sur une période de dix ans en laissant le budget inchangé. Je réaffirme que des efforts financiers supplémentaires de l’État sont nécessaires ; d’ailleurs, le Président de la République nous avait demandé de travailler à la déclinaison budgétaire des objectifs de la StraNES, ce que nous en sommes en train de faire.

Il faudra fournir des efforts complémentaires et développer de ressources propres, mais le mouvement de transformation de l’enseignement supérieur, porté par des acteurs autonomes et par des équipes très diverses, qui ne se réduisent pas à une poignée de présidents d’université éclairés, mais qui concerne toute une collectivité, engagée dans un effort sur elle-même pour s’adapter, doit être souligné, doit être valorisé. C’est aussi ce travail-là que Mme la ministre et moi-même avons voulu souligner au travers de ce débat.

2 commentaires :

Le 18/02/2016 à 10:22, laïc a dit :

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"Face à un parterre d’étudiants tous connectés – les amphithéâtres sont remplis d’étudiants qui disposent d’un ordinateur personnel –, le rôle des enseignants, la conception des formations ne peuvent qu’évoluer, et doivent évoluer."

Les étudiants changent, mais les professeurs restent pareils : imbus de leur position sociale, imbus de leur discours stéréotypé et conservateur, incapables de se remettre en cause et de dialoguer sereinement avec les étudiants. Où est le progrès ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 18/02/2016 à 11:01, laïc a dit :

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"Parce qu’elles sont des lieux de liberté de pensée, parce qu’elles sont des lieux où l’on fertilise l’esprit critique, les universités sont par nature des lieux ouverts à l’innovation."

C'est tout à fait faux : il n'y a pas de liberté de pensée dans les facs, il n'y a pas non plus son complément l'esprit critique. La critique, c'est la critique du professeur, et les professeurs détestent être critiqués, c'est une atteinte à leur prestige et à leur domination, une remise en cause de leur justification sociale, et donc de leur statut social, dont dépend leur salaire et leur intégration économique à la société.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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