Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 16 février 2016 à 16h15
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Je vous remercie de m'avoir invitée devant votre mission d'information commune dont je salue le travail de suivi de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

Ce format est relativement inédit. Il montre combien le Gouvernement a eu à coeur de tenir l'engagement pris devant vous : assurer une mise en oeuvre rapide de la loi que vous avez adoptée l'été dernier, et vous rendre compte régulièrement de l'état d'avancement de ce travail. Cette démarche me semble éminemment souhaitable car nous partageons le constat selon lequel notre pays pèche trop souvent en matière d'application des normes qu'il édicte.

Les équipes de mon ministère ont été pleinement mobilisées pour mener à bien ce travail rapidement, et prendre, dans des délais très brefs, les textes d'application de la loi du 6 août dernier. J'avoue que cela s'est parfois fait au détriment de la sortie des textes d'application d'une autre loi publiée quelques jours après le 6 août : celle du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, qu'avait portée mon prédécesseur, François Rebsamen. Nous accélérons actuellement la parution des décrets relatifs à ce texte.

Mais, l'essentiel, c'est que nous avancions.

Je souhaite dresser un rapide bilan de la situation, vue depuis mon ministère, s'agissant de trois sujets : le travail du dimanche, la réforme des prud'hommes, et le détachement.

La réforme du travail du dimanche a fait et continue de faire couler beaucoup d'encre. Nous l'avons rendue possible, tout en prévoyant des garanties importantes pour les salariés et de vrais progrès sociaux. Un savant équilibre a été trouvé par le Gouvernement et le Parlement. Nous partageons tous une conviction : une société dans laquelle le travail du dimanche serait banalisé n'est pas notre horizon. Pour autant, des évolutions ont été souhaitées. Elles ont été votées, et elles ont été assorties de garanties importantes en matière de respect du dialogue social – il n'y a pas d'ouverture possible le dimanche sans accord collectif –, de volontariat des salariés, et de contreparties. Ces dernières sont obligatoires partout où l'ouverture le dimanche est rendue possible. Il s'agit d'un progrès social qui n'a pas été assez souligné : des salariés qui, avant la loi, travaillaient le dimanche sans aucune contrepartie en bénéficient désormais.

Concernant la mise en oeuvre du dispositif, je crois que nous pouvons nous réjouir de la délimitation très rapide des zones touristiques internationales (ZTI) – un décret date du 24 septembre, et dix-neuf arrêtés ont été pris en deux salves, en septembre dernier puis au début de ce mois –, et des gares où les magasins pourront ouvrir le dimanche. Au total, douze zones touristiques internationales ont été créées, dont dix à Paris.

Dans ce processus, j'ai été attentive à ce que l'ensemble des parties prenantes soient consultées : les partenaires sociaux, les élus et les représentants des commerçants. Ce dialogue est indispensable à mes yeux. Il doit se poursuivre pour accompagner la réforme. C'est pourquoi j'ai plaidé pour la mise en place d'un observatoire du travail dominical à Paris. Il évaluera notamment les effets de la réforme en termes de création d'emplois, et sur le commerce de proximité.

Il est vrai que certains arrêtés font l'objet de contentieux et que certaines négociations peinent à aboutir – nous avons tous des exemples récents en tête, à commencer par ceux de grands magasins. Je souhaite cependant répondre à certains doutes.

Je rappelle que de nombreux accords ont été conclus. Je pense aux cas de grandes enseignes comme Nature et Découvertes, Etam, Muji. Ces exemples montrent que la philosophie de la loi était la bonne et que des accords favorables aux salariés peuvent être trouvés.

Dans d'autres cas, les négociations sont plus difficiles, c'est indéniable. Mais, d'une part, accepter le dialogue social, c'est aussi accepter qu'il ne se termine pas toujours par un accord. D'autre part, les négociations en question sont encore en cours, et je reste confiante dans leurs chances d'aboutir.

Par ailleurs, la loi que je présenterai devant vous dans quelques semaines aura aussi un impact positif sur la dynamique de négociations dans ce domaine comme dans d'autres. Elle comportera en effet tout un volet de dynamisation de la négociation. Elle prévoira, si un accord n'a pas été signé par les organisations syndicales majoritaires, la possibilité pour les organisations syndicales signataires d'un accord, représentant 30 % des salariés, de recourir à une consultation des salariés pour approuver ou non l'accord. C'est quelque chose de très novateur, et beaucoup de voix ont réagi positivement à cette proposition, y compris du côté syndical, car elle pourrait permettre de surmonter des blocages sans contourner ni déposséder les organisations syndicales, puisque ce sont elles et elles seules qui décideront de la consultation des salariés.

La réforme des prud'hommes constitue un élément important dans la réforme de fond du marché du travail. Le ministère du travail a mené la réforme qui a fait passer de l'élection à la désignation des juges prud'homaux à partir de 2017. L'ordonnance précisant les modalités de cette désignation est prête ; elle sera publiée très prochainement.

Cet été, vous avez réformé en profondeur la procédure devant les conseils de prud'hommes, notamment en matière de délais. Le fonctionnement actuel des conseils des prud'hommes n'était tout simplement plus acceptable. Le décret sur la procédure, qui relève du ministère de la justice, est en cours d'examen au Conseil d'État. Il sera publié prochainement. Celui qui réforme le statut du défenseur syndical sera pris au printemps.

La loi a aussi renforcé la formation des juges, en instaurant un tronc commun de formation initiale obligatoire pour les conseillers salariés comme employeurs. C'est une profonde évolution culturelle qui entrera en vigueur lors du prochain renouvellement des conseils de prud'hommes. Nous y travaillons activement avec le ministre de la justice, sachant que la formation des acteurs est, à mes yeux, un enjeu essentiel. Je souhaite d'ailleurs qu'elle soit renforcée dans le projet de loi que je porterai au printemps prochain. Car, pour que le dialogue social soit efficace et performant, la formation est tout simplement cruciale, que ce soit du côté des salariés ou des dirigeants. Il s'agit de l'une des préconisations fortes du rapport sur la négociation collective, le travail et l'emploi, que M. Jean-Denis Combrexelle a remis au Premier ministre, l'automne dernier.

Vous le savez, le plafonnement des indemnités prud'homales sera réintroduit dans le texte que je vous présenterai, sans distinction entre petites et grandes entreprises. Je n'ignore pas les débats très vifs qu'avait suscités cette mesure parmi vous. Je la soutiens pourtant fortement, car il nous faut lever les freins à l'embauche. Le manque de prévisibilité et de sécurité juridique constitue bien un frein pour l'employeur, même s'il est autant ressenti que réel. Le décret sur les barèmes indicatifs, prévu par la loi du 6 août dernier, sera pris dans la foulée, car les deux barèmes doivent être cohérents.

S'agissant du détachement, nous avons accompli des progrès considérables grâce à cette loi. Presque tous les décrets prévus sont pris, et j'ai signé ce matin celui qui généralise l'obligation pour les salariés du BTP, y compris les salariés détachés, de disposer d'une carte d'identification professionnelle.

La loi du 6 août dernier a considérablement renforcé notre arsenal législatif pour lutter contre les fraudes au détachement, dans le prolongement de la loi du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, dite « loi Savary ». Sur le terrain, ce renforcement produit ses effets : nous sommes passés d'environ 600 interventions par mois avant l'été 2015, à 1 400 contrôles mensuels en moyenne depuis septembre 2015. Des fermetures préfectorales ont été décidées sur proposition des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

La mesure de suspension de la prestation de service internationale commence aussi à être mise en oeuvre depuis la publication du décret d'application de cette disposition en décembre. Ainsi, au début du mois de février 2016, elle a été appliquée en Corse à l'égard de deux entreprises détachant des salariés sur un chantier, car elles ne justifiaient pas du respect des règles relatives à l'application du SMIC ni de celles relatives à la durée du travail et à l'octroi de repos. Il s'agit d'une mesure extrêmement dissuasive qui devrait produire son plein effet dans les mois à venir. Je travaille aussi, notamment avec la commissaire européenne Marianne Thyssen, pour qu'une révision ciblée de la directive européenne de 1996 intervienne au premier semestre.

Cet arsenal sera complété par le projet de loi que je présenterai au Parlement dans les prochaines semaines. Il faudra ainsi encore prévoir une suspension de prestation en cas de défaut de déclaration de détachement, et autoriser les agents compétents à effectuer leurs contrôles avec l'appui d'un interprète, ce que la loi ne prévoit pas aujourd'hui.

Comme vous le constatez, la mise en oeuvre des mesures prises est donc pleinement engagée. Elle s'accompagnera de l'ordonnance qui reprend les dispositions de la proposition de loi relative aux pouvoirs de l'inspection du travail, déposée par M. Denys Robiliard. Cette ordonnance renforce les pouvoirs de l'inspection du travail, notamment pour lui donner les moyens de lutter plus efficacement encore contre le détachement illégal. Je souhaite qu'elle soit ratifiée par une disposition législative que j'inscrirai dans mon projet de loi.

Je tenais à vous faire un état des lieux fidèle des cinq mois de travail que nous avons effectués pour mettre en application la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

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