Intervention de Nikolaus Meyer Landrut

Réunion du 10 février 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Nikolaus Meyer Landrut, ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en France :

Je vous remercie de votre introduction, de vos analyses et de votre interpellation. Les choses que vous évoquez sont liées, car il n'est pour ainsi dire pas possible de faire de différence entre la politique intérieure, la politique européenne et la situation sur la scène internationale.

L'Union européenne, notamment l'Allemagne et la France, se trouve devant une multiplicité de crises, qui sont graves chacune en soi. Il ne serait presque pas exagéré de dire que, dans leur addition, elles la placent devant un moment de vérité. En tout état de cause, elles dépassent le simple cadre des affaires courantes : la crise de l'euro persiste ; la situation en Ukraine s'est un peu apaisée, mais elle est loin d'être réglée ; la terrible menace du terrorisme et la manière dont elle a frappé la France nous a aussi saisis et interpellés, car il s'agit d'un vrai défi pour tout le monde ; enfin, la question des réfugiés domine tant les débats politiques que la vie quotidienne en Allemagne.

Au moins sur ces trois derniers points, si nous prenons un peu de hauteur, la question que nous trouvons devant nous est in fine celle de la défense de nos valeurs et de la manière dont elle se manifeste dans le traitement de ces différents problèmes, qui exigent tantôt le respect du droit international, tantôt celui de l'intégrité territoriale, tantôt la défense de nos libertés, tantôt la défense du droit d'asile. Chacun de ces problèmes nous ramène à des questions fondamentales sur lesquelles il convient d'être clair.

Avec l'arrivée des réfugiés, l'Allemagne se trouve confrontée à un défi majeur. Vous avez cité des chiffres globaux, qui traduisent des réalités très différentes. Le défi actuel est un défi qui n'a pas de précédent dans les dernières décennies. Il ne s'agit pas d'un problème conjoncturel, mais d'un problème majeur, qui suscite évidemment des débats importants. En janvier 2016, tant du point de vue du gouvernement fédéral que de l'opinion publique allemande, le nombre de réfugiés qui arrivent est encore nettement trop important. Aussi les autorités allemandes ont-elles pour objectif de faire baisser ce chiffre de manière significative etdurable. Cela est important pour stabiliser le débat sur la scène intérieure.

Encore faut-il préciser que l'opinion publique, dans son ensemble, est moins excitée que ne le font croire les rapports publiés dans les médias. Une forte volonté d'aide et de soutien s'exprime dans les villes, dans les Länder, dans les associations et dans les églises, même si on n'entend que ceux qui rouspètent, si vous me passez cette expression familière. Dans leur majorité, les Allemands s'engagent, au quotidien et de manière importante, en faveur des réfugiés.

Au demeurant, la question politique principale n'est pas l'intégration des personnes déjà arrivées, mais le rythme auquel les nouvelles arrivées vont continuer. Il faut rechercher une décrue. Tant la chancelière Angela Merkel que le reste du gouvernement fédéral ont annoncé qu'il n'y a pas de solution simple au problème, mais qu'il faut, pour arriver à cet objectif, y travailler à la fois au niveau national, au niveau européen et au niveau international.

Au niveau national, l'Allemagne a durci son droit d'asile. Son principe reste non négociable et ne saurait être remis en cause. Mais ses conditions d'application sont désormais plus strictes. Il n'y a plus de soutien en nature aux réfugiés et la liste des pays sûrs s'est allongée, c'est-à-dire des pays réputés sûrs où il est juridiquement plus facile de reconduire les nouveaux arrivants. Elle comprend depuis l'automne l'ensemble des pays des Balkans : alors qu'ils représentaient 40 % des arrivées au premier semestre 2015, ce chiffre est tombé en décembre à seulement 1 %. Les effets sont donc tangibles. Aux alentours de Noël et du Nouvel An, de nouvelles arrivées ont eu lieu en provenance de l'Algérie et du Maroc et, dans une moindre mesure, de la Tunisie ; depuis cette date, le gouvernement a proposé que ces pays soient inscrits sur la liste des pays sûrs. Pour tous ces pays, des centres d'enregistrement spéciaux ont été ouverts en Allemagne ; les demandes d'asile doivent y être traitées dans un délai de trois semaines, y compris l'examen du recours juridique auquel un refus initial ouvre droit. Cela accélère les procédures et accroît les possibilités de retour dans ces cas-là.

En ce moment, un débat est en cours, au sein du gouvernement, au sujet du droit au regroupement familial reconnu à ceux qui ne jouissent que d'une protection secondaire. Aucune décision n'est encore prise, mais vous voyez quelle seconde vague d'immigration la reconnaissance de ce droit peut provoquer. En pratique, les institutions qui traitent ces questions sont déjà surchargées du fait de l'afflux de demandes d'asile ; les demandes de regroupement familial ne peuvent donc être instruites en ce moment. Mais une réponse claire aurait pour conséquence directe d'envoyer dans les pays d'origine le message que certaines choses deviennent plus difficiles.

J'en viens au niveau européen. Y a-t-il une fatigue européenne en Allemagne ? Je dois en tout cas vous avouer la perplexité allemande devant le manque d'application, ou l'application insuffisante, des décisions prises l'an dernier. Car le moins que l'on puisse dire est que cette application est loin d'être prompte et complète. Je prendrai trois exemples. S'agissant de la protection efficace des frontières de l'Union européenne, sur laquelle il y a une totale convergence de vues avec la France, nos ministres de l'intérieur ont décidé –et pas seulement demandé– que des centres d'enregistrement soient installés dans les pays où les réfugiés arrivent, que l'enregistrement y soit effectué et que les fichiers soient comparés, de sorte que l'on sache qui arrive en Europe. Disons, pour rester diplomate, que ce type de décisions n'est pas efficace à 100 %. Il avait été décidé que 160 000 personnes arrivées en Grèce et en Italie seraient redistribuées au niveau européen. Une certaine déception s'est fait jour en Allemagne lorsque l'on a appris, au début de l'année, que moins de 300 personnes ont finalement été réparties, dans une Union européenne qui compte 500 millions d'habitants... Or l'Allemagne n'avait même pas demandé à bénéficier de ces mesures de redistribution.

Quant à la coopération avec la Turquie, il est important de trouver avec elle un terrain d'entente pour qu'elle fasse davantage pour maintenir les réfugiés syriens sur son territoire. L'Union européenne a pris la décision de mettre à cet effet trois milliards d'euros à la disposition de la Turquie. Pour le moment, cette décision peine à se mettre en place. Contrairement à ce que répètent certains médias français et européens, il ne s'agit pas d'une promesse de notre chancelière Angela Merkel, mais d'une décision prise par les Vingt-Huit. Si elle ne s'applique pas, la déception va s'installer. Il est important que les décisions prises au niveau européen soient appliquées, de telle sorte que les opinions publiques voient que le soutien, la coopération et la solidarité sont réalité.

Au niveau international, il faut évidemment continuer à oeuvrer dans le sens d'une solution en Syrie. Certes, il y a eu des revers. Mais nous restons convaincus qu'à la fin, une solution politique ou diplomatique doit prévaloir. À Paris comme ailleurs, la chancelière Angela Merkel a déclaré publiquement que les interventions militaires sont parfois indispensables pour faire avancer les choses, mais qu'à la fin du parcours, seule une solution politique ou diplomatique est viable.

La communauté internationale doit faire le nécessaire pour soutenir la Jordanie et le Liban qui hébergent, tant à proportion de leur population qu'en termes absolus, un nombre de réfugiés bien supérieur à ce que l'Europe envisage pour ce qui la concerne. La récente conférence de Londres était importante en ce sens. Si l'on veut limiter l'afflux, il faut aider davantage les pays limitrophes et les pays d'origine, pour que les problèmes trouvent une solution dans leur voisinage.

Cela étant dit, la difficulté dans le début public allemand est que, même si nous pouvons dire que nous travaillons sur ces trois fronts, il serait difficile d'attribuer à telle ou telle mesure tel pourcentage d'efficacité, ou d'établir un lien direct entre une mesure particulière et des effets précis. Car les mesures prises aux trois niveaux ne peuvent produire d'effet que si elles se combinent.

La chancelière Angela Merkel et le gouvernement fédéral sont favorables à une solution européenne et internationale, car cela nous semble la seule voie possible, mais nous devons être conscients de ce que la pression va monter si les chiffres d'arrivée remontent à nouveau au printemps. Une mesure telle que celle qui a été prise à une extrémité de l'Europe peut être désagréable sans avoir de caractère perturbateur pour l'ensemble de l'Union européenne. Mais, si la solidarité continue à manquer ou à ne pas produire d'effet, le moment arrivera où l'Allemagne se trouvera dans une situation où elle devra prendre des décisions similaires à celles qui ont été prises en Suède. Au centre de l'Europe, cela aurait un caractère relativement perturbateur, avec toutes les conséquences que cela peut induire. Nous sommes dans une situation où des résultats concrets sont nécessaires dans les semaines, et non dans les mois, qui viennent.

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