Intervention de Bérengère Poletti

Séance en hémicycle du 1er mars 2016 à 15h00
Protection de l'enfant — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, après plus d’un an de navette parlementaire, nous arrivons au terme de l’examen de la proposition de loi relative à la protection de l’enfant. Vous le savez, ce texte concerne près de 300 000 mineurs et jeunes majeurs ; il représente une dépense annuelle d’environ 7 milliards d’euros. L’objectif était d’aller plus loin que la loi du 4 mars 2007, incomplète, soumise à l’épreuve du temps et nécessitant des améliorations. À l’occasion de cette lecture définitive, je tiens à souligner et à saluer la qualité de nos échanges, de nos débats et des amendements que nous avons examinés tout au long de la procédure législative.

Ce texte a permis des avancées notables. Certaines mesures sont efficaces, comme la nouvelle version de l’article 22 qui, suite à une véritable coopération entre le Sénat et l’Assemblée nationale, crée une qualification pénale de l’inceste valant circonstance aggravante d’infraction à caractère sexuel. Notre groupe soutient cette mesure, qui constitue une avancée importante. Il en va de même pour la création du Conseil national de la protection de l’enfance, à condition, madame la ministre, que cette instance ne se superpose pas à d’autres structures existantes – mais je sais que vous en avez le souci.

Malheureusement, d’autres dispositions destinées à protéger les enfants risquent d’être inefficaces, faute d’être accompagnées de moyens suffisants. Je pense notamment à la création, au sein des départements, des commissions pluridisciplinaires chargées d’examiner tous les ans la situation des enfants confiés à l’ASE, ou tous les six mois s’agissant des enfants de moins de 2 ans. Aujourd’hui, faute de moyens notamment, 30 % des départements n’ont pas satisfait à l’obligation de définition de projets personnalisés pour l’enfant. Or nous assistons à la création de nouveaux niveaux d’intervention et de décision. Vous le savez, cela implique des contraintes supplémentaires pour les conseils départementaux, qui se trouvent au bord du dépôt de bilan et qui risquent de subir une double asphyxie, au niveau de leurs missions tout autant que de leurs moyens.

Notre groupe s’interroge sur la pertinence de l’article 1er bis qui, de nouveau, met à la charge du conseil départemental la mise en place d’un protocole de coordination des acteurs de la protection de l’enfance. Cet article engendre de nouvelles contraintes, de nouveaux surcoûts et allonge les délais, alors que l’intérêt des enfants commande d’agir plus rapidement.

Je ferai le même reproche à l’article 4 : pour de nombreux départements, déjà au bord de la rupture financière, il est impossible de confier de nouvelles responsabilités à un médecin référent chargé de la protection de l’enfance. Dans les Ardennes, par exemple, nous ne disposons que d’un médecin de PMI, déjà surchargé et incapable d’assurer ce travail supplémentaire.

Dans le même esprit, l’article 5 ED, qui consiste à bloquer l’allocation de rentrée scolaire – ARS – sur un compte d’épargne en faveur des enfants confiés à l’ASE, soulève plusieurs interrogations.

Une remarque de gestion s’impose : ce sont les départements qui assument les frais scolaires des enfants confiés à l’ASE. Dans le contexte financier difficile qui est le leur, il serait logique de leur reverser l’ARS, même si nous savons bien qu’en l’état actuel des choses, ce sont les familles qui touchent cette allocation.

J’ajoute une remarque de bon sens : si nous comprenons que le Gouvernement veuille doter les jeunes confiés à l’ASE d’un petit pécule pour démarrer dans la vie, ce n’est pas à l’allocation de rentrée scolaire de l’alimenter. Cette allocation, comme son nom l’indique, vise à couvrir les dépenses de fournitures scolaires des élèves modestes. Si nous devons faire un geste en faveur des enfants confiés à l’ASE, il doit s’agir d’une autre mesure – par exemple, mobiliser une fraction des allocations familiales.

Je souhaite enfin évoquer l’article 16 qui, dans sa rédaction actuelle, avec le gage levé, vient remédier à une situation d’inégalité flagrante. Aujourd’hui, en effet, certains enfants paient toujours des dettes fiscales parce qu’ils étaient mineurs lors du décès de leur parent adoptif et qu’ils n’ont pas été correctement pris en charge. Vous le savez, nous avions adopté, en première et en deuxième lectures, un amendement prévoyant la possibilité de demander à l’administration fiscale la remise des droits impayés pour la partie qui excède les droits qui auraient été dus si les dispositions de l’article 16 avaient été en vigueur à la date du fait générateur, c’est-à-dire du décès de l’adoptant. C’était une mesure de justice, et nous nous étions tous retrouvés pour la voter, avec le soutien du Défenseur des droits, contre l’avis du Gouvernement. En levant récemment le gage sur cette mesure, vous nous rejoignez finalement sur ce point, madame la ministre, et nous nous en réjouissons.

Nous voterons ce texte, qui a été considérablement amélioré par les débats parlementaires.

Aujourd’hui, j’appelle votre attention sur la nécessité de surveiller la rédaction des décrets à venir, de même que la mise en oeuvre concrète de cette nouvelle loi sur le terrain. En effet, l’application de ce texte ne doit pas se faire au détriment des départements, qui sont déjà très touchés par certaines de vos mesures, alors qu’on augmente constamment leurs obligations. Vous le voyez, madame la ministre, la plupart de nos critiques portent sur l’incohérence entre la création de nouvelles charges et le manque de moyens pour les mettre en oeuvre.

Madame la ministre, vous avez été promue, confortée dans les politiques publiques de l’enfance, et je vous en félicite. J’espère que vous allez en profiter pour faire de cette situation privilégiée un levier efficace, au bénéfice des départements et de leurs budgets.

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