Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 1er mars 2016 à 15h00
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Présentation

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Monsieur le président de la commission des lois, cher Dominique Raimbourg, madame et monsieur les rapporteurs, messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis aujourd’hui à l’occasion de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Comme vous le savez ce texte a fait l’objet de travaux préparatoires approfondis entre la chancellerie et le ministère de l’intérieur et je souhaite revenir devant vous sur certains de ses aspects qui concernent plus spécifiquement le ministère de l’intérieur et à l’élaboration desquels mes services ont contribué.

Depuis 2012, de nombreuses mesures ont été adoptées à l’initiative du Gouvernement, en liaison étroite avec la chancellerie, afin de renforcer notre arsenal pénal et de l’adapter aux évolutions de la menace terroriste à laquelle nous sommes confrontés. Trois lois décisives ont ainsi été adoptées par le Parlement : la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, puis la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme et, enfin, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, à l’élaboration et à la discussion de laquelle l’actuel garde des sceaux avait grandement participé. À chaque fois, nous avons travaillé en lien très étroit avec les magistrats antiterroristes.

Le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à votre examen s’inscrit dans la continuité de ce travail législatif très intense. Depuis 2012, le Gouvernement n’a cessé de considérer que la lutte contre le terrorisme appelait certaines adaptations des moyens de police administrative permettant de prévenir la commission d’actes terroristes et de renforcer les moyens dont dispose l’autorité judiciaire pour les réprimer. Tel est donc également l’objectif poursuivi par ce texte.

Je veux d’emblée rassurer celles et ceux qui, mal avisés, ont cru ou fait mine de croire que le Gouvernement entendait, avec ce texte, introduire dans le droit commun des mesures applicables seulement dans le cadre de l’état d’urgence. Comme vous pourrez le constater par vous-mêmes à la lecture du texte et au cours des débats que nous aurons, tel n’est pas du tout le cas. Je l’affirme avec netteté : ce projet de loi s’inscrit en tout point dans le cadre des valeurs de la République et du respect des principes de l’État de droit. Pour le Gouvernement, ce n’est pas une option, mais une exigence et une évidence.

Pour faciliter l’examen du texte, il a été décidé que nous commencerions par discuter des mesures relevant de la compétence du ministère de l’intérieur. Dès demain, nous allons donc commencer par les articles 7 à 10, qui portent sur un sujet central dans la lutte contre le terrorisme et le crime organisé : la lutte contre le trafic et la prolifération des armes, qui constitue l’une des priorités absolues du ministère de l’intérieur.

À cet égard, je vous rappelle que j’ai lancé en novembre dernier, avant les attentats, un grand plan spécifiquement dédié à la lutte contre ce type de trafics et que, dans le cadre de l’état d’urgence, nous ciblons plus particulièrement les réseaux logistiques qui arment et financent le terrorisme. Un très grand nombre d’armes, y compris des armes de guerre, ont d’ailleurs été saisies depuis le 14 novembre dernier – pour être précis : 588 armes, dont plus de quarante armes de guerre.

Avant d’en venir aux mesures contenues dans le chapitre V, concernant les enquêtes et les contrôles administratifs, je souhaite évoquer brièvement l’article 4 bis que votre commission, monsieur le président, a souhaité ajouter au projet de loi.

Il revient en effet sur une mesure au sujet de laquelle le Gouvernement s’est déjà prononcé lors du débat relatif à la loi sur le renseignement.

Votre amendement vise à autoriser la direction de l’administration pénitentiaire à recourir à certaines techniques de renseignement, l’intégrant ainsi au « second cercle » des services autorisés à utiliser de telles techniques.

Il va sans dire que cette mesure devra s’accompagner d’un renforcement de la coopération déjà très importante entre les services de la sécurité intérieure et ceux du renseignement pénitentiaire. Cette coopération renforcée permettra incontestablement d’être beaucoup plus efficace dans le suivi d’un certain nombre d’acteurs en lien avec les filières terroristes.

J’en viens maintenant aux articles 17 à 21. Comme je l’ai dit, notre objectif n’est pas de soustraire à la voie judiciaire des personnes qui doivent faire l’objet de poursuites pénales. Je dirai même que ce texte de loi repose sur une logique exactement inverse : nous ne proposons de nouvelles mesures administratives que dans l’hypothèse où il serait impossible d’emprunter la voie judiciaire ou bien pour recueillir des éléments supplémentaires permettant d’entreprendre une telle procédure.

Je souhaite aujourd’hui m’arrêter plus particulièrement sur deux d’entre elles : la retenue de quatre heures et le contrôle administratif des retours sur le territoire national. Si nous avons proposé le principe de la retenue de quatre heures pour vérification de la situation d’un individu, c’est pour une raison extrêmement simple, sur laquelle j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises lors de débats antérieurs.

La menace terroriste à laquelle nous faisons face a changé de nature et les modes opératoires qu’elle emprunte sont inédits, protéiformes, qu’il s’agisse d’individus radicalisés passant à l’acte en solitaire ou bien encore de terroristes aguerris, revenant des théâtres d’opération moyen-orientaux et agissant dans le cadre d’un plan précisément établi.

La retenue de quatre heures concernerait ainsi le cas d’une personne contrôlée qui apparaîtrait liée à des activités terroristes. Concrètement, il s’agirait des cas de contrôles d’identité de personnes faisant l’objet de fiches « S », notamment à nos frontières. Je rappelle en effet qu’une fiche « S » ne peut, en l’état actuel du droit, autoriser l’appréhension ou la rétention d’un individu fiché.

Cette nouvelle mesure nous permettrait de retenir une personne soupçonnée d’activités terroristes pendant une durée maximale de quatre heures pour interroger le service à l’origine du signalement, qui pourra alors consulter les fichiers de souveraineté auxquels lui seul a accès et, le cas échéant, interroger les services partenaires étrangers.

Sur ce point, la rédaction initiale du projet de loi était insuffisante : elle ne permettait pas au législateur d’épuiser sa compétence. La rédaction issue de la commission, à la suite de l’adoption d’un amendement du rapporteur, est beaucoup plus précise et beaucoup plus efficace : le Gouvernement soutiendra donc cette rédaction.

Lors des débats en commission, vous avez souhaité que la séance permette de préciser encore davantage la mesure. Je le dis sans détour : il ne s’agit en aucun cas de mettre en place une garde à vue sans les garanties que celle-ci apporte habituellement. C’est la raison pour laquelle, afin de mieux circonscrire la portée de cette mesure, le Gouvernement donnera un avis favorable à l’amendement du rapporteur qui précise qu’aucune audition ne peut avoir lieu lors d’une retenue de quatre heures.

De la même manière, le Gouvernement donnera un avis favorable aux amendements déposés par Yves Goasdoué et l’ensemble du groupe socialiste qui limitent cette mesure aux seules personnes ayant un comportement en lien direct avec des activités terroristes.

Je souligne par ailleurs que les garanties offertes dans le cadre de cette nouvelle procédure sont supérieures à celles qui figurent déjà dans le code de procédure pénale pour le régime de la retenue pour vérification d’identité. En effet, les vérifications ne pourront être opérées que par un officier de police judiciaire. Le procureur de la République sera obligatoirement avisé du déclenchement de la retenue et pourra y mettre fin à tout moment. L’individu concerné pourra également prévenir la personne de son choix.

Dans le cas où la personne retenue est mineure et que son représentant légal est absent, la retenue ne pourra débuter qu’avec l’autorisation expresse du procureur, qui pourra bien entendu y mettre fin à tout moment pendant le délai de quatre heures. J’ajoute que, s’agissant des mineurs, seuls les magistrats spécialement qualifiés seront habilités à contrôler la mise en oeuvre de la mesure, conformément aux principes de l’ordonnance du 2 février 1945.

L’autorisation expresse du parquet n’est pas une mince garantie car, une fois saisi de la situation du mineur, le procureur a toute latitude pour décider en urgence, si la situation le justifie, d’une mesure de protection pouvant prendre la forme d’un placement immédiat dans un foyer de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. La retenue n’a donc pas seulement une finalité répressive : elle a également, pour les mineurs, une finalité protectrice.

Enfin, si la retenue débouche sur une garde à vue, la durée de la retenue s’imputera naturellement sur celle de la garde à vue.

Concernant maintenant le contrôle administratif des personnes de retour d’un théâtre d’opérations terroristes, je veux rappeler devant la représentation nationale un certain nombre d’éléments de contexte.

Tout d’abord, le cadre juridique est aujourd’hui contraint puisque la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme prévoit, dans son protocole no 4, ratifié par la France, que « Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant. » Or, au 12 février dernier, sur les 254 individus recensés par la DGSI – Direction générale de la sécurité intérieure – et dont il a pu être établi qu’ils avaient séjourné dans la zone syro-irakienne ou dans toute autre zone de conflit terroriste, 143 seulement ont pu faire l’objet d’une procédure judiciaire.

La judiciarisation des returnees n’est possible que dès lors que sont réunis des éléments permettant d’établir formellement qu’ils ont intégré un groupe combattant – article 421-2-6 du code pénal –, qu’ils ont participé à des combats – article 421-2-6 du code pénal – ou qu’ils sont membres d’une association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes – article 421-2-1 du code pénal –, qu’il s’agisse d’une filière d’acheminement ou d’un projet terroriste proprement dit.

Il est donc nécessaire, et j’insiste sur ce point, de recueillir à chaque fois un faisceau d’indices suffisamment probants pour être présenté au parquet en vue d’obtenir l’ouverture de l’enquête judiciaire.

Il est par conséquent indispensable, concernant les personnes non judiciarisées, d’avoir à notre disposition un outil permettant de contrôler les conditions dans lesquelles elles reviennent sur notre territoire et de les inciter à se soumettre à un programme de déradicalisation.

J’ajoute que la mise en oeuvre de ce dispositif sera bien évidemment soumise au contrôle du juge administratif – ce que vient confirmer un amendement de votre rapporteur que je vous invite à adopter. Comme pour toutes les mesures de police administrative, le juge opérera un entier contrôle de proportionnalité ; il pourra bien entendu être saisi en référé pour se prononcer dans des délais extrêmement brefs.

Le contrôle administratif des retours sur le territoire national n’a donc aucunement vocation à se substituer aux mesures qui peuvent être prises par l’autorité judiciaire dans le cadre d’investigations portant sur les faits commis lors du séjour à l’étranger.

Devant la commission, votre rapporteur vous avait proposé deux amendements, que vous avez adoptés, qui prévoient que le procureur soit informé de cette procédure et qu’en cas d’engagement d’une procédure judiciaire, la procédure administrative prenne fin sur le champ, immédiatement.

Notre objectif premier est la judiciarisation. Lorsqu’elle est impossible, le séjour en centre de déradicalisation est privilégié et, si la personne refuse de s’y conformer, alors, et seulement à ce moment, les mesures administratives peuvent intervenir pour organiser sa surveillance.

Les débats en commission ont révélé une ambiguïté dans la rédaction de cette mesure, laissant à penser qu’une telle procédure administrative pourrait être engagée dans les mêmes conditions qu’une procédure judiciaire du chef d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ce n’est pas l’objectif du Gouvernement ; je donnerai donc un avis favorable à l’amendement du rapporteur qui supprime tout bonnement l’alinéa à l’origine de cette ambiguïté.

J’en arrive au sujet du périple meurtrier, pour lequel je vous demande d’envisager la création d’un nouveau fait justificatif de l’usage des armes par les forces de l’ordre.

Les événements de janvier et novembre 2015 ont donné lieu à l’utilisation, par les terroristes, de modes opératoires jamais observés auparavant dans notre pays, comme le port et l’activation de ceintures explosives, de manière autonome ou bien combinée avec des meurtres de masse commis au moyen d’armes de guerre.

À ce jour, seule la légitime défense permet aux policiers de faire usage de leurs armes. Dès lors que ceux-ci ne sont pas directement menacés ou que le malfaiteur ne menace pas directement un tiers, ils ne sont pas habilités à faire usage de ces armes. Or, dans les cas de figure très spécifiques que je viens d’évoquer, il est absolument vital de donner la possibilité aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes pour neutraliser des individus dont nous savons qu’ils recommenceront à tuer dès lors qu’ils en auront l’occasion, dès lors qu’ils ont déjà tué.

La disposition présentée par le Gouvernement vise par conséquent à sécuriser l’action des forces de l’ordre. La rédaction qui vous est proposée emprunte ses concepts aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et s’inscrit dans le cadre tracé par sa jurisprudence, en ce qu’elle impose aux policiers et aux gendarmes que soit remplie la condition d’absolue nécessité pour faire usage de leurs armes.

Le but principal de l’auteur des crimes, au cours de son périple, doit être de tuer. Ceci exclut, et je veux être précis sur ce point, le meurtre perpétré par voie de conséquence de son action principale, par exemple celui commis par le braqueur en fuite. Il faudra également que les premiers crimes et l’usage des armes par les forces de l’ordre aient lieu dans un « temps voisin », c’est-à-dire qu’il existe une forme de continuité dans l’enchaînement de ces différentes actions.

Cette mesure s’inspire des réflexions d’un groupe de travail instauré à la suite de l’examen d’une proposition de loi d’Éric Ciotti, permettant aujourd’hui d’avancer vers une proposition qui apparaît équilibrée et consensuelle.

Avant de conclure, je veux évoquer l’article 32 qui prévoit l’instauration de « caméras piétons », devenues, depuis le passage en commission, des « caméras mobiles ». Cette mesure, encore une fois, ne doit rien à l’improvisation. Ce dispositif a été expérimenté et suscite l’adhésion des forces de l’ordre. Nous devrons faire preuve de vigilance afin que les mesures que nous envisageons soient pleinement opérationnelles.

La caméra mobile ne saurait déboucher sur une augmentation du risque contentieux ni sur la multiplication de vices de procédures qui conduiraient à un rejet de ce dispositif par les personnels concernés. Si nous faisions cela, nous nous éloignerions de l’objectif initial de confiance et de proximité entre les forces de l’ordre et la population que poursuit cette disposition. La navette doit permettre de réfléchir aux différentes alternatives qui nous permettront de privilégier la sécurisation de la mesure.

Mesdames et messieurs les députés, l’existence de la menace et son caractère omniprésent nous obligent à nous adapter. Ce projet de loi pénal est le fruit d’une longue réflexion qui a dû nécessairement s’accélérer à la suite des attentats du 13 novembre.

Nous avons, durant la semaine de suspension des travaux parlementaires, poursuivi nos échanges pour parfaire les rédactions et concentrer les mesures sur l’essentiel. Le déroulement des travaux de la commission et l’ensemble des amendements adoptés témoignent de l’implication du Parlement. J’espère que les débats qui vont s’ouvrir permettront de répondre à toutes les préoccupations exprimées par les parlementaires.

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