Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 2 mars 2016 à 21h30
Lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement — Article 19

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Je suis, moi aussi, défavorable à ces amendements.

Les événements de janvier et de novembre 2015 ont donné lieu à l’utilisation par les terroristes de modes opératoires qui n’avaient jamais été observés jusqu’à présent dans notre pays : je veux parler du port et de l’activation de ceintures explosives, de manière autonome ou combinés à des meurtres de masse commis avec des armes de guerre.

De plus, ces entreprises meurtrières ont pu se poursuivre pendant plusieurs heures, voire, dans le cas des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, pendant plusieurs jours avant que les auteurs ne soient neutralisés, non sans avoir commis ou tenté de commettre d’autres crimes. C’est avec une assurance et une désinvolture glaçantes que les Kouachi, tout comme certains des auteurs des attentats du 13 novembre, ont pu, entre deux tueries, se mouvoir sur la voie publique ou dans les transports en commun, porteurs de leur arme ou de leur ceinture d’explosifs. Il ne faut pas oublier ces mots lancés par Mohammed Merah au négociateur du Raid quelques heures avant l’assaut final : « La mort, je l’aime comme vous aimez la vie. »

À ce jour, le seul cadre permettant aux policiers d’ouvrir le feu est celui de la légitime défense. Dès lors qu’ils ne sont pas directement menacés ou que le malfaiteur ne menace pas directement un tiers, les agents ne sont pas habilités à faire usage de leur arme. Or, dans les cas de figure très spécifiques que je viens d’évoquer, il est vital de donner aux forces de l’ordre la possibilité de faire usage de leur arme pour neutraliser des individus qui recommenceront à tuer, parce qu’ils l’ont déjà fait dans les minutes ou les quarts d’heure qui ont précédé. Ils continueront à tuer quand l’occasion se présentera de nouveau, et ils n’hésiteront pas à se donner la mort, si possible en causant de nouvelles victimes.

La disposition présentée par le Gouvernement vise à sécuriser l’action des forces de l’ordre en cas de périple meurtrier. La rédaction proposée emprunte aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et s’inscrit dans sa jurisprudence : elle impose en effet aux policiers et aux gendarmes de remplir la condition d’absolue nécessité pour faire usage de leur arme.

Il s’agit de circonscrire le plus précisément possible l’hypothèse dans laquelle l’état de nécessité trouvera à s’appliquer. Cette hypothèse est celle d’un auteur ayant déjà commis ou tenté de commettre une atteinte volontaire à la vie, et dont la détermination réitérée, telle qu’elle ressort des circonstances des premiers crimes, est quasi certaine au regard des informations dont dispose l’agent au moment de son intervention. Il s’agira pour le juge d’apprécier concrètement l’honnête conviction que peut se faire l’agent, dans la position où il se trouve, lorsqu’il est en présence d’un criminel.

Il faudra donc que le but principal de la personne visée, dans son périple, soit bien de tuer. Ceci exclut le meurtre commis par voie de conséquence, par exemple celui du braqueur en fuite.

Il faudra également que les premiers crimes et l’usage des armes par les forces de l’ordre aient lieu dans un temps rapproché, c’est-à-dire qu’il existe une forme de continuité dans l’enchaînement de ces différentes actions.

Il n’est pas question par exemple de faire utilisation de cette disposition pour intervenir plusieurs semaines ou plusieurs mois après les faits si ceux-ci se sont interrompus dans l’intervalle.

Il me semble que la rédaction à laquelle nous avons abouti, avec la commission des lois, constitue un compromis qui précise suffisamment l’hypothèse envisagée par le Gouvernement tout en ménageant le caractère opérationnel de la mesure. En effet, il apparaît trop complexe et finalement trop insécurisant d’exiger de l’agent qui ne dispose ni de la formation ni des éléments complets de l’affaire qu’il se livre à une analyse juridique complexe, en quelques secondes.

C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables à l’insertion d’une qualification terroriste dans le texte. Nous sommes également défavorables à l’obligation de procéder à des sommations préalables, précisément parce que les cas de figure rencontrés ne s’y prêtent absolument pas, sauf à mettre en péril la vie de l’agent lui-même et la vie des tiers qu’il est censé protéger.

Face à un individu porteur d’une ceinture d’explosifs, prêt à se faire exploser en quelques centièmes de secondes, la sommation n’est pas du tout appropriée. De même, le tireur d’élite qui se trouve à plusieurs centaines de mètres et qui est le seul à pouvoir neutraliser l’auteur avec un minimum de risque ne se trouve pas en position de procéder à des sommations.

Enfin, très concrètement, face à un Kouachi, un Coulibaly en train de déambuler en étant porteur d’un fusil d’assaut, si des sommations avaient été proférées, il est certain que les terroristes auraient aussitôt ouvert le feu, tuant passants et auteurs de la sommation.

Les fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale font preuve au quotidien d’un discernement exemplaire, en ne faisant usage de leur arme que dans des conditions de stricte nécessité. Il n’existe aucune raison pour qu’ils n’agissent pas avec le même discernement s’agissant de la mise en oeuvre de cette disposition qui sera précédée et accompagnée par des actions de formation et d’entraînement adaptées au nouveau cadre juridique.

Enfin, loin de constituer un quelconque permis de tuer, l’usage de l’arme en état de nécessité restera soumis au contrôle de l’autorité judiciaire qui appréciera, comme elle le fait aujourd’hui, si les conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité ont été remplies en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

L’équilibre auquel nous sommes parvenus au terme du travail de la commission des lois et du rapporteur sur ces sujets difficiles est un bon équilibre. Pour cette raison, je propose de ne pas adopter ces amendements de suppression de l’article. Restons dans l’équilibre du texte tel qu’il est présenté au Parlement.

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