Intervention de Georges Fenech

Réunion du 2 mars 2016 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Je serai bref : notre rapporteur vient d'exposer de façon excellente le contenu de cette proposition de loi, et la commission des Lois a, de plus, adopté à l'unanimité, au mois de mai dernier, notre rapport. Cette proposition de loi a, cela a été rappelé, suivi un cheminement particulier, puisque, en vertu des nouvelles dispositions constitutionnelles, elle a pu être soumise au Conseil d'État, dont l'avis a été très favorable.

Nous avons l'ambition de remettre de l'ordre dans un dispositif devenu incohérent, en raison de multiples réformes législatives, mais aussi des jurisprudences audacieuses de la Cour de cassation. L'état d'esprit n'est plus guère aujourd'hui à l'acceptation de la prescription, notamment lorsqu'il s'agit de crimes extrêmement graves.

Chacun se souvient de la sordide affaire des disparues de l'Yonne. Une analyse juridique stricte aurait dû conduire à la considérer comme prescrite lorsque l'auteur des faits, Émile Louis, a été identifié. Pourtant, les magistrats ont utilisé un subterfuge juridique, en jugeant qu'une simple demande de la justice à la direction départementale des affaires sanitaires et sociales avait suspendu la prescription. Un acte administratif n'est pourtant pas interruptif de la prescription. Il me semble que l'opinion publique s'est satisfaite de cette décision qui a permis de renvoyer Émile Louis devant la cour d'assises.

Plus récemment, vous vous rappelez l'affaire de l'octuple infanticide jugée l'an dernier. En réalité, ces crimes auraient également dû être prescrits. Mais l'assemblée plénière de la Cour de cassation a retenu le fait que l'état d'obésité de la mère dissimulait ses grossesses, ce qui empêchait le déclenchement de l'action publique. Cette jurisprudence pour le moins audacieuse a permis de juger la mère infanticide.

Ces deux exemples montrent combien il était nécessaire de moderniser notre loi, qui remonte à Napoléon. Nous vivons désormais, à l'heure d'internet, dans une société de la mémoire et non plus de l'oubli, comme cela a été excellemment rappelé. Les associations jouent un grand rôle. N'oublions pas non plus l'extraordinaire modernisation de l'administration de la preuve : le dépérissement des preuves n'a plus cours. Que l'on songe aux expertises par balayage électronique, aux expertises balistiques, aux empreintes génétiques… On peut même utiliser le fait que les odeurs imprègnent très longtemps des vêtements. Ni l'oubli ni le dépérissement des preuves ne peuvent plus constituer le fondement de nos prescriptions, devenues trop courtes. Et le procureur général près la Cour de cassation a parlé, à propos de notre loi actuelle, de « chaos ».

Il appartient donc au législateur de remettre de l'ordre dans ce système qui a perdu toute cohérence, et de le moderniser.

Je rejoins entièrement notre rapporteur sur les infractions occultes ou dissimulées. Ce sont bien elles qui ont empêché toute réforme, notamment au Sénat. Nous étions là face à une alternative. Depuis 1935, la Cour de cassation, à l'encontre des dispositions des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, considère qu'il faut retarder le point de départ de la prescription au jour de la révélation de l'infraction : soit nous mettions un terme à cette jurisprudence contra legem, soit nous la consacrions. Notre opinion n'était pas du tout arrêtée lorsque nous avons commencé nos travaux : c'est seulement après une longue réflexion et de multiples auditions de tous les acteurs judiciaires que nous nous sommes décidés. Je souligne ici que le monde judiciaire attend vraiment cette loi, qui aura des conséquences très importantes.

Nous avons décidé de vous proposer de consacrer dans la loi la jurisprudence de 1935, et donc la théorie de la révélation. Cela concerne notamment les infractions économiques et financières — abus de biens sociaux, mais aussi grande corruption internationale, par exemple.

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